Sebastian_Roche
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Les prémices d’une recomposition du paysage de la sécurité locale étaient, certes, déjà en place avant les attentats. Il n’empêche : l’imprévu terroriste n’a pas été sans conséquences sur les collectivités. Actant cette transformation de fond, Sébastian Roché, directeur de recherche au CNRS, auteur de l’ouvrage « De la police en démocratie », ne saurait trop conseiller aux élus de s’interroger sur les finalités des politiques de sécurité mises en œuvre au niveau local.
Etes-vous surpris par cette nouvelle répartition des rôles entre polices municipales et nationale ?
Le contexte de crise terroriste entraîne une vaste recomposition des rôles. Les gages supplémentaires - augmentation des effectifs et des moyens - donnés aux polices et aux services de renseignement en matière de lutte antiterroriste, durant la campagne présidentielle, laisseront automatiquement plus de latitude aux élus locaux quant à la sécurité publique. D’autant qu’au cours des vingt dernières années, la plupart des collectivités n’ont eu de cesse de renforcer leurs services prévention-sécurité et d’investir massivement dans des technologies comme la vidéosurveillance. Difficile, cependant, de parler de tournant ou de rupture : les attentats ne font qu’accentuer des tendances observables a minima depuis 2008 et le déclenchement de la crise des finances publiques.
Comment expliquer, tout de même, cette restructuration accélérée depuis 2015 ?
L’Etat, les collectivités et les organisations professionnelles jouent chacun leur propre partition, en fonction de leurs intérêts respectifs. Les gouvernements, désireux de s’engager contre le terrorisme, n’ont eu d’autres choix que de faire exploser le budget de la sécurité intérieure au niveau national, en acceptant les revendications des organisations syndicales policières. Mais c’est une véritable bombe à retardement ! D’où la tentative de faire supporter ces coûts à d’autres - qu’il s’agisse des collectivités ou de la sécurité privée. Certains élus sont demandeurs de ce transfert de responsabilités, quand bien même la police et la justice restent historiquement rattachées à l’Etat, afin de communiquer sur le fait qu’eux aussi sont à la hauteur des enjeux.
De là à faire du sujet de l’armement, hier clivant, la norme…
La cogestion entre Etat et organisations professionnelles qui prévaut au niveau national est aussi en place au niveau local. Le cas de l’armement illustre le pouvoir d’orientation des politiques publiques que détiennent les syndicats. Alors même que les armes de poing sont peu utilisées, et ne permettent ni de stopper un camion fonçant sur la foule ni d’assurer la qualité du service rendu à la population, elles restent aux yeux des policiers municipaux un outil symbolique fort. Il faut dire que la très grande majorité d’entre eux aspire à ressembler à leurs homologues nationaux, et donc être dotés des mêmes attributs.
Cette transformation des polices municipales ne met-elle pas en péril leurs capacités à jouer le rôle de polices de proximité ?
C’est un peu tôt pour le dire, mais le contre-modèle de la police locale, non armée, répondant aux besoins et aux priorités locales de façon consensuelle, semble effectivement s’éroder. Il y a un vrai risque que des élus fassent de leurs polices municipales une police nationale bis…
Et pourtant, jamais on a autant entendu parler de police de proximité qu’au cours de cette campagne présidentielle…
Pas un candidat n’a oublié de brandir cet étendard, oui, sans jamais préciser la doctrine d’emploi que ce terme recouvrait. Les politiques n’ignorent pas que notre modèle de police centralisé, isolé des citoyens, touche à sa fin. La faible orientation de la police et de la gendarmerie nationales vers l’usager a créé une véritable demande de la population française en faveur d’une police de proximité. Il faut rappeler que le principe de redevabilité ne s’applique toujours pas à la police française ! C’est tout juste si elle a un devoir d’information auprès des élus…
Croyez-vous réalisable, justement, le vœu de France Urbaine de redéfinir le contrat entre l’Etat et les collectivités ?
Je resterai prudent, même si je ne vois pas tellement d’alternatives à moyen terme pour améliorer l’efficience et démocratiser le fonctionnement des polices. Un dialogue d’égal à égal entre Etat et collectivités permettrait, en plus, d’associer enfin les missions sécuritaires et le travail social ; d’une part les techniques de dissuasion des faits délictueux et d’intervention, d’autre part la prévention de la délinquance. Etant donné qu’il est impossible d’ignorer le préfet dans notre système régalien, et que les élus ne peuvent plus être ainsi laissés sur la touche, il faudra parvenir à un partage des tâches et des responsabilités cohérent entre les deux parties.
Le ministère de l’Intérieur est-il disposé à accepter cette « petite révolution » ?
Ces dernières années, les candidats et les gouvernements ont surtout eu tendance à faire l’inverse de ce qu’ils avaient promis… Le Gérard Collomb patron des collectivités lyonnaises était probablement favorable à une refonte de la gouvernance de la sécurité, mais le Gérard Collomb de la Place Beauvau aura-t-il le courage d’aller à l’encontre des organisations professionnelles nationales ? Par nature, elles sont défavorables à toute évolution leur faisant perdre de l’influence.
La partie est donc perdue d’avance pour les élus locaux ?
Puisque le changement ne devrait pas venir spontanément de l’Etat, charge aux élus locaux de mettre la pression sur la police nationale et de jouer ce rôle de garants de la qualité de service. En perdant actuellement ce qui faisait la spécificité des polices municipales, certains semblent d’ores et déjà y renoncer ; du moins ne pas s’en donner les moyens. Ils auraient, en tout cas, intérêt à aller bien plus loin en la matière, selon moi, puisque leurs électeurs sont aussi des usagers du service public.