L’intercommunalité veut encore progresser

Bénédicte Rallu

Après vingt ans de développement, la rationalisation de la carte des groupements est en cours. Elle devra aboutir en juin 2013. L’intercommunalité poursuit sa mue axée sur la pertinence des périmètres et de nouvelles compétences. Principal défi des élus : la mutualisation des moyens et la lisibilité de leurs actions.

En 2012, 96% des communes sont dans un groupement et 90,2 % de la population nationale est concernée. Depuis la loi du 6 février 1992 sur l’administration territoriale de la République, la France a fait sa "révolution tranquille" de l’intercommunalité ((Rapport d’information sur la révolution de l’intercommunalité, 15 février 2012)), , selon les termes employés par le sénateur Jean-Pierre Sueur, en février 2012, pour fêter le vingtième anniversaire de la loi.

En juin 2013, la carte de l’intercommunalité à fiscalité propre sera achevée. Elle n’en sera pas pour autant gravée dans le marbre, la loi sur la réforme des collectivités territoriales de 2010 ayant prévu de nouveaux rendez-vous : élection au suffrage universel direct des élus par fléchage en 2014, clause de revoyure de la carte en 2015.

Rationalisation
La loi Chevènement de 1999 a marqué un tournant pour le décollage quantitatif du nombre d’intercommunalités, notamment urbaines. Elle a constitué le "vrai déclencheur de l’intercommunalité sur le terrain", selon la sénatrice Jacqueline Gourault, maire de La Chaussée-Saint-Victor (41) et vice-présidente de l’Association des maires de France (AMF) .

Suit, rapidement, la question du perfectionnement qualitatif. Dès 2005, la Cour des comptes a appelé à une rationalisation de l’intercommunalité. Une critique réitérée en 2009. La loi de réforme des collectivités territoriales (RCT) du 16 décembre 2010 veut y répondre : la fusion d’intercommunalités autour de la notion de "périmètres pertinents" est encouragée, l’amélioration de la gouvernance adoptée, l’élection au suffrage universel direct des délégués esquissée, les métropoles créées (une seule à ce jour [cet article a été publié en octobre 2012], une autre annoncée). Mais, imparfaite, elle a déjà été complétée par la loi du 29 février 2012. En attendant un chapitre du futur projet de loi sur la décentralisation, qui devrait être consacré aux métropoles.

Bloc local
Sans conteste, la « révolution tranquille » de l’interco fut une réussite. « Voilà une réforme qui a merveilleusement marché sans susciter ni drame ni réaction, ce qui n’est pas très fréquent en France », remarque Marc Censi, président fondateur de l’Assemblée des communautés de France (AdCF). « L’intercommunalité dans sa réalité pratique est une heureuse surprise », reconnaît volontiers Philippe Bonnecarrère, président de la CA du Grand Albigeois (17 communes, 82 928 hab.).

« Elle se révèle une vraie réponse à la dimension des territoires et aux vécus de nos concitoyens. Et une aventure humaine réussie : elle a conduit les élus à mieux se connaître, à créer un esprit d’équipe entre les municipalités et à une gouvernance équilibrée et apaisée. Elle est un niveau institutionnel pertinent du territoire pour l’action, l’investissement et la mise en œuvre des projets. »

L’intercommunalité est entrée dans les mœurs. Elle apparaît même comme la seconde "jambe" du bloc local formé avec les communes. Philippe Bonnecarrère évoque l’image de la « légion romaine » pour qualifier la façon dont l’intercommunalité et les communes avancent ensemble.

« Nous sommes en train d’inventer une nouvelle institution territoriale avec ce bloc : les communes dans leur communauté », analyse d’ailleurs Nicolas Portier, délégué général de l’AdCF.

La réforme territoriale de 2010 a lancé une « nouvelle étape avec les schémas territoriaux. On encourage la fusion de communautés de communes pour plus de pertinence avec le territoire, mais on ne touche toujours pas à la structure communale, acquiesce Jacqueline Gourault. On est vraiment dans un couple communes-intercommunalité qui ne forme finalement qu’un seul niveau ».

Intercommunalité de projet
Plusieurs facteurs contribuent au succès de l’intercommunalité. « La dotation globale de fonctionnement accordée aux EPCI par la loi Chevènement explique en grande partie le succès fantastique » des communautés d’agglomération, selon  Gérard Gouzes, président de la CA Val de Garonne.

Les lois de 1992 et de 1999 ont aussi promu une intercommunalité de projet, loin de la simple gestion de services publics, rappelait la Cour des comptes en 2005. C’est d’ailleurs la seule « vraie intercommunalité » juge Dominique Braye, secrétaire général de l’AdCF et président de la CA Mantes en Yvelines (30 communes, 101 681 hab.).

De fait, les intercos ont acquis moult compétences. Or, « plus il y a de compétences mises en commun et en cohérence, plus les politiques sont efficaces, plus il y a de possibilités d’économies, un service public bien rendu et moins de doublons, constate le délégué général de l’Association des communautés urbaines de France (Acuf), Olivier Landel. Le succès est lié à la capacité d’intégrer de plus en plus de compétences. En tout cas, pour le monde urbain ».

La raréfaction de l’argent public, la complexification de l’action publique, les besoins évolutifs de la population incitent à la mutualisation des moyens, des politiques et des préoccupations, sans aller pour autant vers le transfert de compétences intégral. L’intercommunalité permet de faire plus que la commune seule.

L’interco devient un rempart
Pour certains élus comme Françoise Gatel, présidente de la CC du Pays de Châteaugiron (8 communes, 20 000 hab.), l’intercommunalité devient même aujourd’hui un rempart, « garant d’un équilibre sur le territoire entre la ville et le milieu rural, contre la France à deux vitesses ». Grâce aux réponses qu’elle apporte « aux exigences des besoins, de services et d’ingénierie que les communes ne peuvent pas assumer et dont elles n’ont pas besoin de façon permanente ». « L’intercommunalité sauve les communes car elle n’en est pas la simple addition, estime même Loïc Cauret, président de la CC Lamballe Communauté (17 communes, 25 313 hab.). C’est une chance pour les élus locaux parce qu’elle leur donne une possibilité d’expression qu’ils n’auraient pas autrement », vis-à-vis de l’Etat, du département…

Surtout, la construction de l’intercommunalité a su éviter le piège de « vassaliser » les communes. « L’intercommunalité est une politique intelligente qui a permis de les conserver avec un mode de gestion du territoire plus moderne », résume Jacqueline Gourault.

Nombreux défis
Paradoxalement, cette réussite, pour Marc Censi, vient du fait que « le législateur a un peu oublié l’intercommunalité », dans le sens où il a laissé les élus libres de leurs initiatives. Raison de plus pour qu’elle « reste évolutive. Nous ne voulons pas la figer », explique Nicolas Portier.

L’élection des conseillers communautaires, en 2014, par fléchage sur les listes municipales pourrait permettre aux EPCI de résoudre leur « déficit démocratique », Gérard Gouzes, maire de Marmande, président de la CA Val de Garonne (42 communes, 57 452 hab.)

L’intercommunalité peut encore progresser car elle est « loin d’être optimisée » pour Dominique Braye. Plusieurs défis l’attendent : démocratisation, nouvelles compétences, approche financière consolidée… Elle doit « concilier la volonté de rendre le meilleur service au meilleur coût tout en répondant à la demande de proximité de la part des citoyens envers les élus ». Sachant que « le périmètre pertinent est inaccessible, estime Olivier Landel. Il change en fonction des époques, des territoires, des compétences. Il faut donc travailler en partenariat avec les autres collectivités, la société civile, etc. ».

L’avenir de la coopération semble passer par là. « L’idée d’un périmètre idéal pour traiter tous les problèmes commence aujourd’hui à se heurter à la diversité des projets, constate Marc Censi. Je crois beaucoup à la pluriterritorialité, c’est-à-dire à des formules contractuelles dans lesquelles les communautés s’assemblent en fonction des problèmes à traiter, et parfois pour une durée déterminée. Cela suppose que le législateur soit très modeste ».

De nouvelles compétences ?

Plusieurs acteurs, dont l’AdCF, réclament la remontée de la compétence en matière de planification de l’urbanisme au niveau intercommunal pour renforcer la cohérence avec les politiques en matière d’habitat, de déplacements et de développement économique. L’AdCF va plus loin et propose de généraliser progressivement certains transferts de compétences stratégiques aux EPCI, touchant aux mobilités durables et au logement. Elle souhaite aussi une adaptation du cadre légal de la compétence culture et propose que les communautés d’agglomération puissent intervenir dans le domaine de l’enseignement supérieur.

« Partager un projet de territoire » - « Il y a eu une prise de conscience. La mutualisation permet de faire plus. Nous sommes passés d’une logique de guichet à une logique de projet entre les communes. L’intercommunalité est en pleine mutation et ne sera achevée que lorsqu’il y aura une élection sur l’ensemble de son territoire pour se prononcer sur un projet politique. Mais cela enlève de la légitimité aux maires et aux conseillers municipaux. Il faut donc un système mixte d’élection avec en plus une désignation de délégués communautaires issus des conseils municipaux. A un moment donné, le projet territorial devra être sanctionné par les citoyens. L’intercommunalité a aidé à moderniser la France et va continuer de le faire. La région et l’intercommunalité constituent le vrai couple. Reste la question des départements. »

TEMOIGNAGES D'ELUS LOCAUX

Estelle Grelier, députée, présidente de la CC de Fécamp (13 communes, 31 000 hab.)

« Résoudre le déficit démocratique »

« L’intercommunalité est bien développée et inscrite dans le paysage administratif local. Mais elle concède un déficit démocratique fort. Les intercommunalités sont souvent connues de la population en fonction du poids du président dans un échiquier politique plus global. J’espère que le fléchage va nous aider mais l’élection au suffrage universel direct d’une équipe permettrait de parler davantage du projet communautaire, de féminiser et de rajeunir le personnel politique et une plus forte identification de ce que fait l’intercommunalité. Aujourd’hui, les maires ont tendance à s’approprier les réalisations intercommunales et à renvoyer la faute vers la communauté lorsque les choses vont moins bien. Il n’y a pas d’appropriation politique de l’intercommunalité par les élus. Nous sommes encore sur une gestion consensuelle. »

Marc Censi, président fondateur de l’AdCF), président de l’association ETD

« Garder des EPCI de taille raisonnable »

« Achever la carte intercommunale en fonction de périmètres cohérents était nécessaire. Mais la tendance aujourd’hui est de penser que plus la taille de l’intercommunalité est importante, mieux c’est. Je pense que l’on fait fausse route. Jusqu’à 20, 30, 40 communes, on sait faire fonctionner l’intercommunalité car nous sommes plus dans une fédération de communes. Au-delà, on ne gère plus la complexité mais uniquement la complication. Ce terme de fédération est d’ailleurs peut-être la meilleure définition de l’intercommunalité. A 100 communes, pour moi, ce n’est plus de l’intercommunalité. Pousser les communautés à avoir le plus grand nombre de communes constitue à mon avis une hérésie. Nous avons besoin d’une certaine proximité pour que les populations s’approprient leurs équipements intercommunaux. »

TROIS QUESTIONS A

Rémy Le Saout, maître de conférences, chercheur au CENS-EA 3260((Centre nantais de sociologie))

« Il n’y a pas assez de débat d’idées ou de réflexion »

Le Courrier : Où en est l’intercommunalité ?

Nous arrivons à une couverture générale des intercommunalités sur tout le territoire. Elle apparaît diversifiée selon qu’elle est urbaine, rurale, selon la nature des compétences transférées, du poids de l’administration plus ou moins forte… Sa gestion reste encore « municipaliste », même si cela change car les élus sont aujourd’hui sensibilisés à l’intérêt intercommunal. A plus long terme, nous allons assister à un renforcement du pouvoir intercommunal.

Quelles sont les raisons de cette évolution ?

Depuis deux mandats, les élus baignent dans l’intercommunalité à fiscalité propre. L’Etat et les conseils généraux poussent fortement à travailler de cette façon via les contrats, les incitations, les dotations. Les contraintes budgétaires amènent à rationaliser l’action communale et intercommunale, notamment pour ce qui est de la redistribution de l’argent. Il y a aujourd’hui une volonté d’objectiver les choses en fonction du besoin du service. Les pouvoirs techniques et administratifs se renforcent par rapport au pouvoir politique, même si les élus sont vigilants. L’intercommunalité devient aussi plus visible pour la population, notamment pour le contribuable à travers la fiscalité directe. Le système de fléchage envisagé pour les élections de 2014 devrait pousser les élus à plus de pédagogie et d’explication.

Y a-t-il un « déficit démocratique » de l’intercommunalité?

Les citoyens ne peuvent pas sanctionner une gestion faite au niveau intercommunal. On peut le regretter d’un point de vue strictement démocratique, mais le problème majeur n’est pas là. Il est dans ce que, en raison du mode de scrutin, les élus dominants au sein des intercommunalités sont ceux qui ont la capacité d’experts ce qui amène à une gestion technique. Cela peut poser un problème démocratique car il n’y a pas de débat d’idées ou de réflexion idéologique. L’élection au suffrage universel direct des conseillers communautaires changerait à ce niveau beaucoup de choses.

 Le Courrier des maires n° 261,  octobre 2012

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