Le manque de toilettes publiques, miroir de l’inhospitalité de nos villes

Faudra-t-il bientôt instaurer des quotas de toilettes publiques en fonction des seuils de population, à la manière de la loi SRU ? La question se pose sérieusement à la lecture de « Toilettes publiques, essai sur les commodités urbaines ». Julien Damon y pointe le nombre insuffisant de ces équipements dans bon nombre de villes françaises, véritable « obstacle à la dignité et l’égalité des personnes mobiles, des femmes, des sans-abri », selon lui. Les chauffeurs de taxi, enfants, personnes atteintes de maladies chroniques, celles occupant des métiers dits essentiels et pourtant si peu considérés ou bien encore les touristes auraient également pu prétendre à figurer dans cette liste non-exhaustive…

Nous ne sommes décidément pas tous égaux lorsqu’il s’agit d’aller au « petit coin » pour exercer notre « droit à l’assainissement » – un besoin pourtant vital dans certaines situations. Au-delà de sa dimension sanitaire, le sujet se révèle être un pilier majeur d’une politique de mobilités en bonne et due forme, au même titre que les déplacements domicile-travail ou la logistique urbaine. Il est rarement prix au sérieux, pourtant, par les collectivités territoriales.

Un enjeu urbanistique

Quelques rares enquêtes journalistiques avaient révélé cet impensé, après la crise sanitaire et ses confinements successifs notamment. Le site d’investigation locale Mediacités avait souligné, par exemple, les écarts importants entre les plus grandes villes françaises – avec dix fois plus de toilettes publiques à Toulouse qu’à Lille par exemple, et même près de trente fois plus à Lyon. Du coût pour les finances publiques aux inégalités territoriales, de sa dimension écologique aux enjeux sanitaires, des toilettes sèches aux WC connectés, l’auteur – enseignant à l’école de la Sécurité sociale (En3s) et à Sciences-Po – prolonge la réflexion de façon passionnante, en un tout petit peu plus que 200 pages. N’hésitant pas à convoquer, tour à tour, Jean-Claude Decaux et Victor Hugo…

« Moqué ou ignoré, le sujet des petits coins condense une partie des grands problèmes du monde », résume-t-il avec sa plume ciselée. L’intérêt de l’ouvrage, pour les élus, portera néanmoins sur la déclinaison territoriale de cette réflexion. A travers cet essai sur les toilettes, c’est une véritable leçon d’urbanisme que livre Julien Damon, qui dit beaucoup sur l’évolution et l’organisation de nos villes. Pour ne rien gâcher à la lecture, la profondeur historique de son propos rend l’analyse implacable. Un livre à poser de toute urgence sur le bureau du maire, sa table de chevet… ou une étagère de ses toilettes.