"J'ai passé quelques nuits en centre d'hébergement... Nous ne sommes pas des animaux !" C'est l'expérience que livre Pascal, 48 ans. Symptomatique d'une réalité : les sans-abri ne sont pas seulement mal (ou pas du tout) logés. Ils sont mal accompagnés. L'hébergement d'urgence est portant ce carrefour à partir duquel doit se construire, sous l'égide des préfets, le service public de l'hébergement et de l'accès au logement souhaité par le secrétaire d'Etat au Logement, Benoist Apparu.
En février 2010, un long cauchemar se termine pour Pascal Parizot, 48 ans. Il peut enfin tourner la clé, sa clé, dans la serrure de son appartement. Epilogue d'une errance de dix ans, débutée lorsqu'il trouve sa valise sur le seuil de sa porte. Rupture avec son amie. Sous le choc, il erre toute la nuit. Ce jardinier employé comme intérimaire par des sociétés d'espaces verts ne peut pas louer un logement. Le 115 le refuse : « Vous avez du travail ! » Faute de mieux, il saute la grille d'un parc parisien et s'y réfugie. Son abri pendant sept ans. Sept ans durant lesquels il s'accroche à son travail. « Il est dur de travailler dehors quand on dort aussi dehors. J'ai cru que j'allais arrêter. Mais je me suis dit que si je n'avais plus de boulot, je n'aurai plus de dignité. Je me suis accroché. » Embauché en CDI, il cache sa situation à son employeur et à ses collègues. La honte. Lorsqu'il pleut la nuit, il se réfugie sous un porche, un abribus. Lorsqu'il le peut, il se paye une nuit d'hôtel. « J'ai passé quelques nuits en centre d'hébergement d'urgence, lorsqu'il y avait de la place. Mais j'ai toujours fui les grands centres, avec des dortoirs. Nous ne sommes pas des animaux ! » Un mois d'hospitalisation pour « de l'eau dans le poumon ».
Se stabiliser
A la sortie, Pascal Parizot retrouve le parc. Tous ses papiers sont perdus, feuilles de paie, pièce d'identité, demande de logement. Au bout de sept ans, il parvient enfin à se stabiliser dans un centre d'hébergement d'urgence d'Emmaüs, puis dans un autre. « Si on obtient une semaine, on est sauvé ! » Cet homme au visage buriné et au sourire timide rencontre enfin une assistante sociale qui prend en charge son dossier. Ses papiers sont reconstitués, il prend le temps de se soigner. Une « demande Dalo » est déposée. Un logement lui est enfin proposé. « Je suis tellement heureux ! Je peux m'acheter un lit, une télé, faire ma cuisine, rentrer chez moi, comme tout le monde ! »
Suivi chaotique
On estime que la France compte 100.000 personnes sans abri, 900.000 personnes sans domicile personnel, 600.000 logements indignes (chiffres 2010). Les personnes fragiles, potentiellement acculées à recourir un jour ou l'autre à une solution d'hébergement sont nombreuses. Leurs profils sont très variés: victimes de rupture familiale assortie ou non de chômage prolongé, malades en sortie d'hôpital psychiatrique, sortant de prison, déboutés du droit d'asile, jeunes en errance, personnes sans papier. Les hommes sont majoritaires. Les femmes sont parfois accompagnées d'enfants. « L'emploi étant plus fragile, la spirale pauvreté, précarité, rupture familiale, perte d'emploi se met en place très vite, bien plus vite qu'auparavant », déplore Maryse Lépée, présidente de l'Association des cités du Secours catholique.
Le suivi des personnes sans domicile se révèle chaotique, fait de ruptures, miroirs des situations personnelles. « Des jeunes, de plus en plus nombreux, viennent de l'aide sociale à l'enfance », souligne ainsi Isabelle Rougier, directrice adjointe du cabinet de Benoist Apparu, secrétaire d'Etat au Logement. En cause : la fin de prise en charge par les conseils généraux, la majorité arrivée. Les malades psychiatriques ne trouvent pas de structures pérennes à leur sortie d'hospitalisation. Selon certaines estimations, 30%, voire 50% selon les lieux, des personnes à la rue souffriraient de telles pathologies. La dureté de la vie dans la rue amplifiant le problème. Le passage par différentes structures d'hébergement ne facilite pas le suivi personnalisé. De même que les migrations d'été, caractéristiques de certains jeunes.
Institutionnellement, la situation n'est guère plus satisfaisante. L'Etat conserve sa compétence de droit commun sur la grande exclusion. Mais les opérateurs sont essentiellement des associations. Les CCAS peuvent également gérer des établissements, les conseils généraux assurent l'accompagnement avec le fonds de solidarité pour le logement (FSL).
Les collectivités locales, sans compétence claire, s'engagent selon la bonne volonté des élus. « Cette complexité est peu satisfaisante et source de coûts supplémentaires », reconnaît Alain Régnier, préfet délégué général en charge du chantier national prioritaire 2008-2012 pour l'hébergement et l'accès au logement des personnes sans abri ou mal logées.
Le rôle du préfet
La mission du préfet de coordonner l'hébergement des personnes mal logées (décret du 16 mai 2008) a été conçue précisément à partir de ce constat. D'autant que lui a été adjointe, au 1er janvier 2009, la politique de lutte nationale contre l'habitat indigne.
« Ce n'est pas simple pour l'Etat, confie le préfet. La RGPP impacte toute son organisation. » Sur le terrain, la « refondation » voulue par le gouvernement incite les administrations de l'Etat à vendre leur foncier.
Le préfet construit des relations de partenariat avec les associations - « pour ces actions, elles sont dotées à 90% par l'Etat ».
Il pousse les élus locaux à s'engager, prône une meilleure observation de la situation, encourage les actions innovantes, tel le coffre-fort numérique pour garder trace des documents. Surtout, un idéal anime Alain Régnier : « Favoriser le logement et l'accompagnement social, plutôt que les structures collectives ». Précisément ce qui a permis à Pascal Parizot de s'en sortir.
Martine Kis
Première partie du dossier "L'Hébergement des personnes sans abri", publié dans "le Courrier des maires" de mars 2010