La « mobilisation nationale » pour les quartiers prend forme, pas de révolution en vue

Hugo Soutra
La « mobilisation nationale » pour les quartiers prend forme, pas de révolution en vue

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© Ville et Banlieue (twitter)

Désireux de s’attaquer aux « inégalités de destin » qui se conjuguent avec les inégalités territoriales dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, l’Elysée et le ministère de la Cohésion des territoires ont fait une série d’annonces, cette semaine, sur l’emploi, l’éducation, la sécurité ou encore le logement. Si l'exécutif ne semble plus ambitionner une transformation radicale de la politique de la ville, il aura tout de même besoin de l'engagement de l'ensemble des administrations de l'Etat, des collectivités, des associations et des entreprises pour passer de la communication aux actes...

Il n’y aura donc pas de « plan banlieue » comme l’avait annoncé avec fracas Emmanuel Macron le 22 mai, mais le gouvernement ne révolutionnera pas non plus la politique de la ville comme le président de la République s’y était pourtant engagé, fin 2017, à Tourcoing. A l’occasion d’un point d’étape sur la « politique en faveur des territoires » réalisé devant le conseil des ministres, mercredi 18 juillet, Jacques Mézard et Julien Denormandie ont en partie levé le voile sur la vision de l’exécutif en ce qui concerne l’avenir des quartiers prioritaires. Qui ressemble à s’y méprendre à celle des précédents gouvernements…

Des annonces plus ou moins nouvelles

Martelant les différents éléments de langage utilisés par Emmanuel Macron – « effectivité des droits », « inégalités de destin », « assignation à résidence », « favoriser l’émancipation », « faire République » -, le ministre et le secrétaire d’Etat à la Cohésion des territoires ont d’abord vanté les actions déjà entreprises et/ou en cours de mise en œuvre :

  • Dédoublement des classes de CP et CE1 en REP et REP+ d’ici la rentrée 2019 ;
  • Déploiement des « emplois francs » d’ici 2020 ;
  • Création de 1300 postes de policiers dans 60 quartiers de « reconquête républicaine » dans le cadre de la police de sécurité du quotidien avant 2020, etc.

Par la voix des deux ministres, toujours, le gouvernement a également fait de nouvelles annonces concernant la petite enfance et l’éducation, la sécurité et la prévention de la délinquance, encore, mais aussi l’insertion professionnelle, le logement et le cadre de vie, le sentiment de discrimination ou encore la pauvreté. A défaut de déboucher sur une révision en profondeur de la politique de la ville, les 10 groupes de travail réunis autour des grands ministères, les 180 autres groupes mis en place par les préfets et le rapport Borloo ont tout de même permis de faire émerger quelques propositions, huit mois après l’appel du président de la République à la « mobilisation nationale pour les quartiers » :

  • Favoriser la mixité sociale dans les quartiers prioritaires et loger les ménages les plus des modestes hors des QPV, via le projet de loi ELAN ;
  • Lutte contre les marchands de sommeil, via le projet de loi ELAN ;
  • Instauration d’un bonus de 1 000€ par place de crèche  créée dans les quartiers ;
  • Ouverture de 260 centres sociaux ou espaces de vie sociale d’ici 2022 ;
  • Aides de l’Etat aux communes pour la création de postes d’ATSEM, afin de disposer de deux encadrants par classe dans les écoles maternelles de 60 quartiers ;
  • Augmentation de 3 000€ de la prime des personnels de l’Education nationale exerçant dans les établissements REP+ ;
  • Doublement du nombre de maisons pluridisciplinaires (42) et centres de santé (209) dans les quartiers prioritaires d’ici 2022 ;
  • Annonce à la rentrée 2018 d’un plan contre la criminalité organisée, l’économie souterraine et les trafics de drogue ;
  • Création de 34 postes de délégués cohésion police-population ;
  • Ouverture de 8 nouveaux centres de loisirs jeunes (CLJ) animés par des policiers en direction de jeunes de 8 à 17 ans d’ici 2020 ;
  • Formation de 20 000 acteurs de terrain par an aux « Valeurs de la République et à la laïcité »

Le fonctionnement de l'ANRU toiletté

A noter, également, au rang des annonces et des promesses, que le gouvernement souhaite expérimenter des « cités éducatives », sur le modèle de ce qu’a pu mettre en place l’élue DVD Catherine Arenou à Chanteloup-les-Vignes. Mais la principale mesure qui intéressera les élus locaux concerne probablement la rénovation urbaine. Le financement du NPNRU 2 a été « sécurisé » entre l’Etat, les bailleurs sociaux et Action Logement, permettant à l’ANRU d’instruire une cinquantaine de projets régionaux et nationaux depuis fin mai soit environ 1 milliard d’engagement. « Une centaine d’autres projets pourront être validée d’ici fin 2018, et les conventions opérationnelles de projet seront conclues avant fin 2019 pour les 200 projets nationaux et 250 projets régionaux grâce à une réduction du délai d’instruction, qui passera d’environ 2 ans et demi à moins d’un an » a promis Jacques Mézard.

Le secrétaire d’Etat à la Cohésion des territoires a également annoncé que le prochain budget comprendra une enveloppe de 15 millions d’euros à destination d’associations dont les actions structurantes mériteraient d’essaimer et d’être dupliquées à l’ensemble des territoires fragiles. « En plus des 430 millions d’euros de crédits spécifiques à la politique de la ville qui ont déjà été sanctuarisés, ainsi que les toutes les aides des différents ministères » récapitule Julien Denormandie. « Qu’il s’agisse des collectivités, des associations à travers ce partenariat national pour la cohésion des territoires, ou des entreprises, nous avons su remettre autour de la table de la politique de la ville de nombreux acteurs » s’est-il félicité. parmi les premières associations subventionnées, l'Agence pour l'Education par le sport (Apels).

Des "pactes" avec les collectivités, associations et entreprises

Pour ce qui est des acteurs économiques, Emmanuel Macron avait en effet reçu une centaine de dirigeants patronaux, représentant des entreprises du Cac40 comme des entreprises intermédiaires (ETI), moyennes ou petites (PME), la veille au soir, mardi 17 juillet. Qu’il s’agisse de formation, d’insertion professionnelle ou d’emplois, plusieurs engagements réciproques ont alors été pris et consignés dans le cadre d’un « PaQte » (Pacte avec les quartiers pour toutes les entreprises) signé entre le ministère de la Cohésion des territoires et les entreprises. Convaincu que le politique « ne peut pas tout », le président de la République a explicité hier soir l’idée de ce nouveau partenariat. Puisque les pouvoirs publics participent à « créer les conditions d’un développement économique susceptible de déboucher sur une croissance inclusive », les entreprises françaises devraient s’engager davantage en faveur des populations marginalisées, dans la mesure où elles disposent, elles aussi, de leviers stratégiques non négligeables pour renforcer la cohésion nationale.

Aux yeux de l’exécutif, qui semble tout de même occulter l’existence de Chartes Entreprises & Quartiers jusqu’à présent il est vrai plus ou moins efficaces selon les secteurs d’activité  et les territoires, la mobilisation des entreprises illustre en tout cas la nouvelle « méthode » retenue par Emmanuel Macron pour repenser collectivement la politique de la ville et changer l’image des quartiers prioritaires. Sur le modèle de l'évènement du PaQte autour de l'insertion professionnelle, d’autres rendez-vous devront probablement devoir être organisés avec les acteurs associatifs ou les collectivités territoriales. Au-delà de la communication présidentielle et donc du « Pacte de Dijon » récemment ratifié par le premier ministre ainsi que du « partenariat national avec les associations pour la cohésion des territoires », les acteurs de la politique de la ville attendent encore, en effet, de nombreuses réponses à leurs interrogations.

Flou sur les moyens de droit commun de l'Etat

Quels types de réponses après ce flot de nouvelles annonces ? Le gouvernement devra notamment clarifier les moyens budgétaires que sont réellement prêts à injecter les différents ministères, et la méthode opérationnelle retenue pour fixer cette nouvelle feuille de route commune à tous ces acteurs ou encore réviser et transformer en profondeur les contrats de ville. Car le rapport Borloo comme le récent rapport parlementaire sur la Seine-Saint-Denis de François Cornut-Gentille (LR) et Rodrigue Kokouendo (LREM) ont su documenter à quel point les interventions de l’Etat régalien, c’est-à-dire des ministères de l’Education nationale, de la Justice ou de l’Intérieur se révélaient jusqu’ici profondément inégalitaires vis-à-vis des territoires populaires.

A défaut de créer une « Cour d’équité territoriale » comme le préconisait Jean-Louis Borloo, des indicateurs et mécanismes d’évaluation verront le jour tandis qu’un débat d’évaluation sur l’équité territoriale sera organisé au Parlement, promet le gouvernement. Objectif : « mesurer chaque année l’atteinte des résultats au niveau de chaque agglomération concernée et au niveau national », peut-on lire dans le dossier de presse élaboré par le ministère de la Cohésion des territoires. Cela semble être un minimum requis, après les critiques qui n’avaient pas manqué d’émerger le 22 mai dernier à la suite du manque d’engagements précis alors pris par le président de la République, Emmanuel Macron. Jusqu'à quand les acteurs locaux – et, in fine, les habitants des quartiers prioritaires – devront-ils attendre ?

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