Julien Vaillant, conseiller régional de Lorraine, chargé de la jeunesse
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Pour Julien Vaillant, conseiller régional en charge de la jeunesse en Lorraine, l'Etat se méprend s'il considère que la jeunesse est une politique publique échappant à la sphère locale. A ce titre, le silence de la loi Notre sur les politiques jeunesse pourrait constituer un frein à la représentation des jeunes et à leur participation aux outils qui favorisent leur autonomie et engagent leur avenir.
Au cours des débats sur la loi Notre, des élus jeunesse, en partenariat avec des réseaux associatifs, ont lancé un mouvement((Lire notre article du 7 mai 2015.)) pour tenter de faire inscrire la jeunesse comme une compétence partagée dans le texte.
Malgré la signature d'amendements en ce sens par plus d'une cinquantaine de députés et le soutien individuel de quelques ministres, cette revendication n'a pas été entendue.
Julien Vaillant, conseiller régional en charge de la jeunesse en Lorraine, cosignataire avec Philippe Meirieu, vice-président de Rhône-Alpes et président de la commission jeunesse de l'ARF, du texte ayant servi de support à ce mouvement, revient sur les enjeux du débat et les conséquences de l'absence de la jeunesse dans le texte de loi.
Courrierdesmaires.fr. Quel était l'enjeu de voir la compétence jeunesse inscrite dans la loi ?
Julien Vaillant. Si l'on part du principe qu'il ne faut pas aborder la jeunesse comme une classe d'âge, mais comme une période de transition entre la sortie du système scolaire et l'accès à l'autonomie, alors mener une politique jeunesse c'est donner les moyens aux jeunes de franchir tous les obstacles – logement, formation, permis de conduire, santé, etc. – vers cette autonomie. Ces moyens existent, mais, selon les sujets, ils relèvent des compétences et politiques de différents territoires et de l'Etat.
Le jeune, lui, se moque bien de savoir qui est derrière chaque dispositif. L'important, c'est qu'il puisse accéder à la bonne information au bon moment. Les régions avaient déjà l'apprentissage, la formation professionnelle, les TER, les lycées... Elles avaient des bouts de compétence. Au cours du dernier mandat, elles ont fait en sorte de dépasser cela, de mettre de la logique dans cet ensemble de compétences, dans une approche transversale avec les acteurs et collectivités impliqués et l'Etat.
Nous souhaitions que l'engagement des collectivités dans les politiques jeunesse, bien au-delà de leurs compétences, soit reconnu et gravé dans le marbre au travers d'une compétence partagée. Cela n'était pas dans les revendications collectives. Mais les régions revendiquaient aussi un chef-de-filat car c'est une bonne échelle de coordination des politiques locales. La plupart de nos partenaires y étaient favorables.
Je ne crois pas que l'idée du gouvernement soit de faire des politiques jeunesse une chasse gardée. Il n'en a pas les moyens.”
Comment expliquez-vous que vous n'ayez pas obtenu gain de cause ? L'Etat veut-il reprendre la main sur les politiques jeunesse ?
J. V. On n'a pas du tout compris l'argument du gouvernement et du rapporteur selon lequel la jeunesse ne serait pas une compétence mais une politique publique. Comme si les compétences ne relevaient pas de la politique publique. C'est une nuance… « subtile », disons.
Je ne crois pas que l'idée du gouvernement soit de faire des politiques jeunesse une chasse gardée. Il n'en a pas les moyens. En revanche, l'urgence de faire de la jeunesse un sujet prioritaire des politiques publiques – locales comme nationales – a été sous-estimée. Et, dans le même temps, tout ce qui est fait en la matière dans les territoires, de façon innovante et partenariale, fait l'objet d'une totale méconnaissance.
Enfin, il y a eu tellement de lobbying sur la loi Notre de la part des diverses associations d'élus sur des gros sujets comme le développement économique ou le tourisme, que la jeunesse est devenue un sujet secondaire.
Dans le contexte de demain, celui des fusions des régions, on peut craindre que la place laissée à ces politiques de participation se réduise faute d'avoir inscrit la jeunesse comme une compétence des collectivités.”
N'est-ce pas un peu paradoxal alors que le gouvernement porte un plan Priorité jeunesse ?
J. V. Si, évidemment, d'autant que l'on était dans un contexte post événements Charlie Hebdo, où les jeunes ont été souvent pointés comme étant de mauvais citoyens. Or, on ne naît pas citoyen, on le devient… à condition d'en avoir les moyens.
C'est un sujet fondamental sur lequel l'ensemble des collectivités a beaucoup avancé en travaillant sur la représentation des jeunes. Au niveau des régions, on était même en train de passer un cap en créant des dispositifs de coconstruction.
Mais cela implique de mettre à la disposition des jeunes des outils pour agir en toute autonomie. Ce n'est pas au niveau de l'Etat que cela s'organise. Dans le contexte de demain, celui des fusions des régions, on peut craindre que la place laissée à ces politiques de participation se réduise faute d'avoir inscrit la jeunesse comme une compétence des collectivités.
L'absence de compétence jeunesse dans la loi aura pour effet de restreindre les politiques « jeunesse » ?
J. V. Avec, d'un côté la suppression de la clause de compétence générale, de l'autre côté, le renforcement de certaines compétences et le contexte de rigueur budgétaire, qu'on le veuille ou non, les collectivités vont devoir se recentrer sur leurs métiers.
C'est encore plus vrai pour les régions qui vont devoir gérer politiquement et techniquement leurs fusions. Tous les élus régionaux vous expliquent que ça prendra au moins un mandat.
Malgré tout, les besoins des jeunes ne vont pas disparaître, bien au contraire… Et il faudra bien y répondre ! Comme tout ce que l'on fait dans ce domaine est partenarial, je pense que l'on peut compter sur l'intelligence des différents acteurs pour que le travail engagé se poursuive.
Par contre, on va prendre un peu de retard, le temps de caler les nouveaux grands ensembles. Et l'inconnu, c'est l'effet qu'aura un changement de couleur politique dans de nombreuses régions sur cet engagement.
Notre objectif est d'élargir le service public régional de l'orientation à une information globale sur tous les outils à disposition des jeunes sur les territoires d'une région.”
Vous estimez toutefois que la loi offre quelques leviers d'action. Pouvez-vous expliquer comment ?
J. V. La loi prévoit que les politiques jeunesse pourront faire l'objet d'un débat au sein de la conférence territoriale de l'action publique (CTAP)((Lire l'article 104 de la loi Notre.)). C'est un point positif : même si ce n'est pas une obligation, la notion de compétence jeunesse ne disparaîtra pas des écrans radars. On pourra s'en servir pour maintenir le travail partenarial mené depuis longtemps par les collectivités.
Par ailleurs – c'est la note d'optimisme –, dans le cadre du plan Priorité jeunesse, le dernier conseil interministériel de la jeunesse((Lire notre article du 9 juillet 2015.)) a décidé de mettre l'accent sur l'information jeunesse, avec des outils nationaux et locaux. On croit beaucoup en cela. Les régions elles-mêmes avaient déjà avancé sur ce sujet.
Puisque le service public régional de l'orientation (SPRO) va être confié aux régions, notre objectif est d'élargir ce service à une information globale sur tous les outils à disposition des jeunes sur les territoires d'une région.
Entre ce service public d'orientation élargi et la possibilité de coordonner les politiques jeunesses dans le cadre des CTAP, on peut envisager de reprendre la main, sans perdre de vue les principes du partenariat, de la territorialité, de la transversalité.