Thomas Procureur
© S. Bigot/Andia
Malgré le nouveau mode de scrutin et des cantons élargis, le politologue et spécialiste des conseils départementaux Thomas Procureur prédit que le lien fort unissant le département aux communes perdurera. Vague bleue, abstention persistante, fonctionnement des binômes, relations avec les grandes régions et avec le bloc local... L'auteur d'une thèse consacrée fin 2013 au département, cette "institution caméléon", revient sur les enseignements des scrutins de mars et sur le "troisième tour", l'accès aux présidences d'exécutifs, qui devrait faire peu de places aux femmes malgré la parité nouvelle des assemblées départementales.
Courrierdesmaires.fr. Que penser de l’abstention lors des deux tours, restée forte ?
Thomas Procureur. Je pensais qu’un renouvellement de tous les cantons, et en une seule fois, allait amener une participation plus importante, permettant une plus grande communication sur les enjeux et compétences des départements.
Cela n’a pas été le cas et l’évolution des scores du FN entre les deux tours reflète cette situation : le discours du FN qui a beaucoup fait campagne sur de thématiques nationales a beaucoup porté au premier tour. Mais une fois le second tour arrivé, beaucoup de candidats FN ont été éliminés et empêchés de siéger, les électeurs ayant alors une lecture plus locale du scrutin.
Faut-il tout de même interpréter cette vague bleue comme un courant essentiellement national ?
T.P. On est face au schéma relativement classique des élections intermédiaires. L’élection, même si elle n’a pas de valeur nationale car elle est l’accumulation de scrutins locaux, se nationalise du fait du renouvellement intégral et de sa couverture politique et médiatique. C’est la logique du retour de manivelle, comme en 2004 : maintenant que la gauche est majoritaire à l’Assemblée nationale, le vote sanction s’exprime contre elle. C’est le même modèle.
A cette vague bleue s’ajoute par ailleurs le retour presque logique à droite d’un certain nombre de cantons très ruraux qui avaient basculé à gauche de manière presque surprenante aux dernières cantonales, et qui reviennent à un vote plus habituel.
Là où il a obtenu des élus, quelle sera l’influence du FN dans la gouvernance du département ?
T.P. Là où le FN sera en position d’arbitre, gauche et droite auront tendance à trouver des terrains d’entente sur les grands textes, comme le budget. Déjà aujourd’hui, l’opposition s’abstient souvent sur les textes budgétaires, sans s’opposer. Vu la proportion des budgets absorbées par les allocations de solidarité, la contestation se fait sur peu de choses…
Les scrutins au sein des assemblées font que les élus sont amenés à dépasser les intérêts micro-locaux, de la même manière que les députés sont amenés à dépasser les intérêts de leur circonscription à l’Assemblée nationale”
Que vont changer les binômes dans la gouvernance des assemblées départementales ?
T.P. L’ancrage local va continuer à peser au sein des assemblées, et ce même si les territoires d’élection sont un peu plus vastes, car le scrutin est tout de même resté à deux tours. Cela nécessitera un peu plus de temps aux élus. Les conseillers généraux hier et départementaux aujourd’hui ont toujours eu une implantation territoriale importante.
Ensuite, les scrutins au sein des assemblées font que les élus sont amenés à dépasser les intérêts micro-locaux, de la même manière que les députés sont amenés à dépasser les intérêts de leur circonscription à l’Assemblée nationale. Et les anciens conseillers généraux qui se sont représentés ont été pour beaucoup réélus.
Comment vont fonctionner ces binômes dans la représentation de leur territoire ? Risque-t-on d’assister à une déperdition de leur cohésion politique au fil du mandat ?
T.P. Dans la plupart des cas, les candidats ont veillé à avoir une couverture la plus large possible de leur canton. Etant donné que beaucoup des nouveaux cantons en ont rassemblé deux anciens, on peut imaginer que les binômes se répartiront la représentation du territoire selon les anciens périmètres.
Ou alors ils le feront par type de politiques publiques : l’un aura une fibre plus sociale, l’autre de développement économique ou d’équilibre territorial. La plupart des binômes chercheront à maintenir cette complémentarité.
Les élus se rendent compte qu’il y a un avantage à être à la fois conseiller départemental et président d’une intercommunalité : cela permet d’avoir la légitimité politique du premier mandat et les moyens d’action fournis par la communauté”
Quelle sera la relation de ces élus avec ceux du bloc local, maires et présidents d’intercommunalité ?
T.P. Cela dépendra des territoires, mais la relation communes-département a toujours été très poussée et cela va demeurer. Il suffit de voir le nombre de maires qui se sont présentés pour devenir conseillers départementaux. Le lien avec les élus intercommunaux s’est fait de plus en plus consistant, avec le rapprochement de la taille des intercos par rapport à celui des cantons.
Evidemment, le redécoupage cantonal a perturbé cette tendance-là. Mais on peut imaginer qu’avec la révision à la hausse des périmètres des intercommunalités, cette tendance reviendra. D’autant que les élus se rendent compte qu’il y a un avantage à être à la fois conseiller départemental et président d’une intercommunalité : cela permet d’avoir la légitimité politique du premier mandat et les moyens d’action fournis par la communauté. C’est une double casquette utile.
L’urgence pour les nouveaux départements de droite sera-t-elle d’imposer leur marque sur les politiques menées ou de négocier avec l’Etat pour retrouver des marges de manœuvre financière ?
T.P. La pression financière s’exerce déjà depuis un certain temps sur les départements, d’où la création d’ailleurs récemment d’un fonds d’aide. Avec l’obligation de budgets à l’équilibre, on va voir fondre l’exercice de compétences facultatives. Et certains présidents de conseils départementaux réclament la renationalisation du RSA. Aujourd’hui, la consommation des crédits pour les politiques de solidarité se fait clairement au détriment d’autres actions.
Avec une région stratège, le département sera davantage encore dans les politiques de proximité, libérant la région pour agir sur l’emploi et le développement économique”
Les départements de droite défendront-ils plus ardemment que la gauche l’institution départementale ? Peuvent-ils peser plus encore sur l’évolution de la loi Notre ?
T.P. L’ADF sera évidemment plus incisive vis-à-vis du gouvernement. Mais elle restera un interlocuteur privilégié du gouvernement et du Parlement sur tous les textes visant les départements.
S’agissant du texte Notre, l’ADF sera certes plus proche encore du texte défendu au Sénat, avec qui elle entretient des relations très fortes, que de celui de l’Assemblée. Mais on s’est déjà beaucoup rapproché d’un texte de compromis, la loi s’étant infléchie depuis sa présentation.
Comment envisager la relation des départements avec les futures grandes régions ?
T.P. Rappelons-nous à ce sujet le duel Raffarin Larcher pour la présidence du Sénat en 2008 : l’un comme l’autre avaient considéré que pour pérenniser l’institution départementale, il suffirait d’agrandir les régions. C’est chose faite ! Les questions qui vont se poser désormais se focaliseront sur la répartition précise de compétences comme les transports scolaires.
Le conseil régional nouveau agira-t-il vraiment seul ou demandera-t-il de l’aide aux conseils départementaux via des délégations ? Et la région aura-t-elle des antennes au niveau de chaque département ? Avec une région stratège, le département sera davantage encore dans les politiques de proximité, libérant la région pour agir sur l’emploi et le développement économique. On se dirige vers une nouvelle répartition des rôles où chacun voit son cœur de métier stabilisé.
50 % de conseillères départementales mais seulement une dizaine de présidentes à venir… la parité dans le pouvoir a-t-elle vraiment progressé avec ce scrutin ?
T.P. La progression du rôle des femmes dans les assemblées départementales va se faire par étape, y compris dans la composition des exécutifs. Vue la complexité des dossiers, il est assez logique de voir d’anciens conseillers généraux accéder en priorité à l’exécutif, et donc mathématiquement plus d’hommes que de femmes. Celles ayant déjà exercé un mandat complet pourront, dans la plupart des conseils, accéder à l’exécutif. Pour les autres, il faudra attendre le prochain pour faire valoir une expérience.
Mais la parité va tout de même progresser : outre celle imposée pour les commissions permanentes, des exécutifs départementaux pourront décider d’imposer la parité totale en leur sein, ce que la loi n’oblige pas ((Les vice-présidents sont bien élus au scrutin de liste, dans laquelle le nombre de candidats de sexe différent dans chaque liste ne peut être supérieur à un. Toutefois, la tête de liste ne doit pas être obligatoirement de sexe opposé au président... en l’occurrence un homme dans 90 % des cas.)). Et au-delà du nombre de vice-présidentes, la progression de la parité sera aussi à analyser via l’ordre protocolaire.