Elizabeth Johnston, déléguée générale du Forum européen pour la sécurité urbaine (Fesu)
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Elizabeth Johnston, déléguée générale du Forum européen pour la sécurité urbaine (Fesu), décrit l'esprit et les lignes de force de la déclaration d’Aarhus, adoptée, le 18 novembre par son organisation et par le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe. Cinq jours après les attentats de Paris, cette prise de position pose les bases d’une alliance des villes européennes face à l’extrémisme violent.
Courrierdesmaires.fr. Le Forum européen pour la sécurité urbaine((Réseau européen de 300 collectivités locales crée en 1987 à Barcelone, à l'initiative de Gilbert Bonnemaison, ancien maire d'Epinay-sur-Seine, et avec le soutien du Conseil de l'Europe, l’objectif du Forum européen pour la sécurité urbaine est de renforcer les politiques de prévention de la criminalité et de promouvoir le rôle de l'élu dans les politiques nationales et européennes.)) et le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux se sont retrouvés à Arhus (Pays-Bas) sur le thème « Autorités locales et régionales européennes face à l’extrémisme violent », le 18 novembre, 5 jours après les attentats de Paris. Une coïncidence ?
Elizabeth Johnton. Non. Nous travaillons sur ce sujet depuis plusieurs années. Ces événements tragiques s’inscrivent dans le contexte d’autres attaques. La conférence d’Aarhus était prévue de longue date. Et la déclaration que nous avons adoptée à cette occasion souligne qu’il s’agit d’un travail à long terme.
Quelle veut être la portée de la déclaration ?
E. J. Elle veut inviter les collectivités qui ne sont pas encore mobilisées à s’emparer de la question de la lutte contre la radicalisation à travers un réseau d’entraide européen. Il s’agit de créer une nouvelle structure, informelle, qui regroupe le Fesu et le Congrès des pouvoirs locaux sur cette thématique.
A travers cette alliance, les élus locaux pourront mieux se faire entendre des pouvoirs nationaux et européens. Toutes les instances européennes reconnaissent l’importance du niveau local, mais elles ont besoin d’interlocuteurs constitués.
L’alliance, qui devrait être constitué en 2016, lors du Sommet des maires de Rotterdam, parlera d’une voix afin que le niveau local soit représenté dans la coopération nationale et européenne.
La déclaration a été transmise aux commissaires européens concernés et au coordinateur pour la lutte contre le terroriste, Gilles de Kerchove.
A terme, il s’agit de construire un discours et des pratiques collectives face à des réseaux criminels. Que Saint-Denis, Molenbeek, Paris, Aarhus aient un discours commun par rapport à des populations et des réseaux très mobiles.
Vous avez le projet de constituer un réseau européen. Pourquoi ?
E. J. Les collectivités ne peuvent être expertes seules. D’où la nécessité d’un réseau pour apporter des idées, l’inspiration par les pairs, pour apprendre par l’expérience des autres. La déclaration porte le nom de la ville d’Aarhus, une ville posée comme modèle dans la prévention de la radicalisation.
Le réseau pourra aussi donner conscience aux élus du rôle qu’ils ont à jouer. Ils peuvent s’adresser au ministre concerné, pour s’inscrire de façon proactive dans la dynamique nationale.
A terme, il s’agit de construire un discours et des pratiques collectives face à des réseaux criminels. Que Saint-Denis, Molenbeek, Paris, Aarhus aient un discours commun par rapport à des populations et des réseaux très mobiles.
La tendance est à moins d’Europe et nous récoltons les fruits du désinvestissement de l’Europe.
En quoi la dimension européenne du réseau est-elle nécessaire, alors que les pouvoirs de police et de justice sont nationaux ?
E. J. Sur un thème comme celui de la radicalisation, c’est un non-sens de ne pas travailler au niveau européen. Dans ce domaine, il n’y a pas de frontière entre la Belgique et la France, entre Molenbeek et Saint-Denis.
Cela n’a pas de sens de rester centré sur des approches nationales alors que les événements plaident pour une plus grande intégration au niveau européen.
On s’étonne du manque d’échanges d’informations et de données au niveau des enquêtes policières et judiciaires. Il faut en tirer les conséquences.
La question se pose de la même façon concernant la nécessité de l’implication des villes…
E. J. La France a parfois eu dans le passé du mal à reconnaître les collectivités locales comme échelon pertinent de la prévention et de la lutte contre la radicalisation. Elle a une vision policière et judiciaire de la question qui fait appel à l’échelon national.
Pourtant, la prévention et l’accompagnement des familles dans les quartiers et les villes est portée par le niveau local, bien que ce soit peu visible. En Belgique, les maires ont plus de moyens sur la police et on attend plus d’eux.
Il y a des foyers de radicalisation dans les lieux les plus improbables. Il ne faut pas jeter l’opprobre sur telle ou telle collectivité.
La faillite des élus de Molenbeek est dénoncée. N’est-il pas risqué de se reposer sur les villes ?
E. J. Il faut être humble sur cette question. Il y a des foyers de radicalisation dans les lieux les plus improbables. Il ne faut pas jeter l’opprobre sur telle ou telle collectivité.
Nous sommes face à de vrais réseaux mondiaux et européens, face à une criminalité mouvante. C’est pourquoi nous plaidons pour un réseau européen de prévention, pour une vision ancrée sur les territoires et dans la dimension européenne.
La fermeture des frontières, réclamées par certains, ne serait-elle pas une solution ?
E. J. Non, elle ne serait pas réaliste. Elle ne correspond pas à l’Europe que nous voulons pour l’économie, le commerce, le tourisme.
N’oublions pas que ces réseaux criminels ne sont pas dans la légalité. Ils trouveront toujours le moyen d’échapper à la fermeture des frontières. Celle-ci serait inefficace et pénaliserait tous les aspects positifs de l’Europe.
Si ces événements tragiques ne sont pas accompagnés par les collectivités, il y a un risque réel d’augmentation du rejet de l’autre, des discriminations.
Les attentats sont-ils un risque pour la cohésion sociale ?
E. J. Oui. Si ces événements tragiques ne sont pas accompagnés par les collectivités, il y a un risque réel d’augmentation du rejet de l’autre, des discriminations.
Les villes doivent assumer un rôle pédagogique et rappeler que la radicalisation intervient dans différents contextes, comme la radicalisation d’extrême-droite, faire en sorte qu’un effet secondaire des attentats ne soient pas la montée des discriminations.
Comment les villes doivent-elles s’organiser ?
E. J. Il n’y a pas de profil type du radicalisé. Et donc pas de recette pour la prévention. Les stratégies locales de prévention de la radicalisation doivent être ciblées sur l’individu, et s’inscrire dans une politique de prévention plus générale.
Quand une ville identifie une personne à risque, elle doit mobiliser les moyens qui font partie des dispositifs de prévention existants, comme le soutien aux familles, la mobilisation des associations, des écoles. Pas la peine d’inventer de nouveaux moyens.
Il faut former les élèves, mais aussi les adultes à l’esprit critique. Il faut aider ce public à déconstruire le discours de radicalisation. Les collectivités peuvent repérer les personnalités qui ont une voix crédible pour cette déconstruction. Elles disposent aussi d’espaces pour aborder ces sujets : écoles, centres aérés, maisons de quartier.
Le Fesu organise régulièrement des formations sur la prévention de la radicalisation violente pour les techniciens et les élus. La prochaine aura lieu à Paris, les 16 et 17 décembre.