élections et crise sanitaire
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Guidé par l'ancien président du Conseil constitutionnel Jean-Louis Debré, l’exécutif reportera les régionales et départementales à fin juin dans un projet de loi déposé en conseil des ministres la semaine prochaine, a annoncé Jean Castex. Mais probablement sans vote par correspondance, au grand dam de Romain Rambaud, professeur de droit public à l’université Grenoble-Alpes et spécialiste du droit électoral.
Le gouvernement comme Jean-Louis Debré ne semblent pas favorables à un vote par correspondance pour les régionales et départementales de 2021…
Romain Rambaud : Jean-Louis Debré se prononce même contre : il y met tellement d’obstacles d’organisation, invoque tant de risques - bulletins nuls, vote communautariste - que l’on a bien compris qu’il était plus que sceptique. C’est une déception. La France se montrerait incapable de s’adapter à la crise sanitaire, faisant preuve d’une grande inertie administrative là où d’autres ont réussi : l’Allemagne, la Suisse, la Pologne, l’Ecosse, la Corée du sud, bientôt l’Angleterre... De grandes démocraties ont relevé ce défi. Repousser le vote par correspondance, c’est gênant quant à l’expression du droit de suffrage et cela bafoue trois principes fondamentaux du service public : continuité, égalité et adaptabilité.
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Le vote par correspondance serait étranger à l’esprit électoral français selon Gérald Darmanin...
Pour moi, cette assertion relève de la psychologie sociale. C’est une tradition, soit, mais cela n’empêche en rien de s’adapter à la modernité. J’observe que les Français se disent plutôt favorables au vote soit par correspondance, soit électronique. La démocratie ne peut s’arc-bouter sur ses seules traditions.
Quid de la mise à mal du secret du vote ?
[caption id="attachment_73464" align="alignright" width="199"] Romain Rambaud, professeur de droit public à l'université Grenoble-Alpes[/caption]
L’argument s’entend, même s’il est paradoxal : la France a une méfiance extrême du vote par correspondance, mais voit d’un très bon œil les procurations, soit l’exact inverse de l’opinion à l’étranger et des standards internationaux sur le respect du secret de vote. Car la procuration empêche le secret du vote et vous n’êtes même pas certain que votre souhait sera respecté ! Le vote par correspondance garantit davantage le secret. Reste effectivement la problématique du vote familial, c’est l’angle mort du dispositif, même si celui-ci existe aussi pour le vote par procuration. Surtout depuis que vous n’avez plus besoin de raison particulière pour le justifier et qu’un « chef de famille » peut s’accaparer deux procurations.
Le vote par correspondance n’est-il pas rendu plus complexe encore avec un entre-deux tours d’une seule semaine, notamment pour les fusions de listes ?
C’est effectivement problématique même si cela ne l’est pas que pour le vote par correspondance ! C’est pourquoi la proposition de loi d’Eric Kerrouche propose utilement d’avoir deux semaines entre les deux tours car les fusions de listes et leur explication auprès des électeurs vont prendre plus de temps en pleine crise sanitaire. De même que faire campagne sans réunion publique, sans tractage, etc.
Le scrutin sera-t-il complexifié par le fait qu’il est double, à la fois départemental et régional ?
Effectivement, c’est un élément de complexité, qui plus est pour le vote par correspondance. J’ajoute que notre système très restrictif - pas de publicité, pas de sponsorisation sur les réseaux sociaux - et l’impossibilité de faire jouer les dispositifs classiques de communication, meetings et tractage, va avantager les sortants. Le Covid accentue les faiblesses de la démocratie française qui deviennent criantes et il faudrait profiter de ces élections pour tester de nouvelles procédures, à moins d’un an de la présidentielle pour laquelle on mise un peu trop sur un vaccin pour sauver l’élection suprême…