La comptabilisation des votes blancs, un aimant à abstentionnistes ?

Hugo Soutra
La comptabilisation des votes blancs, un aimant à abstentionnistes ?

Bureau de vote, isoloirs

© Flickr-CC-T.Vega

La mission d'information visant à identifier les ressorts de l'abstention et les mesures permettant de renforcer la participation électorale a publié les résultats d'une consultation sur ce mal démocratique, inédite de par son ampleur. S'y confirme la forte adhésion à l'idée de considérer le vote blanc comme un suffrage à part entière, vue comme un vecteur à même de motiver des abstentionnistes à se rendre de nouveau aux urnes.

L'abstention progresse d'élection en élection. Gare à ne pas en déduire trop rapidement, toutefois, un désintérêt généralisé pour la vie politique ! Ce mal démocratique intéresse nombre de nos concitoyens, si l'on en juge par l'ampleur de la consultation sur laquelle s'est appuyée la mission d'information visant à identifier les ressorts de l'abstention.

Mal démocratique

172 694 de nos concitoyens ont participé à cette enquête inédite – dont un tiers votant « jamais ou seulement à quelques élections de temps en temps » : il s'agit là de la troisième consultation ayant recueilli le plus d'intérêt dans l'histoire de l'Assemblée nationale, se sont félicités le président de la mission, Xavier Breton et le rapporteur, Stéphane Travert.

Renseignant tout à la fois sur le « comportement électoral » des participants, les « raisons de l'abstention » et solutions potentielles à même d'y remédier, ainsi que sur leur « rapport à la chose publique », ces réponses font tout l'intérêt de cette mission d'information. Une synthèse a d’ailleurs été jointe au rapport définitif de la mission d’information (page 139), qui recense vingt-huit recommandations, tout à la fois le fruit des vingt-six auditions (associations citoyennes, associations d'élus, chercheurs français et internationaux, spécialistes du numérique et des réseaux sociaux) réalisées trois mois durant par les députés, deux rapports commandés aux think-tanks que sont la Fondation Jean-Jaurès et à la Fondapol, et donc cette consultation.

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L’abstention, un « choix d’expression politique à part entière »

Les avis quantitatifs comme qualitatifs des répondants, recueillis du 1er au 31 octobre 2021 via le site de l'Assemblée nationale, ont aidé le rapporteur, le député (LREM, Manche) Stéphane Travert, à affiner son diagnostic d'une « banalisation » de l’abstention – devenue un « choix d’expression politique à part entière » -, intimement corrélée selon lui à « la baisse de confiance envers la démocratique représentative ». Idem concernant la nécessaire distinction entre l’abstention « choisie » et « subie ».

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Comme toute consultation publique à fortiori numérique, elle ne doit pas être confondue avec un quelconque sondage représentatif. L'Assemblée nationale ne s'y trompe pas, soulignant en préambule la sur-représentation d'hommes vis-à-vis des femmes, de jeunes adultes (25-34 ans) ainsi que d'actifs (35-49 ans) par rapport aux retraités, mais aussi une sous-représentation dommageable des ouvriers et des professions intermédiaires parmi les participants. Elle n’en permet pas moins d’identifier quelques enseignements qualitatifs sur l’état d’esprit d’une partie de nos concitoyens et les motivations de certains abstentionnistes.

Le millefeuille territorial, principale cause de l’abstention au niveau local ? 

La majorité des participants évoquent sans fards le mécontentement vis-à-vis de la classe politique ou le sentiment que leurs votes « ne changent rien », au rang des principaux motifs de l’abstention chronique parasitant la vie politique française, devant les difficultés d’établir des procurations ou les problèmes d’inscription sur les listes électorales. Ils ne sont ainsi que 15% à estimer que les décisions des élus ont « peu » ou « pas » de conséquences concrètes ; un chiffre qui grimpe même chez les 18-34 ans avant de diminuer au fur et à mesure de l’échelle de la vie puisque plus de la moitié des participants de 50 ans et plus consentent tout de même que les décisions des élus « ont des conséquences importantes ».

S’agissant plus spécifiquement de l’abstention « particulièrement élevée aux élections régionales et départementales 2021 », on retrouve la même défiance et le sentiment de corruption des élites politiques, juste devant le risque de fraudes, cette fois-ci. Troisième motif avancé par les contributeurs : la « profusion d’échelons et d’élections » nourrirait le désintérêt pour la vie politique, le « manque d’information » sur ces scrutins, accentués par le fait qu’ils « perçoivent assez peu les changements dans leur quotidien ». Ces hypothèses d’explication arrivent loin devant la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19.

Plébiscite en faveur du vote blanc  

Parmi les réponses à l’abstention, 96% des répondants se disent favorables « à ce que le vote blanc soit considéré comme un suffrage exprimé », ainsi au fait qu’il puisse conduire à « l’invalidation de l’élection et à l’organisation d’un nouveau scrutin » (91%). Ils sont légèrement moins nombreux (88,5%) à estimer que la comptabilisation du vote blanc rendrait les abstentionnistes plus susceptibles d’aller voter.

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Les opinions se rééquilibrent davantage concernant une éventuelle mise en place du vote obligatoire : 48,3% des participants se disent opposés à faire du vote un devoir et non plus seulement un droit, contre 42% d’avis favorables.

« Le fait que 9 participants sur 10 à notre consultation disent que la comptabilisation du vote blanc les ramènerait vers les urnes nous interpelle, forcément. Mais une telle mesure a un corolaire, pour ne pas délégitimer les décideurs : l’instauration du vote obligatoire. Or, je ne crois pas qu’un tel projet suscite l’adhésion d’une majorité de Français, au des débats juridiques et philosophiques qui animent régulièrement notre pays... » a éludé Stéphane Travert, lors de sa conférence de presse, jeudi 9 décembre.

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De la nécessité de mieux éduquer à la citoyenneté 

Interrogés sur les mesures susceptibles, selon eux, d’améliorer la participation électorale, les contributeurs penchent en faveur de l’inscription automatique sur les listes électorales, au vote dans d’autres bureaux ainsi qu’au vote électronique et au vote par anticipation. Bien davantage que l’élargissement des horaires d’ouverture des bureaux de vote, le regroupement des élections ou le vote par correspondance.

Une question ouverte posée dans la foulée fait apparaître d’autres idées, encore : la consultation des casiers judiciaires des candidats, l’introduction d’une dose de proportionnelle dans les scrutins, la mise en place du jugement majoritaire, ainsi qu’une amélioration de l’éducation citoyenne de la jeunesse et un meilleur partage de l’information autour des élections et des programmes des différents candidats. A noter, à ce propos, que seuls 1,3% des participants considèrent que le « niveau du débat public s’améliore », contre 89% qui estiment qu’il « se dégrade » – 9,7% le jugeant stable.

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Temps long. Conscient que moins de 15% des contributeurs jugeant que notre système démocratique fonctionne « plutôt bien » ou « très bien », le rapporteur Stéphane Travert appelle à reconsidérer le rôle des associations, de l’école, des médias ou des mouvements d’éducation populaire dans nos sociétés démocratiques de plus en plus individualisées. La réponse ne pourra pas venir d’élus et d’institutions délégitimées.

« Nous ne ramènerons pas les abstentionnistes aux urnes qu’avec des mesures techniques » a-t-il mis en garde ses homologues : « Il nous faut regagner la confiance des citoyens, quand bien même nous ne disposons pas de prise directe pour le faire. Changer les mœurs des élus qui ont un devoir d’exemplarité et d’honnêteté, intéresser les gens à la vie publique, en faire des citoyens éclairés capables de construire une pensée politique, tout cela prendra du temps », confessa l’ancien ministre de l’Agriculture, avant de conclure : « Laissons le temps au temps. »

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