Médecin hospitalier, Laurent El Ghozi préside l'association Elus, santé publique et territoires. Selon lui, le Pacte territoire-santé annoncé par la ministre de la Santé, Marisol Touraine, le 13 décembre 2012, pour lutter contre les "déserts médicaux" ne répond pas au problème de la liberté d'installation et d'exercice des médecins libéraux, ni à celui de l'absence totale de coordination des acteurs de la santé au plus près des besoins. Pour y remédier, il propose la mise en place d’un "service public de médecine de premier recours" associant tous ces acteurs.

"Personne ne s'occupe, à l'échelle d’un territoire de vie, de rendre cohérentes les pratiques des acteurs de santé entre elles et avec les besoins de la population locale."
Le Courrierdesmaires.fr : Pouvez-vous nous décrire ce qu'est concrètement un "désert" médical en zone urbaine ?
Laurent El Ghozi (photo). Prenons l'Ile-de-France, 7 % de la population vivraient dans des zones de désert médical, selon une étude de la mission régionale de santé. Selon la même mission, en 2004, Nanterre – 90 000 habitants – comptait 1 médecin libéral pour 2 500 habitants. C'est peu. Derrière ce ratio, la réalité est encore plus alarmante : il y a un quartier à Nanterre avec un seul généraliste pour 10 000 habitants. Certains rétorquent qu'il y a un médecin dans le quartier voisin. Mais le médecin généraliste doit être un acteur de proximité, comme le pharmacien.
Comment expliquez-vous l'existence de ces "déserts" médicaux ?
— L.E.G. La population vieillit, les besoins augmentent. Du fait de l'évolution du numerus clausus, on assiste une baisse, légère et temporaire, de la démographie médicale. Mais, quantitativement, il faut arrêter de parler de pénurie de médecins. La France est un des pays au monde où il y a le plus de médecins. C'est une question de répartition. Pourquoi trouve-t-on plus de médecins à Courbevoie qu'à Nanterre ? Pourquoi dans un quartier pauvre de 10 000 habitants, on ne trouve qu'un seul généraliste ? "Le problème est celui de la liberté d'installation et des modalités d'exercice des médecins." Le problème est celui de la liberté d'installation et des modalités d'exercice des médecins. Ceux-ci choisissent non seulement là où ils s'installent, mais aussi leur discipline, leurs tarifs, etc. Du jour au lendemain, un médecin peut décider d'arrêter la médecine de premier recours pour faire de l'acupuncture. Personne n'a de prise là-dessus. Bien souvent, on n'a même pas l'information. Ce gouvernement, comme les précédents, n'est pas assez volontariste sur cette question.
Le résultat est visible à l'hôpital. Là où l'accès à la médecine de premier recours est difficile, ce sont les urgences qui y pallient. On est sûr d'y être pris en charge et de bénéficier d'un plateau technique complet – laboratoire d'analyse, imagerie médicale, etc. – à un coût contrôlé.
N'est-ce pas le rôle de l'hôpital de permettre l'accès à la médecine de premier recours ?
— L.E.G. C'est une question à se poser. Plutôt que d'imaginer des solutions alternatives coûteuses comme une maison médicale de garde, ne vaut-il pas mieux renforcer les moyens de l'hôpital et organiser éventuellement une double filière avec des consultations d'urgence de ville ou d'urgence hospitalière ?
Cette solution ne règlera pas tout, mais c’est un débat à ouvrir. En tous les cas, une meilleure articulation entre la médecine de ville et la médecine hospitalière fait partie des éléments de réponse. C'est une évidence.
Cette meilleure articulation entre la médecine de ville et la médecine hospitalière n'est-elle pas inscrite dans le Pacte territoire-santé du gouvernement ?
— L.E.G. On attend la loi sur le pacte de confiance de l'hôpital, mais pour le moment, en effet, les hôpitaux sont très peu impliqués dans la politique locale de santé. Aujourd'hui, personne ne s'occupe à l'échelle d’un territoire de vie de rendre cohérentes les pratiques des acteurs de santé entre elles et avec les besoins de la population locale. Du coup, on continue à cloisonner.
On va par exemple s'intéresser à l'activité de tel hôpital, qui va faire un travail passionnant, mais jamais en lien avec les besoins de la population locale. La PMI est aussi un très bon exemple : on y dépiste des problèmes, mais on n'y fait pas de soins. A quoi bon avoir un système de santé globalement bon comme les PMI si derrière, une fois sorti, on peine à accéder aux soins ?
Cela implique que les médecins libéraux soient volontaires. Comment les inciter à l'être ?
— L.E.G. Il faut arrêter avec ce mythe de la médecine libérale ! Les libéraux tirent leurs revenus à 90 % de fonds publics. Et à partir du moment où l'on est "salarié" de fonds publics, qu'on le veuille ou non, on doit répondre à un certain nombre d'obligations de service public. "La ministre se fait des illusions en pensant que les incitations vont suffire." Elle se trompe aussi en pensant que la majorité de l'opinion publique ne la suivrait pas si elle était plus contraignante. Certes, des médecins vont râler, mais toutes les enquêtes réalisées auprès de jeunes médecins montrent qu'ils sont de plus en plus nombreux à partager l'idée d'un exercice salarié de la médecine, avec des tâches de santé publique, un travail en équipe.
Donc, un changement fondamental du système de santé s'impose vers ce que l'on pourrait appeler un "service public de médecine de premier recours" dans lequel se trouveraient aussi bien les médecins libéraux, les établissements privés que les hôpitaux, les centres de santé… et tous les professionnels qui ne sont pas dans le soin, mais qui interviennent auprès des patients. "La seule solution, c'est le contrat local de santé entre la ville ou l'interco, l'agence régionale de santé et les acteurs de santé". Selon nous, la seule solution, c'est le "contrat local de santé" entre la ville ou l'intercommunalité, l'agence régionale de santé et les acteurs de santé, qui organise dans le détail la prise en charge des besoins de la population en terme de santé et à partir d'un diagnostic très fin de la situation.
Donc, vous soutenez l'idée d'un chef de file communal ou intercommunal de la santé ?
— L.E.G. L'Etat doit garder la main sur les orientations générales et financières. Je parlerais plutôt de coordinateur ou organisateur local. De même qu'il organise un plan éducatif local avec l'Education nationale et les associations, de même qu'il est responsable du conseil local de sécurité avec de nombreux acteurs, le maire doit être le président du contrat local de santé ou conseil local de santé.
Cela va dans le sens de la décentralisation, du rapprochement de la décision des usagers, de la démocratie locale. Mais pour la santé, manifestement, on bute. Les gouvernements continuent d'avoir peur du lobby des médecins. D'un côté, le Pacte territoire-santé ne parle pas de territorialisation, de l'autre l'acte III de la décentralisation ne dit pas un mot sur la santé.
Propos recueillis par Marion Esquerré
- Laurent El Ghozi est également conseiller municipal délégué de Nanterre (Hauts-de-Seine).