Les finalités de la démocratie participative : quelle complémentarité entre démocratie représentative et démocratie participative ?

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Si le terme de démocratie représentative est ancien, celui de démocratie participative est d'usage plus récent. Ces termes sont aussi plus ou moins précis : si le terme de démocratie représentative, au niveau étatique a un sens clair, l'appellation démocratie participative relève d'un certain empirisme et est à géométrie variable.

 Par François Dietsch, adjoint au maire de Briey, maître de conférence à l'université de Metz

La démocratie participative ne se conçoit pas comme un substitut de la démocratie représentative, elle ne peut être — au niveau local — que complémentaire. Cela résulte aussi bien de la manière, dont, dans le temps la démocratie participative, telle une poupée gigogne, a émergé de la démocratie représentative, que de l'examen des objectifs et des degrés de la démocratie participative.

De l'émergence de la démocratie participative

Le caractère démocratique d'un Etat exige que le peuple participe à l'exercice du pouvoir. L'idéal serait qu'il n'y ait pas de distinction entre gouvernants et gouvernés, ce qui permettrait le degré maximum de participation et la mise en œuvre de la démocratie directe. L'expérience a démontré que cela n'est pas réalisable dès que l'Etat ne se réduit pas à une cité. Il faut alors recourir à un pis-aller,  celui de la démocratie représentative, où l'exercice du pouvoir va être confié à des représentants élus au suffrage universel et chargés de décider pour les citoyens.

Parfois, il est mis en œuvre ce que l'on appelle la démocratie semi-directe, où le peuple peut, soit se prononcer lui-même sur certains points, soit désigner des représentants qui se prononceront sur d'autres points. C'est le cas en France, où selon l'article 3 de la Constitution « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum ».

Spécificité d'une gouvernance locale
Si ces modes d'expression conviennent pour les affaires nationales, au niveau infra-étatique il n'en va pas de même. Pour satisfaire l'aspiration des populations, des citoyens à s'occuper eux-mêmes des affaires de proximité, des affaires locales par opposition aux affaires nationales, il a été mis progressivement en place le processus de décentralisation.

Représentativité et décentralisation
C'est pour satisfaire cette aspiration que l'on recourt à la décentralisation qui permet d'instituer des collectivités qui s'administreront librement par des conseils élus.
Soulignons que dans un premier temps, il s'agit de désigner des élus locaux, ceux-ci étant chargés de représenter les habitants, les électeurs de la collectivité. Mais au niveau national, on ne s'interroge pas sur le fait de savoir si dans le cadre de la démocratie qualifiée de représentative, les élus nationaux sont considérés comme représentatifs du corps électoral. Comme le rappelle la décision du Conseil Constitutionnel du 8 janvier 2009, « L'Assemblée nationale doit être élue sur des bases essentiellement démographiques ».

Démocratie représentative "aménagée"
En revanche, au niveau local, la démocratie représentative a été aménagée, car les élus locaux, à la suite de la mise en œuvre des lois de décentralisation qui ont suivi la loi du 2 mars 1982, ont été considérés comme fort peu représentatifs de leurs électeurs.

La répartition socioprofessionnelle des maires, à la suite des élections municipales de 1977, était fort peu représentative du corps électoral, puisqu'il y avait 40 % de maires agriculteurs, 12,5 % de maires salariés du secteur privé et 15 % de retraités. De plus, le nombre de femmes maires n'était que de 2,8 %.

Les élections municipales suivantes n'entraîneront pas de changement substantiel : les maires agriculteurs seront 36,5 % en 1983 et 28,5 % en 1989 ; les maires salariés du privé 13,7 % en 1983 et 14,6 % en 1989 ; les maires retraités passeront de 17,3 % en 1983 à 23,7 % en 1989 ; les femmes maires passeront à 4 % en 1983 et à 5,5 % en 1989.

Un mandat local "à portée de tous"
Le gouvernement va déposer un texte, qui deviendra la loi du 3 février 1992 qui a « volonté de donner à chaque citoyen, quel qu'il soit, les moyens d'exercer une fonction élective ». Comme l'indiquait le ministre de l'Intérieur Philippe Marchand : « Il faut que le mandat d'élu local soit à la portée de tous. Aucune catégorie socioprofessionnelle, aucune tranche d'âge ne doivent être écartées dans l'exercice des responsabilités locales pour insuffisance de revenus, de statut ou de culture ».

La loi va assurer une large ouverture aux mandats locaux : autorisation d'absences, crédits d'heures, garanties accordées aux élus dans leur activité professionnelle, amélioration du droit à pension de retraite. Jusqu'alors, les lois de décentralisation avaient été prises en faveur des élus et non des citoyens.

Cependant dès 1990, devant l'Assemblée nationale, le ministre de l'Intérieur Pierre Joxe avait déclaré : « Les principes de la démocratie représentative ne doivent pas faire obstacle au nécessaire renforcement de la participation des citoyens à la vie publique. »

La loi du 6 février 1992

Le législateur va, outre les mesures favorisant une meilleure représentativité, adopter des règles permettant à la décentralisation de ne pas profiter aux seuls élus locaux mais aussi aux citoyens et aux administrés. Ce sera l'objet de la loi du 6 février 1992 relative à l'administration territoriale de la République.

Avant cette loi, les citoyens disposaient déjà de moyens d'information sur la vie locale, par exemple la possibilité d'assister aux séances publiques des assemblées locales, de consulter les décisions des délibérations ou les dossiers relatifs à certaines opérations (remembrement, rénovation urbaine, création d'une ZAC).

Par ailleurs, existaient déjà des textes de portée générale :

L'article 10 de la loi du 6 février 1992 précise « le droit des habitants de la commune à être informés des affaires de celle-ci et à être consultés sur les décisions qui les concernent, indissociables de la libre administration des collectivités territoriales, est un principe essentiel de la démocratie locale ».
De plus, les collectivités vont être tenues de mettre à disposition du public pour consultation, le budget et les documents annexes, le recueil des actes administratifs ; la participation des citoyens à la vie locale se fera plus particulièrement par la mise en place de consultation des électeurs et de commissions consultatives pour les services publics locaux.

Le terme de participation était déjà utilisé, mais de manière très générale. C'est ainsi que dans la Charte européenne de l'autonomie locale du 15 octobre 1985, un considérant était ainsi rédigé : « Le droit des citoyens de participer à la gestion des affaires publiques fait partie des principes démocratiques communs à tous les états membres du conseil de l'Europe. »

Le terme se retrouvait dans la loi du 7 janvier 1983 : « Les communes, les départements et les régions constituent le cadre institutionnel de la participation des citoyens à la vie locale ».

A la veille de l'anniversaire de la loi du 2 mars 1982, le gouvernement souhaitant aller plus loin en matière de décentralisation instaure la commission « pour l'avenir de la décentralisation , présidée par Pierre Mauroy qui, dans un rapport intitulé « Refonder l'action publique locale » remis le 17 octobre 2000, proposera une relance forte de la décentralisation.

Dans la rubrique « Engagement des citoyens », il est proposé tout d'abord une meilleure information des habitants, puis une plus grande implication des habitants dans le débat de proximité. Les citoyens doivent non seulement être informés sur le fonctionnement des institutions publiques, mais ils doivent également participer au débat public et pour ce faire la commission formulait huit propositions :

  1. La création de structures de proximité pour les débats, les échanges sur les projets concernant les habitants ;
  2. La création dans les communes de plus de 20 000 habitants, de conseils de quartier ;
  3. La revalorisation du rôle des élus de proximité en leur confiant des responsabilités dans les quartiers ;
  4. La désignation des membres des conseils de quartier parmi les associations et les habitants reconnus pour leur engagement ;
  5. L'attribution de financement déconcentré par un élu local désigné par le maire en liaison avec le conseil de quartier ;
  6. L'ouverture de « crédits / temps » pour les citoyens investis dans des structures de proximité ;
  7. La mise en œuvre d'un financement pluriannuel des associations ;
  8. La reconnaissance du rôle institutionnel des instances participatives des habitants dans les structures officielles.

De plus, la commission prônait la concertation sur les projets d'intérêt général, en précisant que la concertation doit se faire au moment opportun et non pas lorsque le projet est très avancé.

Compte tenu du contexte politique, seules quelques dispositions relativement anodines seront reprises dans la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité, dont le ministre de l'Intérieur Daniel Vaillant déclarait : « Il s'agit d'une nouvelle étape de la décentralisation fondée sur l'idée de démocratie de proximité, favorisant l'expression de la citoyenneté au niveau local et sur celle d'une démocratisation des mandats locaux ». Il précisait l'objet de cette loi : « L'approfondissement de la démocratie locale en ayant pour objectif une plus grande participation des habitants à la vie publique et une amélioration concomittante des conditions d'exercice de la démocratie représentative. »

La loi constitutionnelle du 28 mars 2003

C'est à la suite de l'adoption de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003, relative à l'organisation décentralisée de la République, et des lois organiques y afférentes, que l'on va trouver dans le Code général des collectivités territoriales (CGCT) une présentation un peu plus méthodique des éléments de la démocratie participative.

Dans la première partie « Dispositions générales », le livre 1er « Principes généraux de la décentralisation » comporte un chapitre 2 intitulé « Participation des électeurs aux décisions locales » subdivisé en deux sections :

  1.  Référendum local
  2. Consultations des électeurs.

Dans la deuxième partie « La commune », le livre 1er « Organisation de la commune » comporte un titre IV « Information et participation des habitants » avec après un chapitre « Dispositions générales », un chapitre intitulé « Participation des habitants à la vie locale » qui évoque les conseils de quartier, les comités consultatifs et la commission pour l'accessibilité des personnes handicapés et un autre chapitre intitulé « Services de proximité » qui évoque les mairies annexes et les locaux pour associations, syndicats ou partis politiques.

Il est à noter que l'expression démocratie participative ne se retrouve toujours pas en tant que telle dans les textes législatifs et réglementaires. Mais nous avons des règles correspondant à une démarche qui vise à impliquer plus fortement le citoyen dans l'exercice du pouvoir politique au niveau local.

Les élus doivent admettre qu'il faut créer des occasions d'échanges, de débats, d'information avec la population avant de décider.

Représentation et participation doivent aller de concert en reconnaissant d'une part les élus comme décideurs garants de la mise en œuvre du projet commun et du respect des intérêts collectifs et en reconnaissant d'autre part, les citoyens comme force de proposition et d'évaluation.

Pour ce faire, il est nécessaire de dégager les objectifs assignés à cette démocratie participative et d'en dégager les degrés.

Des objectifs et des degrés de la démocratie participative

Là aussi, c'est le pragmatisme qui prime. Les objectifs peuvent être ramenés à trois : le premier est fonctionnel, le deuxième social et le troisième démocratique.

Améliorer la gestion locale

Le premier objectif est d'améliorer la gestion locale, en partant de l'idée que « mieux gérer, c'est gérer plus près et gérer avec ». Si l'on est dans la proximité, la connaissance des besoins de la population sera plus pertinente. La communication entre les élus et les administrés, entre les techniciens et les usagers sera plus directe. Le savoir pratique des habitants sera pris en compte : où doit passer une ligne de transport, où faut-il implanter une aire de jeux pour petits, où positionner un passage piéton ? Il ne faut pas avoir peur de partir du quotidien, d'être « au ras des pâquerettes ». Certains dénigrent les réunions de quartier dont des esprits blasés estimeront que les débats se situent au niveau des crottes de chien. N'oublions pas cette remarque de bon sens : c'est quand les trottoirs sont sûrs et propres que l'on peut, en confiance, lever les yeux pour regarder plus loin.

L'échange entre élus et habitants doit permettre d'optimiser la rationalité des solutions proposées et des décisions, ainsi que d'anticiper les conflits et de les désamorcer autant que faire se peut.

Nous verrons sûrement dans les interventions suivantes et dans les tables rondes que la transversalité des services municipaux et la territorialisation des responsabilités des élus et des techniciens permettent d'atteindre des résultats sensibles.

Agir sur le lien social

A travers l'implication des habitants, la cohésion sociale sera améliorée et permettra la communication et la discussion entre les différents groupes et les individus. Et si l'on pense à certains dispositifs de la politique de la Ville, on cherchera à reconstituer une solidarité et à faire participer ceux qui habituellement s'excluent ou sont exclus.
Il ne faut pas trop idéaliser : les possibilités de conflits ne doivent pas être sous-estimées et si les conflits s'expriment, il ne faut pas automatiquement analyser ou vivre cette situation comme un échec.
Il faut faire attention à ce que les groupes ou associations les mieux organisés ne cherchent pas à tirer profit de la dynamique de la mobilisation pour majorer leur influence.

Favoriser la démocratie

Certains parlent de démocratiser la démocratie. Il s'agit de rapprocher les élus des citoyens et de les mobiliser sur des enjeux immédiats et concrets. Les élus vont devoir témoigner de leur aptitude à dialoguer et à se rapprocher des habitants.
Il peut aussi s'agir de réassurer la légitimité des représentants. Les élus sont à la recherche de nouvelles manières d'entrer en relation avec les citoyens ; ils veulent renouer des liens distendus ou fragilisés.

Les élus vont devoir mettre en œuvre de nouveaux savoir-faire, des compétences d'écoute, d'animation et de modérateur. Cela d'autant plus que les élus, pendant longtemps, ont été considérés comme seuls porteurs et défenseurs de l'intérêt général et donc, seuls susceptibles d'élaborer une vision d'ensemble à l'échelle de la ville et à définir ce que requiert l'intérêt général, alors que les citoyens étaient considérés comme défenseurs d'intérêts particuliers et ne pouvant appréhender les problèmes que de manière parcellaire comme usager d'un service public, ou habitant d'un quartier, ou membre d'une association. Maintenant les intérêts particuliers sont reconnus comme légitimes et doivent être pris en compte par les élus pour se rapprocher des citoyens et permettre à ceux-ci d'être proches entre eux.

Quels outils ?

Pour atteindre ces objectifs, il existe divers outils, que nous n'allons pas examiner ici, maître De Castelanau nous en parlera dans un instant, mais nous allons brièvement passer en revue les divers degrés ou les divers niveaux où peut se situer la démocratie participative.

Dans un ordre croissant, sont le plus souvent distingués : l'information, la consultation, la concertation, la décision.

  • L'information, qui est parfois considérée par certains comme le degré zéro de la participation permet de se forger un avis. L'information est le préalable nécessaire à toute forme de participation, c'est un droit reconnu par l'article L 2141-1 du C.G.C.T. : « Le droit des habitants de la commune à être informés des affaires locales et un principe essentiel de la démocratie locale ».
  • La consultation, qui est aussi reconnue comme un droit dans le même article, permet de rassembler les avis de la population sur des sujets qui la concerne et de les faire remonter aux élus.
  • La concertation permet d'engager le débat, va générer des échanges où l'habitant est considéré comme un interlocuteur et les décisions prises vont prendre en compte les points de vue exprimés.
  • La décision : si l'on pense au référendum local, on doit se poser la question de savoir si nous nous trouvons toujours dans le cadre d'une démocratie participative, complémentaire de la démocratie représentative. C'est probablement le cas si l'initiative référendaire est réservée aux seuls élus, mais si les citoyens se voient reconnaître en la matière le pouvoir d'initiative et le pouvoir décisionnel, la démocratie sera plus que participative.

Il y a, non plus changement de degré, mais changement de nature. Il faudra être plus explicite, et pour caractériser cette situation, et pour trouver une nouvelle dénomination.

Ce sera le seuil à franchir qui permettra selon une formule du professeur Sadran « d'abandonner les procédures qui donnent le change, pour passer aux procédures qui changent la donne ».

Première publication de cet article sur le Courrierdesmaires.fr : février 2009

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