Entretien avec Géraldine Chavrier, professeur de droit public à l'université Paris I-Panthéon-Sorbonne et avocate (cabinet Fidal).
Le Courrier - Selon vous, le conseiller territorial aurait pu être considéré comme inconstitutionnel (1). Pourquoi ?
Le moyen sur l'atteinte à la distinction constitutionnelle entre départements et régions était valable. Le législateur a créé une fusion qui ne dit pas son nom. Deux catégories de collectivités subsistent effectivement, mais elles sont administrées par une seule et même catégorie d'élus, qui représentent les départements, mais non les régions.
Un autre moyen, que j'ai le plus défendu et qui me paraît juste, est la violation du principe d'interdiction de tutelle d'une collectivité sur une autre.
Par exemple, concernant la compétence régionale de développement économique, chaque élu sera tenté de défendre l'implantation d'une entreprise sur son département et mettra à mal la décision régionale qui aurait dû viser l'harmonisation du développement sur le territoire.
Le Conseil constitutionnel se prononce sur l'absence de tutelle des régions sur les départements, mais pas sur le cas inverse, dont il a été saisi. Il donne une définition de la tutelle qui ne me semble pas acceptable. Il s'appuie sur celle de la tutelle de l'Etat sur les collectivités d'avant 1982, interdisant de s'opposer à une décision, de la contrôler, etc., qui ne convient pas pour les collectivités entre elles. Le Code général des collectivités territoriales interdit d'ailleurs toute forme de tutelle, ce qui sous-entend que la tutelle peut prendre plusieurs formes.
Le Courrier -Comment envisagez-vous le quotidien du conseiller territorial ?
Une des premières caractéristiques des futurs élus est la défense des intérêts départementaux. L'intérêt régional ne sera que la somme de ces derniers. Il existera une sorte de schizophrénie du conseiller, en permanence écartelé entre ces différents intérêts. Le clientélisme sera aussi beaucoup plus important. Le conseiller sera tiraillé par plusieurs puissances locales : entreprises, associations, etc. Son travail deviendra extrêmement complexe. Par ailleurs, nous ne savons pas trop comment se posera le droit de cumuler des mandats en 2014.
Existe-t-il un équivalent de cet élu dans un autre pays ?
Ce système n'existe nulle part ailleurs, comme l'a conclu mon collègue Gérard Marcou dans un livre à paraître (2). Une assemblée locale peut élire les membres d'une assemblée du niveau supérieur, comme en Espagne où les élus des provinces le sont au suffrage universel indirect par les conseillers des communes. Mais c'est très différent. Et même ce système est très rare.
(1) Lire l'AJDA (21/12/2009) : "Les conseillers territoriaux : questions sur la constitutionnalité d'une création inspirée par la Nouvelle-Calédonie", pp. 2380 à 2384.
(2) Article "La réforme des collectivités territoriales, une exception française", in "Réformes et mutations des collectivités territoriales", L'Harmattan.
Propos recueillis par Agathe Vovard
Article publié dans "le Courrier des maires et des élus locaux" de mars 2011