Nicolas Kada, professeur à l'université de Grenoble
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Membre du Grale, le Groupement de recherche sur l’administration locale en Europe, le chercheur Nicolas Kada, professeur à l'université de Grenoble - Alpes, analyse les dernières orientations de la réforme de l’Etat territorial, que le récent mouvement des gilets jaunes pourrait bien infléchir.
RGPP, « Réate », Plan préfectures nouvelle génération, Action publique 2022 : l’Etat territorial n’en finit plus de se réformer…
Nicolas Kada : On peut effectivement parler d’une réforme sans fin : depuis que l’Etat existe, il se réforme même si la dénomination varie. Il y a trente ans, sous Rocard, c’était le « renouveau des services publics ». Mais c’est logique : l’Etat s’adapte en permanence à la société. Alors qu’on ne nous fasse pas croire que c’est nouveau !
Le mouvement de balancier entre échelle régionale et échelle départementale, à nouveau privilégiée par Matignon, résume-t-il cette réforme sans fin ?
Ce retour à un niveau départemental correspond à un besoin : d’abord, car l’Etat avait trop allégé ses services départementaux. Et du fait de la naissance de grandes régions après les fusions, on n’a jamais eu autant besoin de la présence de l’Etat à l’échelle départementale. Dans les faits, ce niveau reste encore, malgré les annonces, un parent pauvre : le retour de balancier après une période de perte d’effectifs n’a pas encore eu lieu.
Dématérialisation et différenciation territoriale des services déconcentrés, souhaitées par le gouvernement, seront-elles aisément réalisables ?
La poursuite de la dématérialisation, avec un Etat présent, mais pas forcément sous forme physique, humaine, peut être remise en cause avec les gilets jaunes. Quant à la différenciation, l’Etat pourrait suivre la voie de ce qu’il préconise pour les collectivités : ne pas organiser tous les territoires de manière identique, en donnant aux préfets de régions, de départements, aux recteurs, les moyens de s’organiser différemment, selon les circonstances locales. Attention tout de même à ne pas cacher derrière cette différenciation des objectifs de moindres effectifs, de désengagement de l’Etat.
Le mouvement des gilets jaunes, très prégnant hors des métropoles, peut-il impacter la réforme de l’Etat ?
Déjà, ce mouvement rend audible une réforme qui ne l’était pas ! Il peut jouer de manière très défavorable si on ne retient de ce mouvement que la volonté de réduire la pression fiscale, ce qui impliquerait de trouver de nouvelles économies. En revanche, si s’impose la demande de services publics de proximité, autre revendication qui cohabite au sein du mouvement malgré son caractère contradictoire, l’influence des gilets jaunes sera positive. Avec l’intervention d’Emmanuel Macron devant les maires de l’Eure, le gouvernement a redécouvert l’importance des élus locaux et des services rendus à cette échelle. Reste à voir si l’Etat l’entend bien aussi pour ses propres services déconcentrés. Les maires, dont la force aujourd’hui est de ne pas être la cible des gilets jaunes, de ne pas être assimilé à la masse globale des élites politiques, devraient faire pression en ce sens.
Y a-t-il encore tant de doublons avec les collectivités à supprimer ?
Là, on est davantage dans l’ordre du discours. Aujourd’hui, il reste très peu de doublons. Sur le champ de l’intervention économique par exemple, soit ces doublons sont du fait des élus locaux, qui veulent tous faire du développement économique, soit l’action des services déconcentrés de l’Etat n’est pas du tout de même nature . Quand la collectivité est dans la promotion de son territoire, de l’attractivité, l’Etat agit sur l’accompagnement réglementaire de l’activité économique, la surveillance. Il y a plutôt des manques : l’Etat n’agit plus sur certains champs et les collectivités ne peuvent pas tout faire à sa place, faute de moyens financiers ou légaux, sans la clause de compétence générale. Je crains plus le désengagement de l’Etat que les doublons.
Les collectivités sont-elles les plus impactées par le retrait de l’Etat ?
Il est vrai qu’il y a un désengagement local de l’Etat dont les collectivités pâtissent encore plus que les citoyens. Au contraire de certains services au public qui peuvent être dématérialisés - comme les demandes de cartes d’identité -, les élus locaux ressentent directement ce retrait de l’Etat avec moins de présence physique, moins d’interlocuteurs. Hier, c’était abandon de l’Atesat ; aujourd’hui, ce sont les forces de police et de sécurité moins présentes, l’expertise de l’Etat sur l’urbanisme et les PLU notoirement en retrait, etc., obligeant les collectivités à aller chercher l’expertise ailleurs. Peut-être que le grand débat permettra aux élus de faire remonter ces critiques.
Comment expliquer que même l’exécutif s’interroge sur l’efficacité des Maisons de service au public ?
Difficile à dire. Peut-être est-ce une question de moyens. Il faudrait aussi sonder les agents publics affectés dans ces Maisons et qui le vivent peut-être mal, comme un déclassement, se retrouvant dans un service mutualisé où ils perdent l’identité de leur administration d’origine. Peut-être y a-t-il chez eux un sentiment de perte de sens. Pourtant, la MSAP offrant plusieurs services au public est une bonne idée en soi… si l’on ne procède pas sous cet habillage à une réduction de l’offre en restreignant les horaires ou en limitant le maillage territorial. Auquel cas il n’y aura aucun gain en termes de qualité de service.
Comment jugez-vous le mouvement d’« agencification » de l’Etat depuis vingt ans ?
C’est une organisation technique, administrative, qui a permis à plusieurs ministères de se soustraire aux règles de déconcentration et de préserver ainsi leur autonomie. L’agencification ne constitue pas un progrès en termes de responsabilité politique, puisque cela empêche l’identification de qui porte la politique publique en rendant techniques des sujets éminemment politiques. Un exemple : la carte hospitalière est aujourd’hui faite par les ARS, avec des ratios en termes de coûts, de tarification ; elle n’est plus une politique publique. Ce mode de gouvernance rajoute à la crise de la démocratie et de la représentation.