La politique locale, « angle mort de la déontologie publique »

Hugo Soutra
La politique locale, « angle mort de la déontologie publique »

Transparence de la vie politique

© Flickr-CC-MJ.Long

À l’aube des élections municipales et intercommunales, l’Observatoire de l’éthique publique - laboratoire d’idées présidé par l'ex-député René Dosière - et le magazine d’investigation locale « Médiacités » se sont associés pour publier un Livre blanc. Y figure une trentaine de propositions visant à renforcer les règles déontologiques et la transparence locale, mais aussi à revivifier la participation citoyenne dans les territoires. Refusant de jeter l’opprobre sur les 500 000 élus locaux de l’Hexagone, les auteurs veulent, au contraire, nourrir le débat public sur ces questions avec leur travail.

Le constat a le mérite de la franchise. Aux yeux de Laurianne Rossi, députée LREM et membre de l’Observatoire de l'éthique publique, « les élus locaux sont les grands oubliés de l’exigence de transparence » qui traverse aujourd’hui notre société. Si en effet plusieurs lois ont permis, ces dernières années, de mieux encadrer les risques juridiques pour les membres du gouvernement et les parlementaires, « beaucoup de choses restent encore à faire au niveau local ».

Même position ou prou chez Jean-François Kerléo, professeur de droit public à l’Université Aix-Marseille, et autre membre de ce jeune think tank, selon qui « l’échelon local serait même l’angle mort de la déontologie publique ». Un non-sens pour cet enseignant au vu « du nombre de communes que compte la France et du rôle qu’elles jouent au quotidien au niveau des solidarités ».

Un constat d’urgence que partage également Jacques Trentesaux, rédacteur en chef du site d’investigation locale, Médiacités : « aujourd’hui seuls 51% des Français sont capables de donner le nom de leurs maires contre 80% il y a 30 ans. On assiste à un détournement démocratique qui mérite que l’on se batte » selon le journaliste, qui s'était déjà fendu avec une cinquantaine d'universitaires d'un "Manifeste pour une démocratie locale réelle" à l'automne dernier.

Zones à risques et zones grises

En associant leurs expertises (parlementaire, juridique et journalistique), les auteurs du « Livre blanc pour une démocratie rénovée » ambitionnent donc, au travers d’une trentaine de propositions concrètes, de combler ce vide. Ils promeuvent des évolutions législatives, précises et applicables immédiatement, mais poussent aussi à l’adoption de « bonnes pratiques » à l’échelon local.

« Il ne s’agit pas ici de jeter l’opprobre sur les 500 000 élus locaux qui sont pour la plupart bénévoles » insiste la questeure de l'Assemblée nationale, Laurianne Rossi, mais bien de porter une attention particulière sur certaines « zones à risques » comme les possibles conflits d’intérêts dans l’attribution des marchés publics ou les subventions aux associations. Ainsi, les auteurs suggèrent, entre autres, de créer des « jurys citoyens » pour l’attribution des subventions locales mais aussi de confier la commission d’appel d’offres à l’opposition.

Selon une estimation de la SMACL, chaque année environ 70 élus seraient concernés par des poursuites judiciaires pour manquement au devoir de probité. « On a environ en France 2 000 élus qui sont à la tête d’exécutifs importants (régionaux, départementaux ou communaux) qui ont donc des pouvoirs conséquents … c’est pour eux que les risques sont les plus importants » décrypte René Dosière.

Lire aussi notre entretien avec René Dosière : 
« La décentralisation n’a pas vraiment fait progresser la démocratie locale »

Mais, au delà d’un meilleur encadrement des pratiques locales, ce livre blanc lève aussi un coin du voile sur ce que les auteurs appellent des « zones grises ». « Ce sont des pratiques aujourd’hui légales mais qui sont devenues, pour beaucoup de citoyens, absolument insupportables » détaille Jacques Trentesaux. Et ce dernier de citer par exemple le cumul par l’ancienne députée LR, Valérie Debord, des indemnités de ses trois mandats (Ville de Nancy, Métropole, et Conseil régional) avec des allocations chômage, mais aussi les remboursements de frais très personnels (hôtel, hammam, chaussettes, etc) du président de la métropole de Lille, Damien Castelain, pour un montant de 11 000 euros.

« Nous proposons ainsi d’écrêter les indemnités perçues par les élus locaux au titre de leurs différents mandats au niveau de l’indemnité parlementaire [ndlr : 7185 euros bruts,], explique Aurore Granero, maître de conférence en droit public à l’Université de Dijon, co-auteure du Livre blanc,  « nous pensons par ailleurs que l’exercice d’un mandat local rémunéré équivaut à l’exercice d’une profession et ne peut donc pas être cumulable avec des indemnités chômage ». Idem pour les frais de représentation qui méritent d’être mieux bordés : « nous souhaitons qu’un référentiel des frais de représentation autorisés soient créé pour rendre cette pratique plus transparente pour les élus et les citoyens ».

Support de débat, transposition dans le droit

« Nous voulons vraiment, avec ce livre blanc, créer du débat public autour de ces questions » insiste René Dosière. Certaines des propositions pourraient d’ailleurs être introduites dans la loi dite « 3D » portée par Jacqueline Gourault, dès le printemps, via des amendements parlementaires.

Mais avant l’arrivée de ce véhicule législatif, les auteurs ambitionnent d’ores et déjà de « faire vivre ce Livre blanc » dans les territoires en le présentant dans les semaines à venir dans plusieurs grandes villes afin que les acteurs locaux (élus, association d’élus et citoyens) « puissent se l'approprier » conclut Jacques Trentesaux.

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