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Candidat aux élections départementales de 2015, un maire a fait preuve d'une attention particulière pour les électeurs âgés... en leur distribuant via le CCAS qu'il préside, durant l'hiver 2014, dix fois plus de colis de Noël qu'en 2013. Et ce, sans conditions de ressources ! Une telle générosité, loin d'avoir ému la justice administrative, a poussé le Conseil d'Etat à fortement pénaliser l'élu.
Par Jean-Louis Vasseur, avocat à la cour, cabinet Seban et associés
A l'approche d'élections départementales, le maire d'une commune d'environ 4 000 électeurs juge à propos, puisqu'il fait partie du binôme candidat localement, de faire preuve d'une attention particulière pour les électeurs âgés. Ainsi fait-il distribuer aux personnes de 70 ans et plus, grâce au CCAS qu'il préside, dix fois plus de colis de Noël que d'habitude. En 2013, 80 colis avaient été distribués, sous conditions de ressources. Durant l'hiver 2014, 834 colis seront offerts, sans aucune condition de ressources. Petit exercice de statistique électorale : les 80 colis de Noël de 2013 concernaient 2 % des électeurs ; ceux de 2014 en ont touché près de 21 %. Et cela, sans compter les retombées sur les familles et l'entourage des heureux récipiendaires des largesses du maire.Belle opération à la vérité.
A l'issue du scrutin de mars 2014, le binôme conduit par le maire l'emporte sur le binôme adverse aux élections départementales, avec un écart de 186 voix dans le canton, dont 148 dans la commune où a eu lieu la distribution de cadeaux de Noël - justement celle du maire et candidat au siège de conseiller départemental.Si le Père Noël avait voulu s'engager dans la vie politique, il aurait pu briguer les mandats les plus prestigieux, à la condition, sans doute, d'abaisser d'une grosse dizaine d'années le droit de vote.
Hélas pour les généreux distributeurs de colis, certains ne se montrent pas toujours reconnaissants. Et disposent d'arguments juridiques pour le prouver. Le binôme arrivé en seconde position n'a pas apprécié, et l'un de ses candidats a déposé une protestation électorale devant le juge administratif dans le bref délai qui lui était imparti pour le faire. Un peu plus de sept mois plus tard, le juge lui a donné partiellement satisfaction en annulant les élections du fait de la manœuvre commise par le maire et de l'altération qu'elle a apportée à la sincérité du scrutin.
Imperméable à la magie de Noël, il a rejeté le compte de campagne du binôme du maire, en fixant à 0 euro la somme que l'Etat rembourserait aux candidats déchus. Le jugement n'a évidemment pas satisfait le maire, qui a aussitôt fait appel de la décision devant le Conseil d'Etat. Il n'a pas satisfait non plus la requérante, qui a estimé que le juge devait déclarer le maire inéligible. Elle a donc interjeté appel également.
Le Conseil d'Etat a rendu son arrêt sept mois plus tard. Il confirme l'annulation de l'élection. Et déclare inéligibles le maire et l'autre membre de son binôme durant six mois chacun, en se fondant pour cela sur le fait que l'irrecevabilité (jusqu'à trois ans) peut être prononcée dès lors que le juge constate, par lui-même, un manquement grave et délibéré à une règle substantielle en matière de financement des campagnes, en l'occurrence la violation de l'article L.52-8 du Code électoral prohibant toute aide ou don d'une personne morale à des candidats.
Le Conseil d'Etat a sanctionné également le second membre du binôme, qui pourtant n'avait pas pris place dans le traîneau, en indiquant que le juge ne fait là que tirer les conséquences des manquements commis par l'autre membre du binôme. Autrement dit, en binôme on est bien dans une situation égalitaire !