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Opposant les « rigidités » de l’Etat à « l’agilité et la réactivité des collectivités », le Sénat a accueilli froidement le projet de loi dit « 4D ». Si le texte présenté par Jacqueline Gourault va « dans le bon sens » d’après Gérard Larcher, les co-deux rapporteurs entendent tout de même politiser les débats d'ici son examen début juillet. Objectif : pousser le gouvernement à « donner un nouveau souffle à la décentralisation », afin de « tirer les leçons des crises sanitaire et sociale ».
A un an de l’élection présidentielle 2022, les sénateurs sont dans les « starting-blocks. » La ministre de la cohésion des territoires Jacqueline Gourault n’avait pas encore eu le temps de présenter officiellement le projet de loi dit « 4D » en conseil des ministres, que Gérard Larcher (LR) et les deux co-rapporteurs du futur texte aiguisaient déjà leurs armes devant la presse. Mardi 11 mai, à l’occasion de la présentation des résultats d’une consultation des élus locaux en matière de décentralisation, le président du Sénat entouré de Françoise Gatel (UDI) et Mathieu Darnaud (LR) ont commencé à faire monter la pression sur l'Etat central. Objectif : dé-techniciser les débats autour de la transformation publique et de la décentralisation ne passionnant généralement pas les foules, et réinjecter une dimension plus politique afin de faire écho avec l’actualité sanitaire et sociale.
« Je tiens à rendre hommage à la ténacité de Jacqueline Gourault et du premier ministre qui ont évité d’ajouter le 5ème D de disparition et sont parvenus à présenter un texte abordant un certain nombre de compétences-clés des collectivités. Nous n’allons pas bouder notre plaisir, mais ce projet de loi ne répond pas tout à fait, en l’état actuel des choses, à nos attentes. Nous ne manquerons pas de l’enrichir pour construire un nouvel équilibre de travail entre l’Etat et les collectivités » a martelé le sénateur des Yvelines Gérard Larcher, se remémorant l'influence reconnue du Sénat lors de l’examen de la loi Engagement et Proximité notamment.
Fenêtre de tir pour le Sénat et « Territoires Unis »
« Nous pousserons 4D d’une lettre plus loin et proposerons à l’Etat une loi E comme Efficacité de l’action publique » s’est pour sa part amusée Françoise Gatel, à la tête de la délégation aux collectivités territoriales. Objectif, selon elle : « tirer les leçons de la crise sanitaire ainsi que de la dernière crise sociale s’étant manifestée à travers les Gilets Jaunes. » Même détermination à défendre les libertés locales du côté de Mathieu Darnaud : « il y a des choses parfois intéressantes dans ce projet de loi, mais aussi des manques. Nous souhaitons lui redonner un souffle qui, de notre avis commun, n’est pas suffisamment présent » compléta le président de la délégation à la prospective du Sénat et auteur de plusieurs propositions sur le sujet.
Les débats en séance publique ne débuteront qu’à partir du lundi 5 juillet prochain. Mais la méthode de travail, notamment en commissions, est déjà arrêtée. Les co-rapporteurs comptent s’appuyer sur divers travaux « maison » comme les "50 propositions pour le plein exercice des libertés locales" ou la contribution remise par Gérard Larcher dans le cadre du plan de relance, les propositions de trois associations d’élus formant le collectif « Territoires unis », ainsi que plusieurs constats tout juste dressés par le Conseil national d’évaluation des normes à l’occasion de cette crise sanitaire
Décentraliser plus et mieux
Françoise Gatel et Mathieu Darnaud voient dans l’examen du projet de loi « 4D » l’occasion de faire passer un certain nombre de leurs vues, aussi peu surprenantes soient-elles. Prenant l’exemple des tiraillements occasionnés par l’ouverture des établissements scolaires et des services périscolaires lors des différents déconfinements, la première a appelé à aller plus loin en matière de décentralisation, sans engendrer de big-bang territorial pour autant. « Il ne s’agit pas de contester les compétences régaliennes de l’Etat, mais de nouer une alliance constructive entre l’Etat qui ne saurait faire sans les maires dorénavant et les collectivités territoriales » a martelé la sénatrice d’Ille-et-Vilaine, qui aimerait par exemple donner de nouveaux pouvoirs aux collectivités en matière d’organisation et d’accès aux soins, sans forcément décentraliser l’ensemble de la politique de santé publique.
Vigilant sur le fait que tout transfert de compétences de l’Etat vers les collectivités soient dorénavant accompagné des moyens adéquats, le sénateur de l’Ardèche insiste pour sa part sur la nécessité de traiter, selon lui, « l’ensemble du champ de la décentralisation, et pas seulement les relations Paris-Province. L’une des principales critiques exprimées par les élus locaux sur le terrain, c’est la recentralisation des compétences aux mains des grandes régions et des intercos XXL. Le Sénat aimerait profiter de ce projet de loi pour redonner de la souplesse, et que d’autres niveaux de collectivités comme les Conseils départementaux puissent cogérer certains problèmes liés au Développement économique ou aux Mobilités dans les territoires peu denses ».
Efficacité… « jusqu’au dernier kilomètre »
La présidente de la délégation aux collectivités a pris soin, ensuite, d’appuyer le gouvernement sur le volet « Différenciation » : « c’est un mot qui fait parfois peur chez ceux qui craignent une rupture avec le principe de l’égalité, mais ne confondons pas égalité et uniformité. L’Etat et les collectivités doivent par ailleurs se réunir autour de l’objectif de subsidiarité, garant de l’efficacité de l’action publique jusqu’au dernier kilomètre » expliqua Françoise Gatel.
Pour Mathieu Darnaud, « lorsque le Sénat parle de différenciation ou de subsidiarité, c’est sa marque pour trouver des solutions qui conviennent aux différentes problématiques rencontrées par divers territoires. » Autre chantier dans le viseur des co-rapporteurs : le renforcement du pouvoir des élus locaux face aux bureaucrates sommeillant dans les Rectorats ou les Agences régionales de santé rendant compte quasi-exclusivement à leurs ministères de tutelle.
Décomplexification et déconcentration
« Nous partageons l’obsession des normes avec Alain Lambert du CNEN et la majorité des élus locaux : 78% du panel interrogé par le Sénat érige la simplification des normes en exigence absolue. La profusion de règles contrevient aujourd’hui davantage à l’action publique qu’elle ne la sert et protège les acteurs publics. Car au-delà du problème de l’inflation normative, il faut bien saisir que les élus de terrain portant des projets sont confrontés aux contradictions internes des différents services de l’Etat. Chacun émet un avis dans son domaine d’expertise, sans que le préfet ne soit autorisé à jouer le rôle de chef d’orchestre pour s’assurer de leur caractère conciliable et donc de la capacité d’agir des élus » illustre Françoise Gatel, qui en profite pour faire le lien avec une autre préoccupation : le renforcement de l’Etat territorial autour… de la figure du préfet de département.
« C’est une attente très forte des élus locaux. En période de crise, les préfectures s’organisent en mode « commando » : cela a permis une meilleure coordination de l’action de l’ensemble des services déconcentrés et une plus grande réactivité. Il faudrait pérenniser cela et autoriser le préfet à coordonner les services et agences autonomes pour éviter que l’Etat ne s’éparpille façon puzzle sur le terrain » analyse la présidente de la délégation aux collectivités. Ce à quoi la ministre de la Cohésion des territoires, Jacqueline Gourault, lui a répondu le 12 mai sur Public Sénat en répétant vouloir non pas supprimer, mais maintenir les préfets dans leurs missions : « la volonté du président de la République est de moderniser le corps préfectoral. Le renforcement du préfet est à l’ordre du jour. »
Les co-rapporteurs assument le caractère assez convenu de leurs principaux axes de travail. « Une décentralisation aboutie, c’est quelque chose que nous défendions déjà lors de l’examen de la loi NOTRe. Mais j’y vois justement le signe que nous n’avons pas variés sur ces thématiques stratégiques » se défend Mathieu Darnaud. Un signe, aussi, que le Sénat ne laissera pas résumer son rôle à de l’obstruction pure et net : « en tant que chambre des collectivités, nous n’avons pas le droit de nous contenter de simples postures » insiste Gérard Larcher. Même analyse du côté de Françoise Gatel : « Les élus locaux que nous représentons et avec qui nous dialoguons en permanence sont dans l’exigence d’efficacité et de résultats, pas dans le caprice. Le Sénat n’entend pas jouer contre le gouvernement, mais il doit entendre nos propositions qui sont le reflet des attentes des élus locaux pour former une complicité positive entre l’Etat et les collectivités. »