« La laïcité est un processus, jamais totalement acquis… Il n’y a pas de laïcité parfaite »

Denis Solignac

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Manola - 18/02/2015 00h:38

Pourquoi demander son avis à quelqu'un qui ne comprend pas ce qu'est la laïcité ? Un seul exemple : Valentine Zuber dit "Dans les pays du Nord, on arrive à offrir des repas sans gluten sans que cela engendre de débats philosophiques". En France non plus Madame, car les raisons de la demande sont "objectives" et non pas religieuses et donc subjectives. Toutes les cantines savent (ou devraient savoir) gérer les repas spéciaux pour raisons médicales. Répondre favorablement à la diversité des repas pour une ou plusieurs religions c'est autre chose, surtout si cela engendre des surcoûts importants.

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bonhomme - 28/05/2015 11h:17

Quand on ne sait pas s'occuper de chômage et de pauvreté, on s'occupe de détails, comme la laïcité à l'école. Il faut rappeler les fondamentaux de la religion :"Aimez vous les uns les autres". Cela demande du talent et du travail. Pour le prochain, le plus pauvre, pas un institut des hautesétudes gnagnagna qui n'intéresse personne.

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« La laïcité est un processus, jamais totalement acquis… Il n’y a pas de laïcité parfaite »

Valentine Zuber, directrice d’études à l’EPHE

© C.Hélie-Gallimard

Valentine Zuber, directrice d’études à l’Ecole pratique des hautes études, souligne les caractéristiques de la laïcité à la française, et notamment les difficultés, pour la République, d’accepter la visibilité des minorités. Elle rappelle que la laïcité s’impose avant tout à l’Etat et ses agents, et non aux citoyens.

Courrierdesmaires.fr. Le concept de laïcité est-il spécifique à la France ?

Valentine Zuber((Valentine Zuber, directrice d’études à l’Ecole pratique des hautes études, chaire des Religions et relations internationales, a publié en 2014 chez Gallimard « Le culte des droits de l’homme ».)). Non. Il est partagé absolument partout en Europe, même si l’on n’utilise pas le même mot. On trouve partout le même idéal de séparation de la sphère temporelle et de la sphère religieuse.

En anglais, on parle de "civil state", "secular state". La modernité occidentale s’est construite sur la reconnaissance de la liberté de conscience, à la suite de longs combats religieux, philosophiques, philosophico-politiques, depuis le XVIe siècle. A cet égard, on peut citer les travaux de Pierre Bayle (1647-1706) au lendemain de la révocation de l’Edit de Nantes.

Les premiers à avoir théorisé cette séparation, au XVIIe siècle, sont des Anglo-saxons, et parmi eux, le puritain Roger Williams, fondateur de la colonie de Rhodes Island, puis John Locke en Grande-Bretagne (1632-1704). Ce sont souvent des dissidents du calvinisme qui ont pensé le pluralisme religieux, la liberté de conscience et de culte, dans un Etat neutre.

Cette conception a été appliquée pour la première fois dans l’histoire avec le premier amendement de la Constitution américaine ((« Congress shall make no law respecting an establishment of religion, or prohibiting the free exercise thereof ; or abridging the freedom of speech, or of the press ; or the right of the people peaceably to assemble, and to petition the Government for a redress of grievances. » – « Le Congrès ne fera aucune loi qui touche l'établissement ou interdise le libre exercice d'une religion, ni qui restreigne la liberté de la parole ou de la presse, ou le droit qu'a le peuple de s'assembler paisiblement et d'adresser des pétitions au gouvernement pour la réparation des torts dont il a à se plaindre. »)), en 1791, qui sépare l’Etat fédéral, neutre et laïque, de toute religion. Puis, la France et les autres Etats européens ont procédé à cette séparation.

Comment s’expriment ces laïcités?

V. Z. L’histoire fait que les modèles séparatistes ne sont pas les mêmes partout. On trouve deux grands modèles. Celui de l’indifférence, en France et aux Etats-Unis par exemple, où l’Etat ne s’occupe pas des cultes. Et celui de l’égalité entre les cultes, où l’Etat donne les mêmes moyens à tous, quels qu’ils soient : c’est le modèle de l’Allemagne, de la Grande-Bretagne, de la plupart des Etats scandinaves.

Même si les modalités de mise en œuvre de la séparation Eglise-Etat sont différentes, le principe, lui, est le même partout. Ne confondons pas principe et modalité d’action.

En Europe, aucun pays n’a de politique discriminante contre une religion, aucun ne se trouve donc en contradiction avec l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme qui consacre la liberté de religion et de conviction pour tous((Article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme : Liberté de pensée, de conscience et de religion. 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. 2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.)). De ce point de vue, les citoyens européens sont tous égaux, quelle que soit l’orientation idéologique de l’Etat et son éventuelle religion officielle.

Il y a une grande différence entre la position extrême de la France, où l’Etat est théoriquement complètement neutre, et d’autres pays où il existe une collaboration entre l’Etat et les mouvements religieux pour le bien commun.”

Laïcité ne signifie donc pas absence de relation avec un mouvement religieux ?

V. Z. En effet, il y a une grande différence entre la position extrême de la France, où l’Etat est théoriquement complètement neutre, et d’autres pays où il existe une collaboration entre l’Etat et les mouvements religieux pour le bien commun.

En Allemagne, par exemple, les Eglises constituaient la seule poche de résistance au nazisme. La loi fondamentale du 8 mai 1949 prévoit donc qu’elles collaborent avec l’Etat dans les domaines de l’éducation, de la santé, des retraites. C’est aussi l’Etat qui collecte l’impôt volontaire pour le compte des Eglises. En France, au contraire, l’Etat s’est construit en opposition à l’Eglise catholique, à laquelle il a arraché l’état civil, l’éducation, la santé, la justice.

Je note pourtant que, même en France, il existe des subventions déguisées aux cultes par le biais de la réduction d’impôt sur les dons aux organismes d’intérêt public, souvent confessionnels. Ce n’est pas un système très transparent.

Plus précisément, qu’est-ce qui caractérise la laïcité en France ?

V. Z. Il y a deux aspects. Le premier, qui découle de l’article 1 de la loi de 1905((Article 1 de la loi de 1905 : La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public.)) : l’Etat garantit la liberté de conscience et de culte de tous les citoyens. C’est très fort : l’Etat doit protéger cette liberté, il ne peut pas rester passif.

Deuxième aspect, l’article 2 de la loi((Article 2 de la loi de 1905 : La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l'Etat, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l'exercice des cultes.)) dit que l’Etat et les collectivités locales n’ont pas le droit de subventionner un culte. Ce qui est très proche de la version américaine de la laïcité.

La France a du mal à comprendre et à vivre le pluralisme. C’est une marque profonde de l’ethos catholique unitaire et exclusif qui a modelé pendant des siècles notre identité”

Est-ce un problème si l’Etat décide de ce qui est une religion ?

V. Z. L’Etat français garde souvent une mentalité « gallicane ». Il décide en effet de ce qui est une religion (sous l’appellation officielle de « culte ») et ce qui n’en est pas une. Cela paraît contraire à l’esprit de la laïcité-neutralité. Lorsque les libres penseurs ont demandé il y a quelques années, à bénéficier d’une émission sur la télévision publique le dimanche matin, il leur a été répondu que, n’étant pas une religion, ils n’y avaient pas droit.

En Belgique, par exemple, l’Etat soutient les catholiques, les protestants, les musulmans et les laïques etc., c’est-à-dire aussi ceux qui ne se réclament d’aucune religion, mais d’une « conviction ».

Par ailleurs, la France a du mal avec les mouvements minoritaires et reste très soupçonneuse vis-à-vis des mouvements religieux minoritaires qu’elle a tendance à qualifier péjorativement de « sectes », pour les disqualifier. Elle a du mal à comprendre et à vivre le pluralisme. C’est une marque profonde de l’ethos catholique unitaire et exclusif qui a modelé pendant des siècles notre identité.

Comment cette méfiance vis-à-vis des minorités se traduit-elle concrètement ?

V. Z. La neutralité de la laïcité à la française aboutit à des discriminations de fait. Cela tient au privilège qui revient à la religion historique. Les religions nouvelles, minoritaires, n’ont pas pu bénéficier des arrangements du début du XXe siècle. C’est le cas de la grosse minorité musulmane, naturellement, qui ne bénéficie pas de subvention.

Même situation pour les évangéliques. Le problème est donc de garantir la liberté de culte des musulmans et des évangéliques, liberté qui passe par l’établissement de lieux de culte. De façon pragmatique, les maires passent par des aménagements encouragés par l’Etat, des baux emphytéotiques, des associations bâtissant des lieux culturels annexés aux lieux de culte…

Que pensez-vous des demandes alimentaires pour raison religieuse dans les cantines scolaires ?

V. Z. La réaction des maires montre souvent une peur face à la gestion du pluralisme. Or la nourriture, c’est vital ! Dans les pays du Nord, on arrive à offrir des repas sans gluten sans que cela engendre de débats philosophiques. Avec un peu d’organisation, on peut bien proposer aussi des repas sans porc ! Il est normal et juste de s’adapter à la clientèle.

Aujourd’hui, on s’en prend aux femmes voilées, et pas aux hommes barbus… on veut imposer la liberté aux jeunes femmes musulmanes. Je m’insurge contre cette vision paternaliste des femmes”

Mais les élus ont peur de devoir affronter d’autres demandes, comme le voile, le refus des filles de participer à certains cours…

V. Z. Le problème est que la laïcité est invoquée à tout bout de champ sur ces questions. Or, elle n’est par exemple pas garante de l’égalité homme-femme. C’est au nom de la laïcité que le droit de vote a été longtemps refusé aux femmes, supposées être inféodées à l’Eglise catholique et à ses clercs.

Aujourd’hui, on s’en prend aux femmes voilées, et pas aux hommes barbus… On considère que la femme doit s’émanciper, on veut imposer la liberté aux jeunes femmes musulmanes. Je m’insurge contre cette vision paternaliste des femmes.

En outre, l’égalité homme-femme est aussi un principe constitutionnel que l’on peut invoquer sans impliquer la laïcité. A ce titre, on peut résister aux demandes qui visent à exclure les filles de certaines activités ou à séparer filles et garçons.

Porter le voile fait donc partie de la liberté des femmes…

V. Z. C’est leur liberté… La doctrine du Conseil d’Etat est que la liberté est la règle, l’interdiction l’exception. Les débats sur l’interdiction du voile dans la rue, dans l’entreprise ou l’université découlent d’une mauvaise interprétation de la laïcité et sont simplement des atteintes à la liberté.

Ne s’agit-il pas en réalité, sous couvert de laïcité, d’un refus des populations immigrées ?

V. Z. Non. Des études sociologiques montrent que l’acceptation des immigrés est meilleure en France qu’ailleurs. Ce qui est mal supporté est la visibilité de la différence. Le mythe de l’égalité entre individus abstraits fait que les Français sont très sensibles à l’aspect extérieur. D’où le problème avec la visibilité des femmes voilées.

Les lois de 2004, sur le voile, et de 2010, sur la burqa sont déjà des transgressions de la laïcité”

Faut-il réviser la loi de 1905 ?

V. Z. Non, il n’y a pas besoin de législation supplémentaire. Les lois de 2004, sur le voile((Loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics.)), et de 2010, sur la burqa((Loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public.)) sont déjà des transgressions de la laïcité. Elles imposent la laïcité aux usagers des services et de l’espace publics, alors qu’en réalité la laïcité ne s’impose traditionnellement qu’à l’Etat et à ses agents, afin qu’ils puissent traiter tout le monde à égalité. Je reconnais malgré tout que ces lois ont contribué à l’apaisement de la société. Mais il n’en faudrait pas d’autres, car on toucherait au cœur de la laïcité.

La laïcité a-t-elle été concernée par les attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper casher ?

V. Z. Naturellement. Mais j’ai apprécié que l’on mette en avant d’abord la question de la liberté d’expression. La liberté d’expression fait partie des droits de l’homme, tout comme la laïcité. Et non le contraire.

Dans liberté d’expression, il y a aussi liberté d’expression religieuse ou non religieuse. Je rappelle qu’en France, on parle de « liberté de religion ou de conviction ». Or les attentats s’en sont pris à l’anticléricalisme, à travers Charlie Hebdo, et à des juifs. Je ne pense pas que nous ayons vécu un échec de la laïcité. Celle-ci est un processus, jamais totalement acquis… Il n’y a pas de laïcité parfaite.

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