Comme l’illustre la jurisprudence, le risque zéro n’existe pas et une épée de Damoclès demeure au-dessus de la tête des élus locaux. La mise en cause et la condamnation pénale sont pour eux des expériences traumatisantes. Les précautions prises par les élus peuvent paralyser l’action publique.
Le maire du Mont-Saint-Michel (50), Eric Vannier, a été condamné en première instance, fin février dernier, pour prise illégale d’intérêts. Il lui est reproché d’avoir participé à la décision sur le nouveau positionnement des points de départ des navettes acheminant les touristes de la côte vers le site du Mont-Saint-Michel car ceux-ci sont fixés non loin de commerces lui appartenant…
Considérant la sanction comme « injuste », il a décidé de faire appel, notamment « pour défendre l’exercice de la démocratie locale de toutes les petites communes de France ». La commune compte 44 habitants. Or, selon l’élu, « il y aurait une sorte de fatalité pénale dans cette condamnation en ce que les électeurs actifs du Mont, seuls susceptibles d’en devenir les élus, auraient tous un intérêt privé qui pourrait se trouver concerné par leur action publique ».
Le passage du Tour de France, en juillet prochain, pourrait de surcroît les mettre dans une situation délicate. « Cette action d’intérêt général pour le Mont Saint-Michel [sur le plan de la communication, ndlr] va nous mettre tous dans l’embarras et notamment les élus commerçants car il semblerait que là aussi nous profitions d’une prise illégale d’intérêt collective. »
Changer la loi ?
Que faire ? Changer la loi, répond le sénateur de l’Isère, Bernard Saugey, auteur d’une proposition de loi en ce sens en 2010. « Il y a des aberrations. Un élu qui vote une subvention de sa commune à un club de foot dans lequel joue son petit-fils peut être embêté pendant un an… Pour éviter cela, il est nécessaire de remplacer l’intérêt quelconque figurant actuellement dans l’article 432-12 du Code pénal par un intérêt personnel distinct de l’intérêt général », qui fonderait la mise en cause d’un élu. Le texte a été adopté à l’unanimité au Sénat((Proposition de loi « visant à renforcer l’attractivité et à faciliter l’exercice du mandat local » ; www.senat.fr/leg/tas10-154.html)), le 30 juin 2011. Mais il est tombé dans les oubliettes de l’Assemblée nationale depuis.
La responsabilité pénale qui pèse sur les élus est « révoltante » pour le sénateur du Var, Pierre-Yves Collombat, qui bataille lui aussi régulièrement pour que les cas de délits non intentionnels ne soient pas aussi sévèrement punis. « Le maire est là pour représenter les citoyens, ce n’est pas un professionnel » en police de l’eau, en urbanisme, etc. « Plus vous faites des choses, plus vous risquez de vous retrouver au tribunal ! La loi Fauchon n’a rien changé », estime l’élu.
Cette loi, adoptée le 10 juillet 2000, avait pourtant mieux encadré les conditions dans lesquelles les élus pouvaient voir leur responsabilité engagée dans le domaine des délits non intentionnels((Lire l’analyse juridique « Responsabilité pénale de l’élu : trente ans d’évolution », publiée dans Le Courrier n° 263 de décembre 2012, pp. 41-44.)).
Un frein à l’action publique
La prise illégale d’intérêts reste le problème majeur de la responsabilité pénale des élus. Le préjudice est avant tout politique. « Cela crée de la crainte et de la paralysie, même si ce thème est moins au cœur des préoccupations actuellement », estime l’avocat Philippe Bluteau. La tendance est en effet « à la discrétion », ajoute son confrère Yvon Goutal. « Le plaider coupable commence à se développer. Des élus sont tentés d’accepter une condamnation pour éviter un procès avec une résonance importante alors que leur dossier est tout à fait défendable. »
Pour se protéger, certains « refusent de s’investir dans les associations comme les régies de quartier ou des structures liées à l’insertion, ce qui est pourtant conforme au bien public », note Matthieu Hénon, avocat au cabinet Seban. D’autres, pour ne pas être pris en faute sur un sujet susceptible d’engager leur responsabilité, s’entourent de multiples précautions. « Pour des travaux d’aménagement dans le secteur où j’habite, je m’interdis toute action et même toute intervention sur le sujet. En conseil municipal,je sors de la salle pendant le débat et le vote », témoigne la sénatrice-maire de Châteaubourg (35), Virginie Klès.
Traumatisme
Sur le terrain, malgré le risque, l’élu doit répondre aux attentes de ses concitoyens, y compris festives. Le Grau-du-Roi (30) a connu un drame en 2006 avec le décès d’un homme sur le parcours du lâcher de taureaux dans les rues de la ville, une tradition locale. Deux élus ont été condamnés (lire ci-dessus). Mais pour le maire, Etienne Mourrut, qui avait déposé en mai 2011, alors qu’il était député, une proposition de loi visant à mieux protéger pénalement les élus lors de ce type d’événements, « il n’est pas pensable d’arrêter ce genre de manifestations. Elles font partie de notre vie. Nous prenons des mesures de précaution mais le risque zéro n’existe pas ». Alors le risque pénal, « on vit avec ! ».
L’expérience est cependant traumatisante. « Je n’aurais jamais pu imaginer cela dans des proportions aussi importantes. Je ne le souhaite à aucun élu », témoigne le maire de La Faute-sur-Mer (85), dévastée par la tempête Xynthia qui a fait 29 morts en février 2010. Poursuivi pour « homicide involontaire », « mise en danger de la vie d’autrui », « abstention de combattre un sinistre » et « prise illégale d’intérêts » avec deux de ses adjoints, René Marratier est « marqué au plus profond » de lui par cette catastrophe et surtout ses conséquences. Et le « vit très mal».
Si le maire a un moment douté, il n’a « pas été tenté par la démission. Après réflexion, je n’ai rien à me reprocher et n’ai pas fait d’erreur ». Même sentiment du maire de Cousolre (59), Maurice Boisart, qui avait été condamné en correctionnelle à une amende avec sursis pour avoir giflé un adolescent qui l’avait insulté. Relaxé en appel, le 10 octobre 2012, il continue d’aimer sa fonction. « Au lendemain de l’événement, j’ai tellement été sollicité et soutenu par la population que ce n’est pas un effort de continuer ».
Peu d’élus poursuivis. A peine plus d’une centaine d’élus locaux sont en moyenne poursuivis chaque année, selon le rapport 2012 de l’Observatoire de la SMACL sur les risques de la vie territoriale. Soit un taux de pénalisation de 0,2 pour mille.
www.smacl.com/rapport-annuel-2012-observatoire
Comment vivez-vous avec le risque de responsabilité pénale ?
« Je fais confiance, je m’informe et je contrôle »
« Lorsque j’ai été élue la première fois en 2001, je ne comprenais rien aux documents à signer et pourtant j’ai des diplômes. Par chance, j’ai pu me faire aider par un bon DGS qui m’a expliqué. Pour tout, la responsabilité nous incombe, même si c’est un agent ou un adjoint qui faillit. Je contrôle, je lis les documents avant de les signer, pose des questions, voire porte plainte comme dernièrement pour suspicion de fraude sur un marché public. L’information et la formation des élus sont importantes. Et il faut faire confiance à son équipe. Mes adjoints me font remonter leurs informations et interrogations. C’est ce qui s’est passé pour la modification partielle du PLU. Immédiatement, j’ai interdit par note à tous les conseillers municipaux qui avaient un intérêt direct ou indirect sur la zone concernée d’intervenir dans les débats. »
Virginie Klès, sénatrice, maire de Châteaubourg (Ille-et-Vilaine)
« Des moments très difficiles »
« Etre condamnés à trois mois de prison avec sursis avec mise à l’épreuve pendant cinq ans, des amendes de 1 000 et 500 euros au pénal et 75 000 euros au civil est une aventure très douloureuse, terrible. Avec mon collègue, Jean Spalma, nous regrettons infiniment qu’une personne soit décédée lors d’un lâcher de taureaux en 2006. La procédure est longue. Il reste le pourvoi en cassation. Nous avons vécu des moments très difficiles. Sur le plan familial, cela se vit très mal quand l’huissier vient vous signifier votre convocation au tribunal pour homicide involontaire, un 22 décembre. On se sent assimilés à des délinquants. Et pendant cinq ans, à la moindre faute, nous risquons la prison. Maintenant, nous nous mettons moins en avant dans l’organisation des manifestations. »
Enry Bernard-Bertrand, conseiller municipal au Grau-du-Roi (Gard)
« On doit assumer la part de risques »
« Je le vis avec beaucoup de sérénité. Le minimum est évidemment de bien connaître la loi. Il ne faut pas avoir peur de faire des choses. On doit assumer la part de risques. Et puis, il y a les services, notamment techniques. A Paris, ils sont nombreux, très compétents. Le retrait des services de l’Etat pénalise les élus des petites communes. Mais, même si nous nous sentons protégés par nos services, je ne leur fais pas une confiance absolue. Cela fait partie du job des élus de se renseigner par eux-mêmes, de consulter des avocats si besoin. Dès que j’ai une interrogation, je regarde les différents codes. Notre fédération d’élus, qui mutualise les expériences au sein du parti, nous aide aussi. La formation des élus compte beaucoup. Etre élu n’est pas un métier, mais demande des savoir-faire. Cela s’acquiert. »
Yves Contassot, conseiller de Paris