« L’Etat ne peut se contenter de forcer les communes riches à payer pour les pauvres »

Hugo Soutra

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« L’Etat ne peut se contenter de forcer les communes riches à payer pour les pauvres »

Eric Charmes, géographe-urbaniste à l'Ecole nationale des travaux publics, rattachée à l'université de Lyon

© Conseil de développement Brest Larpent

Vif, le débat public sur les inégalités territoriales n’en est pas moins truffé de malentendus. Géographe-urbaniste à l'Ecole nationale des travaux publics, rattachée à l'université de Lyon, Eric Charmes démonte quelques idées reçues et identifie plusieurs enjeux d'avenir stratégiques pour la cohésion territoriale et nationale.

Depuis les années 2010, il est devenu courant d’entendre les hérauts de la « France périphérique » critiquer l’opulence de la « France des métropoles mondialisées », ou alors la « France d’en haut » s’en prendre aux choix électoraux de la « France d’en bas. Evidemment moins binaires, les fractures territoriales se sont imposées à la Une des journaux. D’importants écarts de développement persistent à l’échelle infra-régionale malgré cinquante ans d'aménagement du territoire. Mais attention, s'il existe bien des problèmes économiques et une pauvreté hors des métropoles et des banlieues populaires, comme l’affirme le médiatique géographe Christophe Guilluy, les personnes les plus touchées ne vivent pas majoritairement dans le périurbain et les campagnes. Ce qui ne doit pas conduire pour autant les pouvoirs publics à faire fi de leurs difficultés, prévient Eric Charmes, directeur de recherches à l’Ecole nationale des travaux publics de l’Etat (ENTPE).

Où sont les zones de pauvreté en France ?

La géographie sociale de la France, telle qu’on peut la tirer de la carte des revenus médians, est claire : les plus modestes résident d’abord dans les banlieues des métropoles - qui concentrent aussi les ménages les plus aisés, en leur centre, et les classes moyennes dans leur couronne périurbaine. Mais beaucoup de pauvres habitent également dans les centres des villes moyennes, dans le chapelet de petites villes du bassin désindustrialisé du Nord de la France, ainsi que dans des territoires ruraux, à l’écart de ces métropoles. Il faut avoir en tête que le niveau de revenu à Lens, Sedan ou dans certains villages de la diagonale du vide est similaire à celui des habitants de Vaulx-en-Velin ou Vénissieux.

Ces territoires très différents doivent-ils porter des revendications communes ?

Les contextes sont trop différents pour qu’ils s’allient. Perdre son emploi à Hayange, à Ouistreham ou à Die n’a pas franchement les mêmes répercussions que de se retrouver au chômage à Clichy-sous-Bois. Une allocation RSA et un peu de débrouille vous permettent certes de survivre dans la Drôme ou en Normandie et pas en région parisienne, cependant les opportunités de retour à l’emploi et l’accès aux lieux de travail sont également très différents. Ce n’est pas la panacée, mais les populations modestes des banlieues populaires ont autour d’elles de nombreux emplois peu qualifiés, accessibles en transports en commun. C’est plus rarement le cas à l’écart des grandes agglomérations, où même devenir chauffeur pour Uber peut être difficile, faute de clientèle.

Sans nier les pathologies sociales ni les problèmes d’enclavement des quartiers prioritaires, ces derniers possèdent de vrais atouts en dépit de l’image que dressent quotidiennement les médias. Les centres paupérisés des villes moyennes ont objectivement moins d’atouts En outre, le fait qu'une bonne part d'entre eux soient peuplés de personnes immigrées et ressemblent de plus en plus à certaines banlieues parisiennes crée une forme de tension avec les classes moyennes blanches, qui habitent majoritairement, aujourd’hui, dans le périurbain ou bien les campagnes aux alentours.

Quel genre de "tension" ? Les petites communes riches s’affranchiraient-elles de leur devoir de solidarité envers des pauvres de la ville-centre ?

Bien sûr, les concurrences entre communes et intercommunalités existent. Certains centres de ville moyenne font actuellement face à un renversement politique les conduisant à une situation qui, toutes proportions gardées, ressemble à celle de la Seine-Saint-Denis vis-à-vis de Paris. Dans les agglomérations de Saint-Etienne ou de Mulhouse, par exemple, la répartition du pouvoir a changé : ce n’est plus le centre qui domine, mais les périphéries où se concentrent la plupart des classes moyennes et supérieures et les zones d’emploi les plus dynamiques. N’ayant plus toutes les clés, Gaël Perdriau et Jean Rottner sont en position délicate face à des « petits maires » qui contrôlent dorénavant la majorité des ressources. C’est peu dire qu’ils ne sortent pas spontanément leur chéquier pour aider les pauvres des grandes villes qu’ils jugent moins bien gérées que leurs communes. Ce n’est peut-être pas moral, mais ce n’est guère surprenant…

Sur le modèle de la loi SRU, l’Etat doit-il dans ce cas rendre les coopérations horizontales obligatoires ?

Disons qu’il n’aura bientôt plus le choix. Il lui faut retravailler le cadre d’action des intercommunalités en dehors des métropoles qui focalisent l’attention. Celles-ci doivent être adaptées en particulier au contexte des villes moyennes dominées par leur périphérie, et parfois même pilotées par des maires de villages de 1 200 habitants. Ceci étant, l’Etat ne pourra pas tout. Il suffit de voir le peu d’entrain des élus du Grand Paris ou d’Aix-Marseille - métropoles créées depuis l’Elysée - à s’atteler à l’épineux dossier de l’équité territoriale pour comprendre que l’Etat ne peut pas se contenter de faire acte d’autorité et forcer les communes riches à payer pour les pauvres. Cela ne fonctionne pas ainsi.

Il ne faut toutefois pas désespérer. Même les élus franciliens opposés à plus de péréquation locale ont fini par comprendre que des révoltes en Seine-Saint-Denis pénalisaient La Défense. Autour des villes moyennes, les maires du périurbain et du rural doivent reconnaître à leur tour qu’ils ont un intérêt partagé avec la ville-centre qui porte le nom, les grands équipements, l’université parfois, du territoire. Une telle prise de conscience ne se produira pas, toutefois, si les élus des communes centres des villes moyennes critiquent l’étalement urbain et le tout-voiture, soit le modèle sur la base duquel leurs nouveaux maîtres ont pris le pouvoir…

Villes moyennes, communes périurbaines, zones hyper-rurales : faut-il l’équivalent d’une politique de la ville pour tous ces territoires en déprise ?

Je ne sais pas s’il faut vraiment prendre la politique de la ville comme modèle, au vu de ses résultats mitigés. Que l’Etat investisse pour des opérations de revitalisation commerciale ou de réhabilitation de quartiers dégradés dans les villes petites ou moyennes me paraît une bonne chose, à condition, toutefois, qu’il y ait de réelles perspectives politiques de développement à des échelles incluant le périurbain. Tant que les rapports entre les villes-centres et les communes périphériques ne seront pas clarifiés, ces investissements risquent de ne pas être très bénéfiques.

Les pouvoirs publics doivent-ils se concentrer sur l’humain plutôt que sur le bâti pour tenter d'assurer une certaine égalité  des chances entre les habitants ?

Ces deux modes d’intervention me semblent complémentaires. Tout comme repeindre les cages d’escalier n’a pas permis de lutter contre le chômage dans les quartiers prioritaires, refaire les espaces publics dans les villes en décroissance n’améliorera effectivement pas le niveau de qualification des jeunes peu ou pas diplômés, pas plus que cela facilitera leur insertion professionnelle. Est-ce inutile pour autant ? Non. Plus vous êtes fier de vivre dans un environnement agréable, plus vous vous sentez à votre place dans la société et pas renvoyé, au contraire, à une position subalterne qui peut être politiquement destructrice.

Ceci étant dit, il n’est pas possible d’empêcher la division sociale du territoire, notamment entre les quartiers. Les relations affinitaires et l’entre-soi font partie de la logique même du fait urbain. Plus que chercher à mélanger à tout prix les pauvres et les riches, les pouvoirs publics devraient s’efforcer de garantir les mêmes chances de réussir à tous, en particulier permettre aux plus pauvres de bénéficier d’un système éducatif de qualité. C’est ce qu’on appelle la cohésion. Ne croyant pas totalement à la solidarité spontanée entre collectivités locales, il me semble que l’Etat a un rôle à jouer en tant qu’autorité supérieure.

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