En progrès depuis 2008, la diversité reste faible dans les exécutifs locaux. Une situation liée au mode de scrutin, au conservatisme des partis et aux préjugés. Les élus concernés hésitent sur les quotas et privilégient les compétences.
Difficile de se débarrasser d’une étiquette qui vous colle à la peau. D’autant plus lorsque la couleur de cette peau n’est pas blanche. « Je ne peux pas me cacher derrière un quelconque paravent : je suis noir, né au Cameroun. Le système politique français est pervers : on vous promet que vous arriverez à gravir les échelons, mais vous avez beau être impliqué au niveau local, du fait de votre couleur de peau, on ne vous considère pas comme étant assez porteur d’espoir pour la nation entière », constate ainsi Aurélien Tricot, adjoint au maire de Poitiers (86) chargé des sports et vice-président de la communauté d’agglomération de Grand Poitiers.
Les clichés qui collent à la peau, au patronyme ou au pays de naissance, Myriam El Khomri, adjointe au maire de Paris, chargée de la prévention et de la sécurité, les affronte elle aussi régulièrement : « Je dois préciser à certains de mes interlocuteurs que malgré mes origines marocaines je n’ai que deux frères et je ne suis pas voilée ! Et il m’est arrivé de recevoir des courriers stigmatisants du genre ce n’est pas avec un nom comme le vôtre que la mairie va régler mes problèmes avec mon voisin maghrébin. »
Stéréotypes
En témoigne également Fouad Sari, conseiller municipal à Vigneux-sur-Seine (91) : « Une fois l’obstacle de l’élection franchie, on continue à nous enfermer dans des stéréotypes. Je voulais m’occuper du développement durable, une problématique que je maîtrisais. Or, le maire m’a confié le portefeuille de la jeunesse. » Autant de vécus que le sociologue Eric Keslassy analyse ainsi dans une note « Ouvrir la politique à la diversité » publiée en 2009((Institut Montaigne)) : « Le décalage entre l’échelle territoriale et nationale est très important : moins de 1 % des élus parlementaires relèvent des minorités visibles contre 5,34 % des élus régionaux.
Si le mode de scrutin de liste explique en partie ce fait, il faut surtout admettre que les hommes politiques leur laissent des places aux postes qu’ils jugent les moins importants. Et pourtant, toutes les enquêtes montrent que les électeurs sont prêts à élire des personnes appartenant aux minorités visibles. Le monde politique est ainsi particulièrement conservateur et férocement concurrentiel. Même s’il y a des différences entre les partis : à l’échelle régionale, on recense à gauche 78 % d’élus de la diversité contre 22 % à droite. Enfin, à l’échelle municipale, les adjoints issus de la diversité se voient généralement cantonner aux délégations suivantes : lutte contre les discriminations et égalité des chances ou bien vie associative. »
Autre constat du sociologue : « Les élus locaux appartenant aux minorités visibles sont éminemment républicains. Je n’ai pas observé de logique communautariste de leur part. » Ce que confirment les élus interrogés (lire ci-contre). Afin d’améliorer leur représentativité dans la sphère politique, Eric Keslassy préconise notamment la fin du cumul des mandats, la limitation, dans le temps, à trois du nombre de mandats électifs successifs et l’octroi du droit de vote des résidents étrangers non européens aux élections locales afin d’élargir le corps électoral et d’obliger les partis politiques à tenir compte de cette diversité.
Un progrès depuis 2008
La sphère politique commence cependant à se colorer, par petites touches. Les enquêtes récentes du Haut conseil à l’intégration (lire les chiffres ci-contre) soulignent l’augmentation, entre 2001 et 2008, des personnes issues de l’immigration dans les exécutifs locaux. Dans son étude intitulée « Promotion et marginalisation des candidats de la diversité dans une commune de la banlieue parisienne »((« Politix. Revue des sciences sociales du politique », 2010/3, n° 91, éd. De Boeck Université)), la sociologue Marie Cartier observe que « les élections municipales de 2008 en France ont été qualifiées de séance de rattrapage de la diversité ». Jusqu’aux années 2000, note-t-elle, la question des « minorités visibles » était marginale dans les grands partis. En 2008, l’offre de candidats est plus importante que dans les années 80 du fait de l’augmentation du pourcentage de « divers » dans les professions qui sont le vivier du système politique (professions médicales, libérales, professions intermédiaires, enseignants).
« Impatient » de voir les couleurs de l’arc-en-ciel, Kamel Hamza, conseiller municipal à La Courneuve (93) a fondé, en novembre 2008, l’Association nationale des élus locaux pour la diversité : « Aujourd’hui, l’Aneld rassemble 250 élus locaux désireux de mettre en avant leurs compétences et non leurs origines. Notre objectif : sortir de l’élu alibi. Notre modèle : les Etats-Unis où nous avons fait un voyage d’étude l’année dernière pour observer les bonnes pratiques, parmi lesquelles les statistiques ethniques. Il faut partir d’une réalité et officialiser les discriminations afin de lutter efficacement contre les inégalités. Quand nous n’avançons pas, c’est la République qui recule. »
Cette démarche interpelle Myriam El Khomri : « Si l’on met en place des quotas, cela risque d’entraîner des suspicions d’incompétences. » Pour Mohand Hamoumou, maire de Volvic (63), seule la compétence doit primer : « Les Américains n’ont pas élu un noir ou un métis, mais un diplômé de Harvard, un avocat brillant, un tribun exceptionnel, une personnalité charismatique. Il se trouve qu’il est noir… Mais si Barack Obama avait été blanc et crétin de première, il ne serait pas devenu président des Etats-Unis. » Peut-être, comme pour la parité homme-femme, doit-on en passer par les quotas. Ainsi le pense Aurélien Tricot, pour que « les victimes de discriminations puissent retrouver l’égalité républicaine dont ils ont été privés. A nous d’ouvrir le chemin pour les générations à venir issues de la diversité. Comme si nous étions une génération de combattants ».
Aude RauxDisparités régionales
En 2008, 1,84 % des élus municipaux bretons sont issus de l’immigration extra-européenne, contre 10,84 % en Ile-de-France, région qui réunit presque la moitié du total des élus issus de l’immigration élus en métropole (1 032 sur 2 343), suivie de Rhône-Alpes, puis du Nord-Pas-de-Calais et de Paca (source : Haut conseil à l’intégration (HCI), septembre 2011).