« Le modèle métropolitain est un héritage du vieux monde »

Hugo Soutra
« Le modèle métropolitain est un héritage du vieux monde »

Aix Marseille Métropole

© Adobe/babelsberger

Et si la crise économique résultant du confinement débouchait sur une nouvelle donne en matière d’aménagement du territoire ? C’est le vœu formulé par plusieurs maires de villes petites et moyennes dans le cadre du plan de relance et de l'annonce d'une nouvelle vague de décentralisation. Un discours qu’ils reprennent en partie à… un de leur homologue du Grand Paris, l’édile de la fortunée Neuilly-sur-Seine, Jean-Christophe Fromantin.

Ses détracteurs ne peuvent pas lui ôter sa constance. Ancien professionnel de l’export avant de tomber dans la marmite de la politique, Jean-Christophe Fromantin a toujours porté un regard critique sur la métropolisation, ardent défenseur qu’il est des sous-préfectures, des terroirs et de leurs savoir-faire menacés de destruction. Il n’a cessé de mettre en garde les décideurs nationaux comme locaux contre l’hypertrophie des grandes villes et le déséquilibre de la politique d’aménagement du territoire.
Une posture qui ne manque pas d'étonner, à première vue, chez celui qui est devenu maire de la très chic Neuilly-sur-Seine voilà douze ans. Si le retournement actuel plaide clairement en faveur de sa cause, Jean-Christophe Fromantin ne relâche pas ses efforts, conscient que ce bouleversement géographique ne pourra se faire d’un claquement de doigt. Il compte remettre dans les prochains jours un nouveau plaidoyer en faveur des villes moyennes à l'Elysée, au premier ministre ainsi qu'à la ministre de la cohésion des territoires.

Courrier des maires. Après la colère des Gilets Jaunes, diriez-vous que la crise sanitaire a validé la pertinence de votre thèse concernant l’obsolescence du modèle métropolitain ?

Jean-Christophe Fromantin : il semble y avoir une prise de conscience sur les impasses métropolitaines jusqu’au plus haut de l’Etat, effectivement. Après le Cevipof et l’Institut Montaigne, le Conseil d’analyse économique (CAE) reconnaissait lui-même, peu avant l’épidémie de Covid-19, que l’Etat a eu tort de tout miser sur les concentrations urbaines. Cette réflexion, encore en germes dans le débat public, infuse progressivement dans l’esprit des gens : le solde migratoire négatif de l’Ile-de-France illustre bien une volonté de quitter les métropoles, tandis que les villes moyennes connaissent une attractivité grandissante.

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Le modèle métropolitain faisait sens au 19ème et au 20ème siècle, lorsque les usines avaient besoin d’hommes et que les villes devaient, elles aussi, concentrer les habitants pour amortir la construction des écoles, bibliothèques et développer toujours plus de services. Mais c’est un héritage du vieux monde !

Les grandes conurbations urbaines ne conservent-elles pas une utilité, tout de même, sur le plan fonctionnel ?

Je ne critique pas les métropoles en tant que telles, je ne fais pas partie de ces élus décroissants. Les grandes villes doivent rester des lieux référentiels sur les plans politique, économique, sanitaire ou académique, pleinement inscrites dans la mondialisation. Ce que je critique, c’est cette idée consistant à faire des métropoles l’alpha et l’oméga des politiques territoriales, alors qu’il n’y a pas de ruissellement naturel. Le dynamisme de notre pays ne devrait pas se cristalliser ainsi sur quelques pôles urbains vivant de plus en plus égoïstement, pendant que le reste du pays s’assèche.

Il faut interroger la métropolisation à plusieurs titres. C’est une impasse environnementale lorsqu’on sait que les grandes villes sont les premières destructrices de la couche d’ozone à travers la formation des îlots de chaleur. C’est une impasse sociale aussi, évidemment. A force de dire que le monde sera métropolitain quand bien même nous n’arrivons pas à construire suffisamment de logements, les investisseurs ayant des actifs à placer spéculent sur les seuls marchés immobiliers urbains. Les grandes villes deviennent des « assets » financiers, ce qui rend tout de suite les lendemains plus compliqués pour les classes moyennes et modestes menacées d’exclusion, idem pour les employés à faible niveau de qualification.

Enfin, la métropolisation qui est réputée être intimement liée à la croissance est, en réalité, une impasse économique. Lorsqu’elle se fait contre le reste du territoire comme c’est le cas aujourd’hui, elle fragilise nos « avantages comparatifs » dont nous avons tant besoin pour tirer notre épingle du jeu dans la mondialisation. La puissance de l’offre française provient de son enracinement comme je l’expliquais déjà dans « Mon village dans un monde global. » Notre économie nationale est en train de s’appauvrir.

Une fois ce réquisitoire dressé, que proposez-vous comme alternative ?

La diversité de nos territoires offre des solutions à tous les problèmes économiques, sociaux et environnementaux que je pointe. Repeuplons nos villes moyennes et toutes ces sous-préfectures qui ont des écoles, hôpitaux et mètres carrés disponibles, maintenons nos savoir-faire locaux qui sont le fruit de cultures et de modes de vies aussi variés que nombreux. Bref, préservons tous ces avantages comparatifs plutôt que de subir l’injonction métropolitaine.

La mondialisation est riche de notre capacité à maintenir toutes ces richesses territoriales. A quoi sert-elle si elle débouche sur le remplacement de nos atouts par une offre lisse et stéréotypée, donc une standardisation du monde et une compétition purement financière ? Mon pari, c’est que la technologie – qui percute de plein fouet le vieux schéma de développement métropolitain – a encore justement les capacités de re-fertiliser les territoires.

En quoi le numérique peut-il modifier le sort réservé aux villes petites et moyennes ? 

Lors du siècle dernier, les industriels ont su fertiliser sur des savoirs-faire artisanaux et authentiques. A nous de mettre la couche technologique sur nos différents avantages comparatifs pour tirer l’économie au 21ème siècle. Les défenseurs du monde urbain ne semblent pas avoir compris que le numérique ne fertilisera rien sur du vide !

La 5G ne doit pas nous asservir mais être mise au service de nos libertés, et notamment nous aider à retrouver un meilleur équilibre territorial. Elle doit nous permettre de travailler, apprendre et se soigner à distance. Aux décideurs de déployer cette technologie numérique pour permettre à chacun de vivre là où il le souhaite. Et à nous, politiques, de solidifier un maillage où chaque zone rurale soit à quinze minutes d’une des 350 villes moyennes, qui soient elles-mêmes à 1H30 maximum d’une métropole.

Concrètement, comment l’Etat et les élus locaux doivent-ils articuler leurs actions ? 

L’Etat doit porter une ambition politique et culturelle pour tous nos territoires, comme du temps de la DATAR. Il s’agit par exemple de garantir l’accès à la 4 et demain à la 5G à toutes les villes moyennes, dans une optique d’attractivité en même temps que d’équité territoriale.

En parallèle de cette prise de conscience, les maires des villes petites et moyennes ne doivent pas s’arrêter au constat que leurs territoires se trouvent dans l’angle mort des politiques  publiques. Je leur conseille plutôt de cultiver leurs singularités, d’exhumer leurs pépites pour en faire des pôles de compétitivité. Chaque territoire a des spécificités, des avantages comparatifs à valoriser et structurer en filières locales. « Est Ensemble », une agglomération populaire de la région parisienne, a ainsi trouvé dans son histoire commune avec de grande maisons de haute couture une raison d’être sur laquelle elle capitalise aujourd’hui.

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Ce développement endogène suffira-t-il à enrayer la fuite des plus jeunes vers les grandes villes ? 

Les élus en quête d’attractivité ne doivent pas copier les grandes villes, mais mieux valoriser l’authenticité de nos terroirs. Pourquoi ne pas verser, non plus, des primes d’installation s’il le faut pour faire venir des habitants de Seine-Saint-Denis actuellement au chômage de longue durée ? Aujourd’hui condamnés à vivre dans des appartements minuscules et surpeuplés, ils toucheraient des indemnités équivalentes dans une ville moyenne, pourraient se loger en centre-ville, scolariser leurs enfants dans de meilleures conditions, et même s’inscrire à des formations répondant à de réels besoins de recrutements – nombre d’entreprises locales faisant face à d’importantes difficultés de recrutement dans les villes moyennes.

N’est-ce pas un peu facile de donner des leçons depuis Neuilly-sur-Seine, pendant que certains de vos collègues du Grand Paris vous accusent de vous défausser de votre devoir de solidarité ? 

Certains de mes voisins de territoires populaires sont jaloux, mais qu’ont changé, pour le quotidien des ménages franciliens les plus précaires, les 20 millions d’euros versés l'an dernier par ma mairie au fond de péréquation, auxquels vous pouvez ajouter 6 millions d’amendes dues à notre déficit de construction de logements sociaux ? La solidarité n’est pas tant une histoire de transferts financiers que de raison d’être et de projets de territoires. Pourtant, pas une seule gare du Grand Paris Express – le seul projet en commun de la région – n’a encore ouvert après plus de douze ans de discussions...

Au contraire, le renouveau de l’aménagement du territoire que je propose aujourd’hui  intéresse nombre de présidents de conseils départementaux et de maires ruraux. Ils voient bien le dynamisme démographique du monde rural aujourd’hui, mais savent être dépendants de l’attractivité d’une ville moyenne à proximité, elle-même correctement reliée à une métropole.

Comment les pouvoirs publics peuvent-ils accompagner, alors, ces mutations territoriales ? 

L’envie de quitter les grandes villes dans lesquelles les Français s’installent aujourd’hui principalement pour travailler, de ralentir et vivre là où ils le souhaitent, se fait de plus en plus forte. Il y a fort à parier que ce désir de campagne continuera de se renforcer au fur et à mesure que les crises s’accumuleront. Soit les technocrates au pouvoir continuent de freiner ces velléités et continuent de concentrer les investissements publics dans les grandes villes. Soit les politiques reprennent la main et posent enfin une trame claire en matière d’aménagement du territoire, qui permette de drainer l’épargne des Français. N’est-ce pas leur rôle que de porter des ambitions politiques ?

La France ne se redressera pas avec les dizaines ou centaines de milliards d'euros du plan de relance. Injecter du déficit dans un pays qui n'a plus confiance ne sert à rien. Il serait bien plus utile de garantir le maintien d’une gare, d’un lycée et d’un hôpital dans 350 villes moyennes. Ce discours permettrait aux collectivités de créer des emprunts obligataires, et de lever les états d’âmes des citoyens capables d’y souscrire mais aujourd’hui inquiets d’investir là où ils habitent.

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