Urne, élections
Votées le 5 avril, les deux propositions de loi visant à « moderniser » l’élection présidentielle suscitent les réactions outrées des représentants des « petits » partis peu représentés au Parlement sur un point : les nouvelles modalités de comptabilité des temps de parole des candidats. La publication intégrale des parrainages nécessaires aux candidats pour se présenter fait, elle, moins débat.
L'Assemblée nationale a adopté en lecture définitive, le 5 avril au soir, deux propositions de loi – dont une organique - visant à la « modernisation » de l'élection présidentielle et de diverses règles applicables à tous les autres scrutins. Elles s'appliqueront dès le prochain scrutin de 2017.
Il en va ainsi des opérations de vote. Malgré l'opposition du gouvernement à cette mesure, les parlementaires ont fixé à 19h l'heure la clôture du scrutin, avec des dérogations possibles jusqu'à 20h. Il s'agit d'éviter « la divulgation des résultats partiels pouvant altérer la sincérité du scrutin », a indiqué la rapporteure devant l'Assemblée, Elisabeth Pochon. Les sanctions pénales ont été renforcées.
Enfin, les commissions de contrôle des opérations de vote, prévues dans les communes de plus de 20 000 habitants, sont supprimées, les délégués du Conseil constitutionnel étant là pour assurer ce travail.
Contrôle des comptes et des sondages
La période de comptabilité des dépenses et recettes électorales dans les comptes de campagne a été réduite à 6 mois, sauf pour l'élection présidentielle – toujours un an. La Commission nationale de contrôle des comptes de campagne pourra désormais recruter des experts pour authentifier les justificatifs fournis.
Les parlementaires ont introduit dans le texte de la loi des dispositifs visant à imposer plus de rigueur scientifique à la production de sondages électoraux et à rendre public les noms de leurs commanditaires. Le rôle de la Commission des sondages est également renforcé.
Transparence et exhaustivité de la publicité des signatures
La liste des parrains sera publiée intégralement. Cette mesure « institue une transparence destinée à éviter pression, marchandage et instrumentalisation de tout bord, alors que le Conseil constitutionnel a rappelé qu'une présentation n'est pas un vote », a justifié Elisabeth Pochon. Les parrains transmettront directement leur signature par voie postale et, à partir de 2020 par voie électronique, au Conseil constitutionnel qui publiera les listes de signatures mises à jour, au moins deux fois par semaine.
Au final, la légitimité de la plupart des mesures a été assez peu contestée par les députés, à l'exception majeure des nouvelles modalités de comptabilité des temps de paroles des candidats, contenues dans la proposition de loi organique.
Equité contre égalité
Le principe d'égalité stricte du temps de parole des candidats sur les antennes de radio et de télévision s'appliquera seulement aux deux semaines de la campagne officielle. Durant la période dite intermédiaire, les trois semaines précédentes, le principe d'égalité sera remplacé par un principe d'équité, mesuré à l'aune de trois critères : le score aux élections, le placement dans les sondages et la participation à l'animation du débat électoral.
Selon Elisabeth Pochon, « cette mesure se borne à reprendre le principe d'équité des temps de parole tel qu'il est déjà appliqué avant la période intermédiaire, tout en le renforçant ». Les critères proposés, affirme-t-elle, sont ceux déjà utilisés par le CSA. L'équité devra être respectée « dans des conditions de programmation comparables », sous le contrôle du CSA, 5 minutes de Journal télévisé de 20h n'ayant pas la même valeur que 5 minutes au journal du soir. Enfin, le CSA publiera ses relevés en open data, au moins une fois par semaine, pour permettre aux médias de corriger le tir.
Une solution bancale
Mais ces arguments ne convainquent pas. Si les élus Les Républicains approuvent l'intérêt de l'équité face l'égalité - « d'un certain point de vue, source de bien des inégalités » a estimé Philippe Gosselin portant la parole du groupe LR-, la solution choisie leur semble « bancale ». L'évaluation de la « participation des candidats à l'animation du débat » fondée sur la tenue de réunions publiques, la participation à des débats ou les moyens de communication mis en œuvre ... et des « conditions de programmation comparables » offrent trop d'interprétations possibles.
67 députés du groupe sur 197 ont toutefois approuvé la proposition de loi.
Un système jugé pervers et arbitraire…
De son côté, Jean-Christophe Lagarde de l'UDI a décortiqué le critère de l'audience aux dernières élections. « S'il s'agit de l'élection présidentielle, seuls ceux qui s'y étaient présentés auront le droit à la parole ? Et si l'élection précédente est une élection locale, vous allez créer des listes locales pour obtenir du temps de parole à l'élection présidentielle suivante ? C'est un système pervers ! ».
Le représentant du groupe UDI a critiqué également le rôle du CSA qui, de contrôleur de l'égalité du temps de parole, en devient le « censeur ». « Qui ici peut accepter que le CSA nommé par le pouvoir, soit désormais celui qui juge de l'utilité, de l'importance, de la pertinence » de la participation d'un candidat au débat ? » Les élus de l'UDI ont voté contre.
… qui renforce le tripartisme
Dès lors que l'on se fonde sur les sondages et les résultats aux dernières élections pour évaluer le temps de parole, interroge Marie-Georges Buffet, « où est la souveraineté populaire de faire évoluer les rapports de force et de choisir démocratiquement de nouveaux représentants ? ». Noël Mamère, pour le groupe écologiste, a rappelé que 5 semaines d'équité puis d'égalité médiatique étaient déjà bien maigres face à l'omniprésence d'un « certain nombre de responsables politiques des grands partis qui depuis 5 ans, ont table ouverte dans les médias publics comme privés ».
Pour le moins étonnés de voir que le gouvernement, à la manœuvre selon eux, a choisi de répondre aux desiderata à caractère commercial des médias audiovisuels contre la pluralité des débats, tous craignent au final que cette mesure renforce le tripartisme PS/LR/FN. Or, chez les écologistes comme au Front de gauche et à l'UDI, on estime que ce rétrécissement annoncé du débat politique va à contre sens des aspirations des citoyens, chez qui grandit la défiance à l'égard du personnel politique et des grands partis dans un système démocratique à bout de souffle.
Une pétition citoyenne
Cela fait écho à une pétition citoyenne lancée une semaine avant le dernier examen devant l'Assemblée, qui au moment de sa remise auprès d'Elisabeth Pochon comptait plus de 95 000 signatures. Les 100 000 ont été atteints peu après le vote. « C'est quoi une présidentielle moderne ? » interroge son initiatrice, Axelle Tessandier, citoyenne non encartée politiquement mais mobilisée dans le domaine des « civic technologies ». Surement pas la présidentielle telle qu'elle ressortira de cette réforme, juge-t-elle : « les sélectionnés viendront des mêmes formations qu'en 2012 et seront portés par les machines à prendre le pouvoir que sont devenus les partis politiques », écrivait-elle dans une tribune publiée sur le site du Huffpost.
Or, insiste-t-elle, « le monde a changé. On ne peut pas le réinventer avec le même état d'esprit et les mêmes joueurs », rappelant le taux d'abstention et de non inscrits et celui, encore plus élevé des 18-34 ans dont elle fait partie. « Pour innover, il faut renverser la table de partis politiques devenus illégitimes et qui bloquent notamment le renouvellement de la classe politique française ».
Dialogue de sourds
Et de résumer ainsi sa rencontre avec la rapporteure de la loi, le matin du vote à l'occasion de la remise de la pétition : « un dialogue de sourds ». D'un côté, une députée opposant son expérience politique de 40 ans aux jeunes coupables de ne pas voter et, ainsi, de ne pas s'intéresser à la vie de la société. De l'autre, une citoyenne estimant représenter une jeunesse en quête de changement de société, de démocratie horizontale, engagée autrement et préparant son avenir... mais loin des élites politiques qu'elle associe au passé.