Transparence et vie publique : la mairie de Montpellier, palais de verre conçu par Jean Nouvel et François Fontès
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Le projet de loi « Sapin 2 » de lutte contre la corruption, en débat à l’Assemblée, ferait des associations d’élus locaux des groupes de pression au même titre que ceux portant les intérêts des différents secteurs marchands. Une hérésie et une injustice pour ces associations qui se réclament d’une défense de l’intérêt général, même lorsqu’elles sont amenées, par le biais de leurs parlementaires membres, à peser pour infléchir tel ou tel texte législatif.
Stupéfaction dans le petit monde des associations d’élus locaux. Alors que l’Assemblée nationale se penche actuellement sur le projet de loi « Sapin 2 », relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, les députés ont choisi d’élargir la définition des représentants d’intérêts à, notamment, toute personne morale de droit privé « dont l’activité principale ou accessoire a pour finalité d’influer, pour leur compte propre ou celui de tiers, sur la décision publique en entrant en contact » avec tout ce que la République compte de pouvoirs institués : chef de l’Etat, ministres, parlementaires et fonctionnaires du Parlement, Conseil constitutionnel, section administrative du Conseil d'Etat, hauts fonctionnaires, voire certains élus locaux et fonctionnaires territoriaux.
Or, les associations représentatives des collectivités territoriales et élus locaux sont des personnes morales de droit privé. De quoi faire basculer l’APVF, Villes de France, l’Assemblée des départements de France ou autre France urbaine dans le groupe peu envié des lobbies en tous genres…
Intérêt général contre intérêts privés
« C’est absurde, c’est même bouffon, s’emporte André Laignel, premier vice-président de l’Association des maires de France. Nous serions un groupe de pression quand nous représentons la population et nous cesserions de l’être quand nous représentons l’Etat localement ?! »
Et de rappeler que l’AMF est « une association centenaire, reconnue d’utilité publique, réunissant plus de 97 % des maires, femmes et hommes qui sont des élus locaux mais aussi des agents de l’Etat… ».
Les associations d’élus devraient être « reconnues comme des prolongements des collectivités au niveau national, accompagnant les élus locaux dans “dans le strict exercice de leur mandat”. Il est ainsi logique qu’elles soient exclues, au même titre qu’eux, de la définition des représentants d’intérêts », plaide pour sa part l’Association des communautés de France (AdCF).
Son président, Charles-Eric Lemaignen, a écrit au Premier ministre, au ministre des Finances, au rapporteur du projet de loi et aux présidents des deux chambres parlementaires pour demander une « clarification du statut » des associations représentatives des associations de collectivités et d’intercommunalités afin de bien les différencier de simples lobbies et autres représentants d’intérêts.
Des parlementaires soucieux de leur pré carré
Si la disposition devait être adoptée, les associations d’élus anticipent déjà des conséquences en cascades qui nuiraient à leur action : multiplication des formalités administratives, imbroglios juridiques, potentielles charges financières de fonctionnement supplémentaires… Et pour des gains de transparence assez virtuels s’agissant de l’action d’associations d’élus qui affichent déjà comme tels leurs « parlementaires associés » comme c’est le cas à l’AdCF ou ne se cachent pas d’avoir tel député ou tel sénateur comme « relais » de ses positions au sein des deux chambres.
Mais alors pourquoi cette initiative législative ? Maladresse parlementaire ou véritable volonté de couper l’herbe sous le pied de certaines puissantes associations, au premier rang desquelles l’AMF, qui missionne des parlementaires au sein de ses membres pour enterrer des dispositions législatives qu’elle ne juge pas souhaitable ou en porter d’autres qu’elle espère ?
« Malheureusement, la teneur des débats valide plutôt la seconde hypothèse… », déplore André Laignel. Et d’y voir la manœuvre de « nombreux parlementaires, à droite comme à gauche, n’ayant pas l’ancrage de terrain et voyant les maires et leurs associations d’élus davantage comme des rivaux que des partenaires ».
Se déclarer, un impératif à la veille du non-cumul ?
Cette méfiance entre parlementaires et élus locaux ne pourrait alors que s’amplifier à l’heure de la prochaine interdiction de cumuler, en 2017, un mandat dans un exécutif local avec celui de député ou de sénateur.
Ainsi Charles de Courson n'hésitait pas à dépeindre en commission des lois, le 25 mai, l'AMF comme un "lobby de collectivités territoriales", s'attirant en retour les foudres de la députée Sandrine Mazetier pour qui "le premier lobby, c’est le cumul des mandats !"
Cette guerre de positions entre pro et anti-cumul n'empêche toutefois pas André Laignel de vitupérer contre la volonté du législateur français « de vouloir mêler les défenseurs de l’intérêt général et ceux porteurs d’intérêts privés ; un non-sens et une injustice profonde ! ».
L'Union européenne ne fait pas la différence
Une dichotomie dont se passe pourtant aujourd’hui l’Union européenne et son Parlement dont le fonctionnement se veut bien davantage ouverts aux contacts avec les lobbies, si ceux-ci sont enregistrés.
Ce qui est le cas de l’Association des maires de France, dûment répertoriée comme représentant d’intérêts au sein des « organisations représentant des autorités locales, régionales et municipales, autres entités publiques ou mixtes, etc. », au même titre que le Conseil des communes et régions d'Europe (CCRE) ou le Syndicat des transports d’Ile-de-France.
Un registre qui « couvre toutes les activités destinées à influer, directement ou indirectement, sur l’élaboration des politiques, leur mise en œuvre et le processus décisionnel au sein des institutions de l’Union européenne », détaille Bruxelles sur le site web dédié.
Un déficit de représentation en question
Cette divergence d’appréciation de ce qu’est un lobby a au moins le mérite, selon l’AdCF, de mettre au jour l’absence d’instance officielle pour organiser « le dialogue territorial ».
« La représentation institutionnalisée des pouvoirs locaux auprès du gouvernement et des assemblées parlementaires sera rendue encore plus nécessaire à partir de 2017, avec les nouvelles règles prohibant le cumul de mandats parlementaires et de mandats exécutifs locaux », insiste-t-elle.
Une idée que porte également l’ancien patron de l’Assemblée des départements de France, Claudy Lebreton, y consacrant même une préconisation précise dans son rapport sur la « refondation » de la relation entre l’Etat et les collectivités.
L’ancien élu des Côtes-d’Armor y suggère d’instaurer « un conseil des collectivités, au lieu d’une kyrielle d’associations d’élus ». « Je vois l’intention, pas la portée juridique. C’est une idée sympathique, mais personne ne peut empêcher des élus de former une association, qu’elle soit idéologique ou territoriale », assène André Laignel.