Pour bien comprendre l’apport de la loi du 13 juillet 2011 visant à interdire l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique (II), il est nécessaire d’analyser préalablement le droit positif (I).
Analyse juridique de Yvon Goutal et Philippe Peynet, avocats au barreau de Paris, Cabinet Goutal, Alibert & associés
- L'ESSENTIEL
- Le premier semestre de 2011 a été marqué par une forte médiatisation des projets de prospection de gaz de schiste, qui impliquent de recourir à la technique décriée de la fracturation hydraulique.
- Les insuffisances du Code minier concernant les procédures de concertation et les études d’impact de cette technique ont incité les parlementaires à édicter une mesure radicale : l’interdiction du recours à la fracturation hydraulique (loi du 13 juillet 2011), même si quelques interrogations subsistent sur la portée de cette interdiction.
- Ce texte tend vers une plus grande implication des élus locaux, à ce jour tenus à l’écart de l’ensemble du processus. Il est d’ores et déjà acquis que le droit positif sera modifié pour inscrire dans les textes le principe de la participation du public et des élus avant l’octroi des permis d’exploration.
I. Les insuffisances du droit positif
En droit, la réglementation relative à la recherche et à l’exploitation des hydrocarbures est issue du Code minier qui repose sur un principe essentiel, dérogatoire et méconnu : l’Etat, et non le propriétaire du terrain de surface, est le seul détenteur des ressources du sous-sol.
En cet état, le Code minier prévoit deux titres distincts : l’un pour la recherche d’hydrocarbures, le second pour l’exploitation.
1. Un "permis exclusif de recherche" n’incluant pas l’exploitation
S’agissant, d’abord, de la recherche des hydrocarbures liquides ou gazeux, elle est autorisée par un permis exclusif de recherches, communément appelé PER, qui confère à son titulaire l’exclusivité du droit de recherche sur un secteur donné ainsi que le droit de disposer des produits extraits à l’occasion des travaux de recherches.
Ce permis est délivré par un arrêté du ministre chargé des Mines (le ministre de l’Ecologie) sur la base d’un dossier dont le contenu est défini par décret pour cinq ans et après mise en concurrence.
Ce permis est consacré à l’aspect "patrimonial" de la richesse ; il n’autorise pas, par lui-même, le titulaire à mettre en œuvre les travaux de recherches. Il convient ensuite que l’intéressé respecte le régime de déclaration préalable prévu en complément (article L162-10 du nouveau Code minier). Concrètement, les travaux de recherches doivent faire l’objet d’une déclaration auprès du préfet, qui dispose d’un délai de deux mois pour édicter, le cas échéant, des prescriptions destinées à préserver les intérêts mentionnés à l’article 161-1 du nouveau Code minier.
2. Une "concession" qui n’autorise pas les travaux
Pour exploiter ensuite les hydrocarbures, un autre titre est requis, la "concession", acte par lequel l’Etat accorde à une personne le droit d’exploiter une substance particulière.
Mais, derechef, la concession ne porte que sur la "richesse" et n’autorise pas, par elle-même, les travaux d’exploitation indispensables (forages, installations de plateformes…), qui font l’objet d’une autorisation spécifique.
Le préfet statue, après avoir consulté le public dans le cadre d’une enquête publique, de type Bouchardeau, les services intéressés et le conseil départemental de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques.
- A noter - Les titres miniers ne sont accordés qu’au terme d’une procédure lourde. En moyenne, la durée d’instruction d’un permis exclusif de recherches est de deux ans. Le permis dit de Cévennes accordé le 1er mars 2010 a, par exemple, fait l’objet d’une demande le 6 décembre 2007 et a été déclaré recevable le 14 octobre 2008.
Une procédure excluant population et élus locaux, sans étude d’impact
La procédure, aussi contraignante et sérieuse soit-elle, n’accorde aucune place à la transparence et au dialogue local. Elle se borne à un échange mystérieux entre "spécialistes". Il est en effet constant qu’à ce stade, la population et les élus locaux ne sont nullement informés de l’existence d’une demande d’exploration du sous-sol. C’est seulement au stade de l’instruction de la demande de travaux que le maire de la commune concernée est saisi par le préfet. Encore le maire n’est-il pas censé formuler un avis, mais seulement informer le public, par voie d’affichage, de la réalisation prochaine de travaux d’exploration…
Au final, en l’état du droit positif, aucune concertation préalable, aucune enquête publique n’est requise avant la délivrance d’un permis exclusif de recherche et l’autorisation de réaliser les travaux. Plus encore, on relèvera que le nouveau Code minier, issu de l’ordonnance en date du 20 janvier 2011, ne répare pas cette carence (en raison de la codification à droit constant, sans remise en cause des procédures existantes à cette date).
L’article L122-3 prévoit en effet que "le permis exclusif de recherches est accordé, après mise en concurrence, par l’autorité administrative compétente pour une durée initiale maximale de cinq ans. L’instruction de la demande ne comporte pas d’enquête publique".
Pour ces raisons, une réécriture du nouveau Code minier s’impose qui prévoirait l’instauration d’une procédure de participation et d’information du public et des maires au stade de l’instruction de la demande de PER, et non plus seulement au stade de la phase d’exploitation.
On peut également s’étonner que les dossiers de permis de recherches et de déclaration de travaux de recherches ne comprennent aucune étude d’impact. C’est une simple notice d’impact qui est exigé au stade du PER (art. 17 du décret n°2006-648 relatif aux titres miniers et aux titres de stockage souterrain) et de la déclaration de travaux, dont le contenu est sensiblement allégé par rapport à une étude d’impact (art. R122-3 du Code de l’environnement). Il est indispensable de mieux prendre en compte la question de l’évaluation des risques environnementaux.
- A noter - Ces insuffisances du Code minier ont incité les parlementaires à édicter une mesure radicale: interdire le recours à la technique de la fracturation hydraulique.
II. L’apport de la loi du 13 juillet 2011
Parmi plusieurs propositions de loi très ressemblantes, déposées à l’Assemblée nationale et au Sénat, c’est la proposition de Christian Jacob qui a été inscrite par le gouvernement à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, selon la procédure accélérée.
Elle a abouti à la loi n°2011-835 du 13 juillet 2011 "visant à interdire l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique".
Cette loi, qui n’a pas été déférée au Conseil constitutionnel pour des raisons stratégiques (une censure aurait remis en vigueur les permis abrogés…), ne comporte que quatre articles, le premier et le troisième étant les plus emblématiques, car illustrant l’objectif du législateur. La concision du texte ne facilite pas sa lecture.
Une interdiction de principe, sauf exceptions
Le premier article pose le principe de l’interdiction de l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par des forages suivis de fracturation hydraulique de la roche.
La mesure d’interdiction concerne donc les hydrocarbures parfois improprement qualifiés de "non conventionnels", par opposition aux hydrocarbures dits conventionnels: pétrole, gaz naturel… Sont concernés l’huile de schiste, l’huile de réservoir compact, le gaz de réservoir compact, le gaz de houille, le gaz de mine, les schistes bitumineux, les sables bitumineux, les hydrates de méthane et enfin le gaz de schiste.
- A noter - L’interdiction ne vise, semble-t-il, qu’une seule technique: l’exploitation des forages, -sans distinction entre les forages verticaux ou horizontaux, suivis de fracturation hydraulique. Quid en cas de recours à des techniques alternatives à la fracturation hydraulique? On peut s’interroger dès lors que le législateur vise à l’article 2 les techniques alternatives aux techniques de fracturation hydraulique, sans toutefois expressément les interdire.
L’interdiction posée à l’article 1 er doit surtout être lue à la lumière des autres articles et notamment de l’article 4 qui envisage des expérimentations réalisées à seules fins de recherche scientifique, mais les soumet à un "contrôle public". On imagine que le contrôle public ne se traduit pas nécessairement par une maîtrise d’ouvrage publique ; mais si le contrôle public de "droit commun" n’est pas suffisant, sous quel angle doit-il être renforcé? Les textes d’application seront essentiels…
L’inévitable nouvelle commission
La loi crée une nouvelle commission (une de plus…), "la Commission nationale d’orientation, de suivi et d’évaluation des techniques d’exploration et d’exploitation des hydrocarbures liquides et gazeux" dont l’objet est notamment d’évaluer les risques environnementaux liés aux techniques en cause. Le débat, par exemple, s’est beaucoup focalisé sur l’impact sur la ressource en eau, lors même que les forages peuvent avoir un impact sur l’air environnant.
La Commission instituée émettra par ailleurs un avis, significativement qualifié de public, sur les conditions de mise en œuvre des expérimentations prévues à l’article 4 de la loi. Il faut en déduire -dans l’attente de la publication du décret -que la Commission sera amenée à se prononcer, en amont, lors de l’instruction des demandes d’expérimentation par les services de l’Etat. Derechef, la différence par rapport au droit positif est notable.
La composition, les missions et les modalités de fonctionnement seront certes précisées ultérieurement par décret. Mais on sait déjà que siégeront dans cette Commission, outre un député et un sénateur, des représentants de l’Etat, des collectivités territoriales, des associations, des salariés et des employeurs des entreprises concernées. L’objectif est de sortir du régime actuel, qui tient à l’écart de la décision la population et les élus locaux.
Une abrogation ponctuelle
Le troisième article tente d’apaiser la colère et abroge, donc pour l’avenir seulement, les permis de recherche déjà accordés pour des projets ayant recours à la technique de la fracturation hydraulique.
La loi était effectivement indispensable pour produire ces effets: le Code minier ne connaît en effet que la suspension (articles L123-6 et L133-8 du Code minier) et le retrait, qui suppose une illégalité, non invoquée en l’espèce (article L173-5 du Code minier).
Une procédure originale
La procédure instituée n’est pas moins atypique que le principe de la décision. Dans un délai de deux mois à compter de la promulgation de la loi , soit d’ici au 13 septembre 2011, les titulaires de PER de mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux doivent remettre un rapport à l’administration précisant les techniques employées ou envisagées dans le cadre de leurs activités de recherches. On notera le souci de transparence qui a guidé le législateur : l’autorité administrative devra rendre ce rapport public.
On déduit également de la rédaction de cet article que l’administration en charge d’instruire les demandes de permis ne doit pas être en mesure, en l’état des dossiers établis (selon le décret n°2006-648, article 17), de déterminer si l’industriel aura recours, ou non, à la technique de la fracturation hydraulique. Dans le cas contraire, le législateur se bornerait à imposer à l’industriel de transmettre à l’administration des documents que cette dernière détient déjà…
Plusieurs hypothèses doivent être distinguées
- Un titulaire de PER peut ne pas respecter le délai précité et ne pas transmettre de rapport, ou le transmettre tardivement. Son permis est alors abrogé.
- En deuxième lieu, le rapport produit fait état d’un recours, effectif ou éventuel, à des forages suivis de fracturation hydraulique de la roche. Le permis correspondant sera également abrogé.
- Le rapport transmis exclut le recours à la technique désormais prohibée par le législateur. Dans cette hypothèse, le permis n’est pas affecté par la mesure d’abrogation. Il pourra donc être mis en œuvre. Mais s’il était démontré que le titulaire du permis a fait de fausses déclarations, la voie du retrait du permis pour fraude serait envisageable.
De même que l’opérateur s’exposerait à des poursuites pénales dès lors que le fait de procéder à un forage suivi de fracturation hydraulique de la roche sans l’avoir déclaré dans le rapport précité sera désormais puni d’un an d’emprisonnement et de 75.000 euros d’amende.
- A noter - La situation sera au demeurant clarifiée d’ici le 13 octobre 2011, date à laquelle la liste des permis abrogés sera publiée au Journal officiel.
Une indemnisation pour les entreprises?
Le législateur n’envisage aucune indemnisation en faveur des bénéficiaires des PER abrogés, sans l’exclure pour autant: ce qui laisse ouverte, sous réserve d’un examen plus approfondi des travaux parlementaires, la voie à une action indemnitaire de la part des titulaires des permis abrogés, à condition, bien sûr, de démontrer l’existence d’un préjudice anormal et spécial (pour une illustration récente: CE, 30 juillet 2003, Association pour le développement de l’aquaculture en région Centre et autres, n°215957).
Le quatrième article impose au gouvernement de remettre chaque année un rapport au Parlement sur l’évolution des techniques d’exploration et d’exploitation et la connaissance du sous-sol français, européen et international en matière d’hydrocarbures liquides ou gazeux, sur les conditions de mise en œuvre d’expérimentations réalisées à seules fins de recherche scientifique sous contrôle public, sur les travaux de la Commission nationale d’orientation, de suivi et d’évaluation créée par l’article 2, sur la conformité du cadre législatif et réglementaire à la Charte de l’environnement dans le domaine minier et sur les adaptations envisagées au regard des éléments communiqués dans ce rapport.
Il apparaît donc clairement, eu égard au contenu du rapport attendu, que des nouvelles évolutions interviendront prochainement.
- A noter - Eu égard aux imperfections du droit positif, les parlementaires étaient unanimement d’accord pour interdire à court terme la technique de la fracturation hydraulique. Mais une fois ce principe posé, les avis divergeaient: l’interdiction doit-elle être seulement temporaire, le temps de mieux comprendre les technologies employées et leurs conséquences sur l’environnement ou faut-il renoncer, plus radicalement, à extraire du sous-sol les ressources qui s’y trouveraient? La loi votée, encore une fois en urgence, ne tranche pas la question.
Une place nouvelle pour les élus locaux
Il est d’ores et déjà acquis que le droit positif sera modifié pour inscrire dans les textes le principe de la participation du public et des élus avant l’octroi des permis d’exploration. Il s’agit d’une évolution fondamentale, d’une victoire pour les élus locaux, à ce jour tenus complètement à l’écart de l’ensemble du processus.
La tendance est originale, tant il est clair que l’éviction des élus locaux en matière d’environnement est presque systématique. La combinaison des polices administratives "spéciales", détenues par l’Etat, et "générale", assumée par les maires, tourne en effet presque toujours à l’avantage de la police spéciale. En matière d’installations classées ou de police de l’eau, par exemple, le droit positif organise une forme de monopole d’Etat, les agents de l’Etat disposant, seuls, de la compétence juridique d’action, sauf en cas de "péril imminent"avéré. Dans ce cas, et dans ce cas seulement, le maire peut -et doit- intervenir (police de l’eau: CE, 2 décembre 2009, Commune de Rachecourt-sur-Marne, n°309684 ; installations classées: CE, 22 janvier 1965, Consorts Alix, Rec. CE p. 44 ; CE, 15 janvier 1986, Société Pec-Engineering, Rec. CE T. pp. 425, 626 et 635 ; CE, 29 septembre 2003, Houillères du Bassin de Lorraine, n°218217, Rec. T. p. 677).
Si les élus locaux parviennent, par leur implication, à se frayer une place dans le processus de recherche et d’exploitation des hydrocarbures, ils auront peut-être engagé une évolution qui dépasse le champ des gaz et huiles de schiste…
Référence
- Loi n° 2011-835 du 13 juillet 2011 visant à interdire l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique (JO du 14 juillet 2011, p. 12217)
- Code minier