Bureau de maire et écharpe tricolore
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Répondant à la délégation aux collectivités territoriales de l'Assemblée nationale, la Place Beauvau estime que la moitié des cessations de fonctions de maires en cours de mandat seraient subies : décès, démissions d'office, fusions de communes, règles de non-cumul. Une proportion sous-évaluée selon les rapporteures de la délégation. Les deux députées soulignent aussi l'impact de la complexification du mandat, les exigences démesurées des administrés et l'absence d'un statut de l'élu protecteur pour expliquer la lassitude de certains premiers magistrats alors que se profilent les élections municipales dans dix mois.
A l’été dernier, une enquête de l’AFP faisait grand bruit dans les quelque 36 000 communes de France : l’agence de presse comptabilisait 55 % de démissions supplémentaires de maires depuis 2017 par rapport à la mandature précédente 2008-2014. Couplée à la volonté affichée par la moitié des édiles en place de ne pas des représenter en 2020 selon l’enquête du Cevipof, il n’en fallait pas plus pour que surgisse l’idée d’une crise de vocations et d’un ras-le-bol généralisé des élus locaux.
La délégation aux collectivités territoriales de l’Assemblée a voulu en savoir plus, lançant en octobre dernier une mission sur le sujet. Après avoir assailli le ministère de l’intérieur de demandes de communications plusieurs mois durant, les deux co-rapporteures Catherine Kamowski (LaREM, Isère) et Valérie Lacroute (LR, Seine-et-Marne) ont livré ce 7 mai l’analyse faite par la Place Beauvau des résultats communiqués sur la base du Répertoire national des élus (RNE). Dans la veine du discours tenu par la ministre de la Cohésion des territoires, Jacqueline Gourault, à plusieurs reprises, le ministère de l'Intérieur tend à minimiser les abandons de fauteuil en cours de mandature qui seraient dus à la complexité du mandat : le nombre de maires dont la démission « serait justifiée par la lassitude et la lourdeur de la charge apparaît extrêmement marginal », selon la lettre du ministère de l’Intérieur rapportée par les deux députées.
Du décès au non-cumul, des démissions "contraintes"
Dans sa missive, basée sur ce RNE et l’analyse des préfets, le ministère détaille un phénomène de démissions qui, selon les départements, « oscille entre stabilité et hausse modérée » par rapport au précédent mandat. Et qui s’expliquerait majoritairement par :
- le décès, qui apparait comme « l’une des causes principales des cessations de fonction de maire enregistrées depuis 2017 » et « reflète une certaine réalité démographique et sociologique mise en avant par de nombreux rapports préfectoraux : le vieillissement des maires ». « Ce à quoi il faudrait ajouter les abandons de mandats « pour raison de santé » elles aussi liées au vieillissement ;
- la forte évolution du motif de « fin de mandat » s’expliquant « par les nombreuses créations de communes nouvelles qui ont mis un terme à 1688 mandats de maires entre 2015 et 2018 » ;
- les règles relatives au non-cumul des mandats qui expliqueraient «environ une démission sur dix depuis 2014 » ;
- une autre démission sur dix environ qui résulterait « de considérations de politique locale et interne au conseil municipal » ;
- et enfin une faible proportion liée à « des démissions d’office dont les origines sont variées : annulation de l’élection par le juge, condamnation judiciaire, inéligibilité ».
L'impact des communes nouvelles et... du vieillissement des maires
Dans leur communiqué, les deux rapporteures ne remettent pas en cause l’ampleur et l’accentuation des démissions liées aux communes nouvelles, près de 1 700 maires qui « constituent la part la plus importante, et de loin, de la catégorie « fin de mandat », l’une des cinq catégories de motifs de cessation du mandat répertoriées par le RNE avec la démission d’office, la démission volontaire, le décès et les autres cas (voir encadré).
Quitus est également donné au ministère sur l’impact du vieilissement de la classe mayorale dans l’explication de ces démissions : « l’âge moyen des maires lors de leur élection en 2014 était de 58,7 ans, et la catégorie des 60 ans et plus y représentait 52,5 % », appuient Catherine Kamowski et Valérie Lacroute. Quant à la proportion des retraités chez les maires, elle est passée de 32,2 % en 2008 et de 42,6 % en 2014.
Plus de deux tiers de démissions contraintes
En revanche, les deux députées remettent en cause l’interprétation des chiffres sur plusieurs points. Alors que le ministère de l’Intérieur évalue à environ 50 % la part de démissions liées à des cessations de mandats subies ou fortement contraintes, le niveau s’élèverait plutôt à 70 % selon al délégation : les 53 démissions d’office, 194 autres pour respecter le nouveau droit en vigueur sur le non-cumul, les 567 décès et surtout les 1688 démissions du fait de la fusion de la commune a sein d’une commune nouvelle sont à l’origine de l’augmentation en trompe l’œil du nombre de « démissions des maires » qui a donné lieu à la médiatisation de ce sujet.
Et la délégation semble contester le caractère « marginal » des démissions qui seraient dues à la lourdeur de la charge. D’abord du fait de « l’impossibilité de quantifier le facteur "raisons de santé" parmi les motifs de démissions volontaires ». Mais aussi sur la foi de l’enquête en ligne menée par la délégation et qui a recueilli 2 500 réponses : « accroissement de la technicité juridique de la fonction et du poids des normes » ; « difficultés de conciliation entre vie familiale et exercice du mandat », « insuffisance des indemnités au regard des responsabilités exercées et de la charge de travail », « difficultés de positionnement vis-à-vis de l’intercommunalité et sentiment de perte d’influence ou de capacité à agir » et enfin l’accroissement « des exigences des administrés » et de leur « comportement consumériste » seraient régulièrement invoqués par les maires en place pour expliquer leur volonté de ne pas se représenter.
Plaidoyer pour une formation accrue des élus dans les petites communes
Conséquence : les deux députées plaident, à l’heure où Emmanuel Macron promet « un statut de l’élu digne de ce nom », un « renforcement de la formation initiale et continue des élus locaux et plus particulièrement des maires des communes de moins de 5 000 habitants ». Cette proposition, comme celles du Sénat, pourraient intégrer la discussion entre associations d’élus et Sébastien Lecornu, ministre chargé des relations avec les collectivités, annoncée par l'ancien édile de Vernon (Eure) pour la première semaine de juin, dans l’optique de l’adoption d’un nouveau statut de l’élu local avant les municipales de mars 2020.
Reste que ni dans la lettre du ministère de l’Intérieur ni dans la communication de la délégation aux collectivités il n’est fait état du nombre plus important encore de démissions de conseillers municipaux, qui inquiétaient tout autant si ce n’est davantage l’exécutif comme les associations d’élues, telle l’AMF ou l’AdCF. Cette dernière fait d’ailleurs de la « réintégration » de ces élus municipaux non membres de l’exécutif au fait intercommunal un enjeu majeur du prochain mandat.
Un répertoire sur la sellette
« Si la démission d’un maire obéit à un certain formalisme puisqu’elle doit se matérialiser par une lettre datée et signée par l'intéressé et exprimer clairement, sans ambiguïté ni réserves, sa volonté de démissionner, cette démission n’a, pour autant, pas besoin d’être motivée. La conséquence en est qu’aucune donnée qualitative en matière de démissions volontaires des maires n’est d’emblée disponible », regrettent Catherine Kamowski et Valérie Lacroute. Une attaque en règle contre le Répertoire national des élus (RNE), insuffisamment sophistiqué et normé, instauré en 2001 et faisant l’objet d’un traitement automatisé des données depuis 2014 seulement. Face à un outil qui « ne permet pas de suivre de manière objective et actualisée les évolutions des mandats électoraux », les deux députées veulent « faire évoluer la loi pour inscrire l’obligation pour les élus, de motiver, au moins sommairement, leur démission ».