La Commission nationale du débat public (CNDP) a versé, mi mars, sa contribution à la Commission spécialisée sur la démocratisation du débat environnemental conduite par le sénateur-maire Alain Richard. Cette autorité administrative indépendante est garante de la bonne tenue du processus de débat public dans le cadre de grands projets d'équipement et aménagement du territoire. Or, la multiplication des ZAD (« zones à défendre »), entre autres, montre que ce processus ne suffit plus.
« 96 % des citoyens souhaitent que les pouvoirs publics tiennent d'avantage compte de leur avis avant de décider », indique un sondage TNS/Sofres mené pour le compte de la CNDP en 2014. « 90 % souhaitent que l'on développe des modes d'information et d'expression directe des citoyens au niveau national ».
« Les citoyens ont le sentiment de ne jamais être entendus ou bien que, lorsqu'un débat est lancé, la décision est en réalité déjà prise, résume Christian Leyrit, président de la CNDP depuis deux ans. Il y a un déficit de confiance considérable. En 20 ans, on a multiplié les procédures, les consultations obligatoires souvent formelles et de faible portée, mais elles sont plutôt inintelligible pour les citoyens ».
Voir notre entretien avec Alain Richard, président de la Commission spécialisée sur la démocratisation de l'environnement.
Cet organisme indépendant a présenté quatorze propositions d'évolutions législatives et neuf propositions d'évolutions réglementaires pour tenter d'améliorer la participation des citoyens à la décision publique et de rétablir la confiance.
Accroitre les possibilités de saisie du CNDP
Un premier groupe de propositions vise à développer la pratique du débat public et ainsi à mieux anticiper d'éventuelles situations de contestation.
Concrètement, la CNDP propose que dix parlementaires ou un groupe de 10 000 citoyens ou une association nationale de protection environnementale puissent saisir la CNDP (qui par ailleurs pourrait aussi s'autosaisir) sur tout projet d'équipement ou d'aménagement ayant un impact significatif sur l'environnement ou l'aménagement du territoire, qu'il soit d'intérêt national ou – nouveauté – local, et quel que soit son coût. A charge ensuite à la CNDP d'évaluer la nécessité du débat.
Plus largement, la CNDP souhaite que l'Assemblée nationale, le Sénat ou bien 500 000 citoyens puissent également solliciter un débat national sur des plans, des programmes ou des options générales, si le gouvernement n'a pas déjà lui-même confié l'organisation d'un débat sur le sujet à la Commission. Cela concernerait le schéma national d'infrastructures de transport, le schéma directeur d'Ile-de-France, les parcs nationaux, les opérations d'intérêt national et le schéma de cohérence et continuité écologique.
Limiter la sous déclaration des maîtres d'ouvrage
La CNDP veut aussi lutter contre le contournement par les maires maîtres d'ouvrage de leurs obligations. « Tous les projets sont déclarés à 145 millions d'euros ou 290 000 millions, ironise Christian Leyrit. Les maîtres d'ouvrage ont tendance à sous-estimer le coût de leurs projets ou à les « saucissonner » ». Car, à partir de 150 millions, ils doivent publier leur projet, ce qui ouvre la possibilité à des parlementaires, collectivités ou associations de saisir la CNDP. Puis, à partir de 300 millions, ils doivent saisir eux-mêmes la CNDP afin qu'elle organise un débat public.
Baisser le premier seuil à 100 millions réduirait les possibilités de sous-évaluation. Et, pour faire respecter le second palier maintenu à 300 millions d'euros, la CNDP propose que les mauvais joueurs se retrouvent contraints d'organiser un débat public dès lors que l'enquête publique aura révélé une sous-estimation du projet. Cela revient à perdre au moins trois ans. « Les maîtres d'ouvrage comprendront peut-être ainsi qu'il est utile de dialoguer sur l'opportunité d'un projet avant de travailler sur les détails », espère Christian Leyrit.
Assurer la continuité du dialogue
Entre un débat public et l'enquête publique, il peut même s'écouler jusqu'à 10 ans. Dans l'intervalle, la poursuite de la consultation relève du bon vouloir du maître d'ouvrage. « Il peut y avoir un très bon débat mais, s'il n'y a plus aucun dialogue pendant 5 ou 10 ans, il est probable que la suite se passe mal, estime le président de la CNDP. Il faut assurer un continuum pour maintenir la confiance ». Actuellement, la CNDP propose à cet effet qu'un garant du débat public soit systématiquement nommé jusqu'à l'enquête publique.
Elle-même souhaiterait se voir attribuer un rôle de médiation afin qu'à la demande des maîtres d'ouvrage, de collectivités locales ou d'associations, elle puisse animer un dispositif de conciliation, contre-expertises à l'appui. « Cela éviterait à bien des conflits durs de s'installer », estime Christian Leyrit qui, dans les propositions de la CNDP, a aussi souhaité que les citoyens puissent obtenir des contre-expertises indépendants du maitre d'ouvrage dans le cadre du débat public.
Elle souhaite aussi développer, sous son égide, les conférences de citoyens d'intérêt national, qu'elle a expérimentées dans le cadre du projet de site d'enfouissement souterrain de déchets radioactifs à Bure.
« Les “ zadistes” empêchaient la tenue de tout débat, raconte Christian Leyrit. Même les opposants ne pouvaient plus s'exprimer ». La conférence citoyenne a réuni 17 personnes, non impliquées dans l'opposition ou la défense du projet. « Ce fut un travail d'une grande pertinence, juge le président de la Commission. C'est un élément d'éclairage de la décision, bien plus riche qu'un sondage “pour ou contre” ».
Pour plus de cohérence
Autre constat posé par la CNDP, la liste des projets susceptibles de faire l'objet d'un débat public n'est pas cohérente. Le cadre légal permet que certains projets ne soient débattus qu'en partie ou de manière morcelée. Par exemple, un nouveau tracé ferroviaire grande vitesse peut faire l'objet d'un débat public sans que la question du transport et des dessertes n'y soit abordée.
« Les citoyens ne comprennent pas que l'on ne traite pas tous les sujets, insiste Christian Leyrit. Il s'agit de redonner de la cohérence au débat public ». La CNDP a revisité également la liste des projets concernés par le débat public de sorte que, par exemple, l'installation d'un parc éolien en mer ne puisse plus être débattue sans s'intéresser aussi à l'atterrage des câbles ou encore, que l'on puisse débattre des projets de réhabilitation, de rénovation et de destruction.
Les résultats travaux de la commission spéciale pour la démocratisation du dialogue environnemental sont attendus à la mi-mai.
Vers un changement de statut ?
Parmi ses propositions, la CNDP réclame le changement de son statut. Elle souhaite devenir une Autorité publique – et non plus administrative - indépendante, afin de se doter d'une personnalité juridique, de pouvoir ester en justice et de bénéficier d'un budget propre. Ses décisions faisant l'objet d'une contestation devant la justice administrative, sont actuellement défendues par l'Etat qui peut lui-même se retrouver en position de maître d'ouvrage, ce qui n'est pas sans poser problème...
Par ailleurs, actuellement, les maîtres d'ouvrage financent directement le débat public. Conséquence : ce sont eux qui lancent l'appel d'offres destiné à choisir le prestataire du débat public, sans intervention obligatoire de la CNDP. Et eux aussi qui salarient, en CDD, le secrétaire général du débat public et son éventuel adjoint. Pour garantir transparence et rassurer les citoyens sur l'indépendant du débat public, la CNDP souhaite organiser elle-même les appels d'offres. Elle propose donc que les maîtres d'ouvrage abondent un fonds destiné à financer les débats les concernant.