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Le droit est-il une arme pour lutter contre la pollution de l’air ? Oui, estime certains Français qui – par leurs recours devant la justice administrative – tentent de pousser les pouvoirs publics à renforcer leurs objectifs, ou du moins mettre leurs actes en cohérence avec les ambitions qu’ils affichent. Estimant que les élus locaux disposent « de leviers qu’ils actionnent insuffisamment aujourd’hui, pour des raisons plus ou moins légitimes », Marianne Moliner-Dubost décrypte les conséquences qu’auront ces procès.
Le mouvement international pour une justice climatique, parti de l'étranger, gagne actuellement la France. A l'instar de cette famille francilienne ayant fait condamner l'Etat le 25 juin dernier pour le niveau alarmant de pollution suite à un recours en responsabilité, de plus en plus de citoyens poussent les pouvoirs publics à mettre leurs actes en cohérence avec les ambitions qu'ils affichent. Dans quelle mesure ces requérants parviendront-ils à faire évoluer notre droit, et notre environnement ? Éléments de réponse avec la maître de conférences en droit public, Marianne Moliner-Dubost (Lyon 3).
Courrier des maires : quelles conséquences le jugement du Tribunal administratif de Montreuil aura-t-il sur les pouvoirs publics français ?
Marianne Moliner-Dubost : La requérante sollicitait des dommages et intérêts en réparation de ses pathologies respiratoires qu’elle imputait à la mauvaise gestion de la qualité de l’air en Ile-de-France. Le tribunal administratif (TA) de Montreuil a reconnu que l’insuffisance du plan de protection de l’atmosphère (PPA) d’Ile-de-France engage la responsabilité de l’Etat français. En ayant pas su faire respecter les valeurs limites fixées par la directive Air pur pour l’Europe de 2008, le préfet a commis une faute.
Cela n’a pour autant pas suffi pour que la requérante obtienne une réparation, faute d’avoir pu établir un lien de causalité direct et certain entre la faute et le préjudice. Mais, à l’avenir, si d’autres requérants réussissaient à prouver l’existence d’un lien causal entre leurs pathologies et la mauvaise gestion de la qualité de l’air, les indemnisations pourraient rapidement atteindre des montants non négligeables.
Suffira-t-il demain de signer des plans de protection de l’atmosphère ou autres documents règlementaires plus ambitieux ?
Non. Ce jugement complète la décision du Conseil d’État du 12 juillet 2017 (Les Amis de la Terre France) ((La décision du Conseil d’État du 12 juillet 2017 (Les Amis de la Terre France) tirait elle-même les conséquences d’un arrêt préjudiciel de la CJUE de 2014 (CJUE 19 nov. 2014, ClientEarth) interprétant les termes de la directive air pur pour l’Europe du 21 mai 2008.)). Celui-ci a enjoint le gouvernement de réaliser de nouveaux plans de protection de l’atmosphère plus efficaces, afin de « ramener les concentrations en dioxyde d’azote et particules fines PM10 sous les valeurs limites dans le délai le plus court possible. » Mais l’élaboration de tels plans couvrant l’ensemble du territoire national ne saurait permettre de considérer que l’Etat satisfait effectivement aux obligations qui s’imposent à lui. Il ne suffit pas d’adopter des documents règlementaires ambitieux sans se soucier de leur caractère opérationnel ni de leur application effective sur le terrain…
[caption id="attachment_82686" align="alignright" width="282"] Marianne Moliner-Dubost est Maître de conférences en droit public à l'université Jean Moulin - Lyon 3[/caption]
Pourquoi un tel changement de paradigme ?
Nous avons bien perçu toutes les limites des plans de protection de l’atmosphère et l’insuffisance des mesures prises jusqu’ici pour remédier au dépassement des valeurs limites. Et pour cause : les leviers n’appartiennent pas tant à l’Etat qu’aux collectivités. Elles doivent agir sur les mobilités, l’urbanisme, l’habitat afin de réduire le nombre et la durée des déplacements, la consommation des terres agricoles et la lutte contre la perte de biodiversité. C’est un problème qu’il faut voir globalement. Les collectivités ne peuvent pas constamment renvoyer la faute vers l’Etat et attendre qu’il agisse seul sur ce problème.
La future loi d’orientation des mobilités (LOM) contraindra-t-elle les pouvoirs publics, et notamment les collectivités locales, à agir efficacement ?
Elle devrait en tout cas prévoir l’automaticité des restrictions à la circulation, et spécialement de la circulation différenciée, en cas de pic de pollution. Cela étant, la plupart des automobilistes choisissent massivement, semble-t-il, de braver l’interdiction de circuler vu le peu de risques d’être contrôlés et verbalisés.
Une avancée plus conséquente concerne la création obligatoire de « zones à faibles émissions mobilité » avant le 31 décembre 2020 dans les agglomérations connaissant des dépassements récurrents des valeurs limites et spécialement de NOx et de PM10. L’interdiction de circuler sera, dans ces zones, permanente pour les véhicules les plus polluants. Moyennant des actions d’information adaptées et un strict contrôle, au moins au début, des véhicules en circulation dans la zone, la compliance devrait être bien meilleure et donc les résultats plus probants.
Faut-il responsabiliser davantage les collectivités ?
Les flux de circulation représentent un problème insoutenable dans nombre de villes, mais les restreindre est impopulaire, politiquement et socialement… Les exécutifs locaux disposent déjà de divers outils pour réduire la circulation et les pollutions : zones à circulation restreinte, plans de déplacements urbains, offre et tarification du stationnement, développement de l’autopartage et du covoiturage, mise à disposition de vélos en libre-service, création d’un service public de transport de marchandises et de logistique urbaine, etc.
Pourquoi ce projet de loi LOM vous semble-t-il si crucial ?
Tirant sans doute les leçons de l’échec des plans de protection de l’atmosphère (PPA), le projet de loi d'orientation des mobilités prévoit une sorte de passage de relais de l’État aux collectivités. Objectif : mobiliser la Métropole de Lyon, les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre (EPCI-FP) regroupant plus de 100 000 habitants, et ceux dont le territoire est en tout ou partie couvert par un PPA. Ces collectivités devront élaborer un plan d’action pour respecter les normes de qualité de l’air dans les délais les plus courts possibles et au plus tard en 2025. Si les objectifs biennaux de réduction des émissions de polluants atmosphériques fixés par les PPA ne sont pas atteints, le plan d’action devra être renforcé dans un délai d’un an.
Il est logique que l’Etat renvoie la charge aux collectivités, pour mettre en œuvre les mesures sur le terrain – ce qu’elles sont aussi censées faire avec la mise en œuvre d’outils de planification intégrée comme le SRADETT et le PCAET.
Cette judiciarisation de l’écologie menacera-t-elle, demain, les collectivités ?
L’exemple des contentieux climatiques montre que la judiciarisation n’est jamais exclue et qu’elle devient même une option pour faire bouger les choses, pour contraindre en quelque sorte les autorités compétentes à agir efficacement. Il pourrait en aller de même s’agissant de la qualité de l’air, qui mobilise des compétences très transversales (mobilités, circulation, habitat, urbanisme…).
Les collectivités ont un rôle très important à jouer même si elles ne sont pas seules. On peut évoquer la responsabilité d’autres acteurs, à commencer par les porteurs de projets : il est à ce titre regrettable que de plus en plus de projets soient exclus du champ de l’étude d’impact. Et quid du rôle du juge administratif : ne devrait-il pas, lors du contrôle de la déclaration d’utilité publique (DUP) des grands projets d’infrastructures de transport routier conférer une plus grande importance aux considérations environnementales dans le contrôle du bilan ? L’exemple du contournement Ouest de Strasbourg montre qu’il existe une bonne marge de progression !