Magazine municipal
La recomposition du paysage de l’information locale aiguise l’appétit de certaines collectivités locales qui, soucieuses de rendre lisible et visible leur action, ont dopé leurs bulletins municipaux ces dernières années. Face aux difficultés rencontrées par les médias locaux, certains journalistes rejoints par des élus appellent tout de même à encadrer la ligne éditoriale des bulletins édités par les collectivités, afin de mieux différencier l’information locale et territoriale, ainsi qu’à revoir leur mode de financement pour atténuer les situations de concurrence.
«Les journalistes ne disposent plus tous des moyens suffisants pour expliquer en profondeur les ressorts de l’action publique locale. Nous autres, élus, ne devons pas hésiter, dans ce contexte, à prendre leur relais », enjoint le maire (DVD) de Saint-Gilles-Croix-de-Vie, François Blanchet. Face au peu d'écho trouvé selon eux par leurs collectivités dans la presse – nationale comme locale -, plusieurs élus de villages et villes petites ou moyennes revendiquent d'expliquer par eux-mêmes les enjeux politiques locaux.
La plupart ont ainsi augmenté la pagination, professionnalisé et renforcé la parution de leurs bulletins municipaux, à grands renforts d’argent public. Certains ont même recruté d'anciens journalistes pour piloter ces magazines, auxquels ils ont adjoint diverses applications, hors-séries, sites internet et réseaux sociaux (Facebook Lives, streaming de conseils municipaux, etc). « On ne fait plus seulement parler le maire ou ses amis, mais aussi les habitants. Les bulletins municipaux ou communautaires ne sont plus tant une profession de foi permanente qu'une contribution au débat public » vante Alain Doudiès.
Professionnalisation de la com' publique
Ce consultant en communication publique, adhérent de la première heure de Cap’Comm, ne cache pas qu'« il peut encore y avoir la tentation chez certains directeurs de cabinet de présenter le maire sous son meilleur jour ici ou là. Mais les communicants ne sont plus les obligés de la collectivité ; nous sommes moins suivistes des élus, sincèrement. L’information territoriale d'aujourd’hui, ce n’est ni la Pravda ripolinée, ni l’hostilité mécanique, de principe » reprend cet ancien directeur de la communication du sud de la France, après avoir été rédacteur en chef du Midi Libre.
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On retrouve certes de plus en plus de dossiers thématiques éclairant les politiques publiques dans les bulletins municipaux. Ils s'avèrent utiles pour rappeler aux habitants qui nous lisent qu’ils sont aussi citoyens. Impossible, pour autant, de les comparer avec la presse locale ! Cela reste de la communication. Il s’agit avant tout de supports destinés à faire accepter la politique mises en œuvre par les maires, singulièrement orientés » reconnaît, pour sa part, Bernard Combes, le maire (ex-PS) de Tulle, inquiet des difficultés des principaux médias locaux. Le maire (PS) de Riec-sur-Belon, et vice-président de l’AdCF, Sébastien Miossec pointe, lui, le « manque de représentativité » des bulletins, qui « ne respectent pas la règle du contradictoire – un des fondamentaux du journalisme avec la vérification de l’information. » Autrement dit : impossible d'imaginer remplacer numériquement un journaliste professionnel par un communicant public.
Des supports « orientés »... qui valent mieux que la « désinformation »
« Ceux qui taxent les communicants de ne pas être objectifs n’ont pas complètement tort, mais ces bulletins permettent aux habitants de comprendre pourquoi la majorité municipale a engagé tel ou tel projet. Et peut-être de se ré-intéresser, par ce biais, à la vie politique locale », assume François Blanchet, pour qui « il n’y a rien de pire que la désinformation. » Selon cet ex-journaliste à Nantes et en Vendée, qui a co-financé récemment une résidence d'éducation aux médias à Saint-Gilles, plus il existe de supports d’« information », mieux la démocratie locale se porterait, donc…
La directrice générale du Parisien en doute. « La communication des collectivités, leurs bulletins, sites et réseaux sociaux sont la plus grosse concurrence que doit affronter la presse écrite locale » rétorque Sophie Gourmelen, à l'occasion de Médias en Seine : « de plus en plus d’habitants se contentent de la communication territoriale – accessible gratuitement puisque déjà payée par leurs impôts… La profusion d’informations pratiques qu’on y trouve rend les habitants moins enclins à acheter leur journal ou s’y abonner ». Appelant les collectivités à « informer avant de communiquer », le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (SPIIL) les incite, dans cette optique, à faire preuve de « transparence » dans leurs dépenses de communication. Il va même jusqu’à imaginer limiter ce budget à un certain montant annuel par habitant.
Une source d’informations pratiques ne pouvant « se suffire à elle-même »
Quelques élus comme Sébastien Miossec veillent déjà à ce que l’envolée des dépenses de communication ne se fasse pas au détriment des médias locaux. « Si la PQR prenait la décision de ne plus couvrir certaines zones du territoire faute de moyens, il nous faudrait revoir de fond en comble la ligne éditoriale des bulletins municipaux. Ce ne serait pas bon pour la démocratie qu'il ne reste plus que ça aux habitants pour s’informer localement… ni même pour les élus », s’inquiète celui qui président également Quimperlé communauté : «La communication directe des collectivités et des équipes municipales est utile, mais ne peut en aucune manière se suffire à elle-même. »
« Les citoyens doivent pouvoir disposer à minima d’une autre source d’information que le bulletin municipal. C’est un impératif démocratique ! Y compris pour les collectivités, qui ont besoin de critiques, de la distance et du regard extérieur des journalistes » finit également par admettre l’ex-Dir’Comm, Alain Doudiès, lorsqu’on le pousse dans ses retranchements.
Atténuer les risques de concurrence entre communication et journalisme
Outre l’encadrement de la ligne éditoriale des bulletins municipaux et la neutralisation de leur dimension électoraliste, le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne – particulièrement vigilant sur la vitalité de la démocratie locale - suggère d’en interdire le financement par les entreprises locales. Au motif que cela accentuerait les distorsions de concurrence avec les médias indépendants locaux, aux modèles économiques souvent fragiles et dépendants pour certains de la publicité, explicite sa présidente, la journaliste Cécile Dubois.
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Le SPIIL reprend là, ce faisant, une proposition faite pour d’autres raisons par l’ex-député (LR) et toujours maire d’Hyères, Jean-Pierre Giran : « Si une entreprise du bâtiment vous paie votre bulletin municipal, vous aurez tendance à porter un regard positif sur elle lorsqu’elle postulera à un marché public ou sollicitera un permis de construire. Elle ne le fait pas à des fins de communication ou d’image, soyons sérieux. Ce n’est rien d’autre que du sponsoring de complaisance, destiné avant toute chose à faire plaisir aux élus… » décrypte M. Giran, ancien doyen de la fac d’économie d’Aix-en-Provence, à cheval sur les principes démocratiques. Outre diminuer les risques de conflits d’intérêts et de favoritisme, l’interdiction de faire financer les bulletins municipaux par des concours privés déporterait, qui plus est, ces budgets pub’ vers la presse locale, qui en a bien besoin actuellement. »
Le « bouche-à-oreille » a la cote
Comment vous informez-vous sur la vie locale ? Quels supports privilégiez-vous parmi les différents moyens à votre disposition ? La communication territoriale ainsi que la presse locale et régionale sont-elles dignes de confiance ? Ces questions, les communicants de l’agence Epiceum, du réseau Cap’Com et le sondeur Harris Interactive les posent depuis dix ans à un panel d’un millier de citoyens.
Les derniers chiffres de leur « Baromètre de la communication locale », diffusés à l’automne 2020, font état d’une confiance accrue accordée aux échanges entre habitants (73 %), devant les bulletins édités par les collectivités (71 %) qui conservent néanmoins une bonne presse auprès de ces derniers.
La communication perce
Toujours d’après ce sondage, ces deux moyens d’information restent largement privilégiés aux chaînes de TV régionales ou locales (64 %), à la presse régionale – hebdomadaire (55%) ou quotidienne (49 %) -, aux radios locales (50%), aux échanges directs avec leurs élus (39 %) ou lors de réunions publiques (32%).
A noter que la communication territoriale, à laquelle les sondés disent tout de même avoir de moins en moins recours ces dernières années, a été assez fortement délaissée l’an dernier, à l’occasion de la crise sanitaire. Pour s’informer sur la pandémie, les sondés auraient privilégié cette fois-ci l’information en temps réel émanant de journalistes et médias professionnels – audiovisuel, presse régionale, numérique -, plus réactifs aussi que les communicants publics. Des pratiques qui se généraliseront et se pérenniseront à l’avenir ?