Penser le monde rural sans nostalgie
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Les maux des ruraux sont réels et méritent d'être entendus et traités par l'exécutif. Mais l'instrumentalisation par certains acteurs politiques de divers dossiers pour mieux attaquer l'Etat et le gouvernement sous couvert de défense des campagnes et de leurs habitants ne sert la cause d'aucun Français, qu'il soit des villes ou des champs.
C’est un fait : l’attrait d’Emmanuel Macron pour les métropoles, tant du point de vue économique qu’institutionnel, n’est plus à démontrer. Dès lors, Matignon tente de contrebalancer le tropisme métropolitain du chef de l’Etat à coup de plans : très haut débit et 4G en zones blanches, revitalisation des centres-villes, lutte contre les déserts médicaux, future Agence de cohésion des territoires…
Bien sûr, il faudra plusieurs mois pour s’assurer que l’exécutif ne se paye pas de mots. La vigilance, de mise chez les élus locaux, est légitime, petites villes, territoires peu denses et campagnes ayant trop longtemps été délaissés par l’Etat. Et voilà que le doublement des classes prévu dans les quartiers défavorisés, dont l’annonce a précédé celle de la fermeture de classes en milieu rural, remet de l’huile sur le feu. « On déshabille Pierre (les ruraux) pour habiller Paul (les urbains) », entend-on sur fond de guerre des chiffres.
Instrumentalisation. Reste qu’il est des critiques qui fleurent bon l’instrumentalisation et ne servent en rien ni les Français des villes, ni ceux des champs. Ainsi on ne compte plus les voix vilipendant la prochaine limitation à 80 km/h sur les routes à double sens sans séparateur central. La mesure serait « antirurale », « liberticide ». Et même « punitive » (!) pour les campagnes, au point que 28 patrons de départements ont pris la plume pour écrire au Premier ministre, feignant d’ignorer que ce sont justement les routes du Cantal, de l’Allier, du Nord, du Jura, qui charrient le plus de victimes sur l’asphalte chaque année. Et que ce ne sont pas 10 km/h de moins qui vont changer la face de la mobilité et du développement économique ruraux.
Autre dossier, même amalgame se servant de la cause rurale comme arme politicienne : l’indignation contre la future interdiction du glyphosate de ceux agitant une mesure... « ruralicide » ! A croire que tous les ruraux seraient des agriculteurs, qui tous pratiqueraient une agriculture intensive et qui tous seraient immunisés contre les effets sanitaires délétères d’une culture et d’une alimentation surexposées aux insecticides nocifs.
Comme le montre notre enquête, les campagnes isolées ont bien plus de combats en commun à mener - et de bien plus importants, notamment sur les services publics - avec les banlieues et villes moyennes délaissées qu’on ne l’imagine. Que la voix des ruraux soit portée haut à Paris, très bien. Mais qu’elle ne soit pas déformée en complainte qui sonne faux.