Les nouvelles régions françaises vues d'Europe, une analyse de l’Institut Jacques Delors

Denis Solignac
Les nouvelles régions françaises vues d'Europe, une analyse de l’Institut Jacques Delors

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© Flickr/fdecomite

A quelques jours des élections régionales, une étude de Marjorie Jouen, conseillère de l’Institut Jacques Delors, est publiée sur le site de Notre Europe. L’occasion pour le think tank européen d’en découdre quelque peu avec l’architecture territoriale à la française, tout en égratignant au passage certains aspects de la gouvernance européenne. Un document articulé en trois parties, « à travers trois prismes européens différents », selon l’expression de l’auteure.

Peu de chances de "bond" économique pour les nouvelles régions

1/ La première partie offre une analyse sous l’angle économique, politico-institutionnel et au regard de la politique de cohésion de l’impact attendu de la fusion et de la naissance de « grandes régions ».

Pour la conseillère de l’Institut Jacques Delors, « cette réforme, visant principalement à réunir des régions riches et des régions pauvres, entraînera seulement un rééquilibrage national », et les nouveaux périmètres viennent satisfaire « des critères administratifs de proximité mais pas des critères de compétitivité ou de résilience », le risque de voir les nouvelles régions quitter la catégorie avantageuse des « régions en transition » semblant cependant écarté.

Sur le plan économique, « même si leur situation économique réelle s’améliore au cours des 7 prochaines années, note l’auteure, il y a peu de chances qu’elles [les nouvelles régions] enregistrent le “bond” dont la fusion peut donner l’illusion ».

L’évolution actuelle n'est pas celle de « l’Europe des régions », un slogan remisé au placard

2/ La deuxième partie du document replace la réforme française dans le contexte politique et institutionnel européen actuel.

L’auteure considère qu’« il n’existe aucune “norme” européenne sur la taille optimale des régions » et que « la réussite économique des régions-capitales dans la dernière décennie s’explique surtout par la fonction politique de la ville principale » ; elle rappelle le climat de recentralisation nationale des politiques européennes en répercussion à la crise financière de 2008 avec la mise en place de nouveaux instruments de gouvernance économique et financière, ainsi que les tensions nées des forces centrifuges régionalistes dans plusieurs Etats membres qui créent un climat où « la création des “grandes régions” paraît désynchronisée ».

Pour la conseillère, « le slogan de l’Europe des régions, parfois utilisé dans les années 90 pour décrire une perspective d’évolution de l’Union européenne, semble définitivement remisé au placard », alors même que l’Europe de Bruxelles se montre finalement plus accueillante aux revendications d’Etats sécessionnistes comme la Catalogne qu’aux demandes des régions((Réflexion de l'auteure : « Force est de constater que dans son fonctionnement l’UE réserve un traitement bien plus enviable aux intérêts portés par ces pays que ceux des régions, fussent-elles plus peuplées et économiquement plus fortes. Règles de vote au Conseil, représentation à la Commission, au Parlement européen, à la Cour de Justice, à la Banque centrale, à la Cour des comptes et autres, constituent autant “d’avantages” qu’une sécession permettrait d’obtenir ».)).

Le système français, jugé non performant car ni unitaire, ni fédéral

3/ La troisième partie évalue la portée de la réforme régionale française au regard de la gouvernance à multi-niveaux qui caractérise l’Union européenne.

L’occasion pour Marjorie Jouen de remarquer qu’« en ne réduisant pas le nombre des communes, la réforme ne résout pas le problème de la fragmentation qui a un impact négatif sur la croissance économique » et que le système français, « de plus en plus hybride » reste éloigné des « deux modèles de gouvernance les plus performants en Europe », ou « modèles “ purs” », que sont le modèle centralisé et unitaire, d’une part, le modèle fédéral, d’autre part.

Enfin, cette 3e partie se conclut sur le satisfecit décerné à « la création des métropoles qui fait sens pour les observateurs européens », à la différence de la réforme régionale.

« Indice de fragmentation » de l’OCDE : la France « bien » placée…

L’OCDE, relève le document de Notre Europe, a mis au point un indice de fragmentation – le nombre de collectivités locales et municipalités pour 100 000 habitants. Cet indice est censé indiquer l’impact négatif du nombre de collectivités locales sur la croissance économique. Pour les grandes zones urbaines métropolitaines, il s’établit à 5 en moyenne pour l’UE (3,7 pour l’OCDE) et à 16,5 en France, qui se classe ainsi au 3e rang européen, derrière la République tchèque (24,3), la Slovaquie (19,4) et à proximité de l’Autriche (15,9), mais très loin devant l’Allemagne (5,5), l’Espagne (4,6), l’Italie (4,1), les Pays-Bas (2,2) et le Royaume-Uni.

Commentaire de Marjorie Jouen

« En comparant les performances économiques d’une trentaine d’aires métropolitaines, l’OCDE a montré que la fragmentation a un impact négatif sur la croissance économique.

Or, le nombre des communes reste depuis plus de 50 ans un sujet récurrent de réforme avortée qui se heurte à la fois à un héritage historique, des arguments démocratiques, des obstacles constitutionnels avec l’opposition répétée et inébranlable du Sénat. L’organisation territoriale actuelle est donc le produit d’exercices répétés, plus ou moins aboutis et réussis, de contournement de ce chantier impossible : fusions de communes, communes nouvelles, regroupements fonctionnels sous la forme de syndicats de communes, de pays, de communautés de communes ou d’agglomérations, selon leur taille, mouvement désigné sous le terme générique d’intercommunalité.

Cependant, loin de dessiner une pyramide ordonnée avec un nouveau niveau de gouvernance,

ces réformes ont souvent été mises en place sous une forme optionnelle et aboutissent donc à un paysage complexe puisque les regroupements intercommunaux, 15 ans après leur lancement, ne couvrent toujours pas la totalité du territoire et que demeurent encore quelques centaines de communes isolées. L’expression de millefeuille correspond donc bien à une situation qui n’est pas assimilable à un empilement régulier d’assiettes de plus en plus grandes, mais plutôt à l’irrégularité et la fragilité de la spécialité pâtissière nationale.

Toutefois, la complexité ne s’arrête pas là.

En effet, au lieu d’avoir réalisé une rétrocession systématique et uniforme de ses compétences au profit des régions, des départements ou des communes, comme l’exemple de la répartition de la charge des équipements éducatifs – les écoles primaires aux communes, les collèges aux départements et les lycées aux régions – pourrait le laisser croire, l’Etat a parfois continué à exercer certaines parties de compétences. De leur côté, les collectivités ont conservé ou se sont progressivement arrogé le droit d’intervenir dans presque tous les domaines, avec pour seule limite leurs capacités financières. »

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