Christian Le Bart, professeur de sciences politiques à l’IEP de Rennes
© C. Le Bart
Spécialiste de la gouvernance locale, Christian Le Bart, professeur de sciences politiques à l’IEP de Rennes, analyse les réactions des maires au mouvement des gilets jaunes, leur rôle dans le grand débat et comment les demandes de démocratie participative pourraient impacter leur (prochain) mandat.
Comment les maires réagissent-ils face au mouvement persistant des gilets jaunes ?
Christian Le Bart : La réaction est très variable en fonction de la taille de la commune, de l’étiquette des élus. Comme à peu près tout le monde, les maires ont été pris de court par un mouvement qui certes les touchait, car il avait lieu sur les ronds-points de leurs villes, mais en même temps les ignoraient. Dans un premier temps, ils ont été spectateurs un peu dubitatifs, puis ils y ont vu un écho aux sonnettes d’alarme qu’ils avaient tirées eux-mêmes auprès de l’exécutif sans succès. S’est ensuivi le sentiment d’une victoire symbolique à la vue du chef de l’Etat devant rentrer dans le jeu. Mais en même temps, beaucoup considèrent le Grand Débat comme une « patate chaude » entre leurs mains…
Sont-ils encore préservés de la vindicte contre les élites politiques ?
Regardons les résultats du Cevipof : ils restent relativement épargnés. On est passé d’une agressivité très centralisée sur la personne de Macron à une détestation plus large du personnel politique de LREM avec des permanences qui ont été des cibles, et des mises en cause personnelles. Mais plutôt des parlementaires que les maires. Ceux-ci sont passés entre les gouttes, car aucun n’a été élu sous l’étiquette En marche et les revendications portaient sur des compétences qui ne relèvent pas des élus locaux : le salaire minimum, le prix du gazole, etc.
Les gilets jaunes et les citoyens-consommateurs faisant pression sur leurs élus locaux sont-ils les deux faces d’une même pièce ?
Tout ça s’inscrit dans un contexte globalement de défiance vis-à-vis des institutions et de ceux qui les représentent. Cela ne veut pas dire qu’on n’apprécie pas le maire, mais on va l’interpeller, l’apostropher de manière très familière, sans aucune déférence vis-à-vis de la fonction, en exigeant des réponses immédiates. Et l’élu est de plus en plus sollicité sur la base de revendications très individuelles, avec des revendications atomisées et qui s’assument comme telles. C’est un « Nous » qui se construit par simple juxtaposition de semblables.
Quel rôle les maires peuvent avoir dans la sortie de crise ? Celui de catalyseurs du grand débat ?
L’exécutif n’est pas très clair : à la fois, il est dit que le débat aura lieu à l’échelle des communes, dans les territoires, à l’initiative des maires, mais leur rôle sera-t-il d’apporter les clés de la salle des fêtes ? De poser les questions ? D’animer le débat, voire d’être destinataires des doléances… Ils sont partagés entre envie d’y aller, participation par loyauté républicaine ou sentiment qu’ils font déjà ça au quotidien.
Comment expliquer le relatif échec des modes des consultations locaux comme le référendum ?
Il est effectivement très peu utilisé. D’abord par les élus, qui y voient un instrument ponctuel de leadership parmi d’autres, un outil stratégique. Mais les citoyens également y ont très peu recours, ce qui est étonnant, alors qu’on peut demander une consultation avec 10 % du corps électoral de la région, 20 % de la commune. Cette absence de recours témoigne du caractère éruptif, fiévreux, du mouvement des gilets jaunes, en discontinuité par rapport au passé, et constitué de gens qui ont envie d’être associés à des choix plus fondamentaux, décisifs. Or, si la démocratie locale s’est beaucoup renouvelée, la démocratie nationale beaucoup moins, restant sur un mode monarchique.
Reconnaissance du vote blanc, tirage au sort : comment interpréter ces revendications tardives des gilets jaunes ?
Les observations des gilets jaunes sont nées des difficultés très réelles de fin de mois, dans cette France périurbaine des petits lotissements. Petit à petit, les revendications ont glissé vers des choses très politiques dans une logique poujadiste - suppression du Sénat, baisse du salaire des ministres -, puis encore vers des demandes très institutionnelles, dont le vote blanc.
J’ai du mal à imaginer qu’on parle sur les ronds-points de la proportionnelle, des modes de scrutins. Ce ne sont pas les mêmes personnes qui portent ces revendications institutionnelles, cela témoigne d’un élargissement du mouvement.
Les élus locaux vont-ils eux aussi devoir apprendre à gouverner leur commune de manière différente ?
On est face à deux hypothèses : la première, celle d’une démocratie participative accentuée, systématisée. La seconde : une parenthèse qui sera refermée, les choses revenant à l’ordre d’hier.
D’autant que les dispositifs, localement, sont déjà là. Il n’est pas certain qu’on assiste à une recrudescence de pétitions pour demander des référendums locaux.
Quelle influence va avoir ce mouvement sur les municipales 2020 ?
Cela dépend de la manière avec laquelle les gilets jaunes vont se positionner : formeront-ils des listes municipales ? Des gens auront-ils acquis un capital politique dans cette lutte, notamment dans les villes moyennes ? De nouveaux acteurs émergents ou gilets jaunes vont-ils rejoindre d’autres listes ? Les élus candidats vont a minima surfer sur la vague démocratique et la consultation des citoyens. Enfin, le mouvement va bouleverser la question des investitures : il y a un an débutait déjà la course à l’étiquette LREM avec des conversions d’élus parfois naturelles, sinon opportunistes. Désormais, les listes En marche risquent fort d’être démonétisées et le parti du président aura du mal à présenter des listes complètes : il y a peu de chances de voir des listes autonomes affichant l’étiquette LREM.
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