L'abécédaire de la sécurité et de l'urbanisme

De Bancs à Ville évènementielle... en quinze mot-clés ou thèmes, cet abécédaire de la sécurité et de l'urbanisme est avant tout une invitation à la réflexion, à travers des témoignages et illustrations, sur l'urbanisme pensé et mis en oeuvre comme une réponse humaine et architecturale à l'insécurité.

Bancs

Ah, les bancs ! Peu à peu, ils ont disparu du paysage urbain, au nom de la sécurité. Ils sont accusés d’attirer les SDF, les bandes de jeunes trop bruyants, de rendre plus difficile le nettoyage des rues. Pourtant, ils jouent un rôle fondamental dans la qualité de vie urbaine. Ils permettent de profiter du théâtre de la rue, de se reposer au cours d’une balade, aux jeunes et moins jeunes de papoter, aux parents d’élèves, souvent des femmes enceintes pour les petites classes, d’attendre la sortie des cours. Sans eux, les personnes âgées qui marchent difficilement hésitent à sortir de chez elles.

Dans bien des villes, seules les terrasses de café, payantes, offrent la possibilité de s'asseoir. Un retour des bancs seraient donc souhaitable, au nom du confort urbain et de la sécurité, puisqu’ils préservent de la présence dans les rues.

Un conseil : veiller à ne pas les installer trop près des fenêtres des riverains pour éviter le tapage nocturne.

Bandes et regroupements

Le sentiment d’insécurité est souvent provoqué par des regroupements de personnes. Lorsqu’il s’agit de jeunes trop bruyants, le voisinage peut les rappeler à l’ordre. Il en va autrement lorsqu’il s’agit de bandes de trafiquants, qui prennent possession d’un territoire, qu’il s’agisse d’une place, d’un coin de rue ou d’un hall d’immeuble. On ne peut pas attendre des habitants qu’ils interviennent à la place de la police.

Pour prévenir l’installation de bandes, il faut étudier les cheminements, éviter la constitution de points d’observation en impasse, les halls d’immeubles vigies. L’implantation de commerces en pied d’immeuble est souvent problématique dans les quartiers d’habitat social, car ils favorisent les rassemblements.

Cachettes et recoins

Si, objectivement, il faut éviter les endroits où il est possible de se cacher, l’espace public ne doit pas être aseptisé. Il doit receler des recoins, des lieux de rencontre situés de façon à ne pas gêner le voisinage. Les groupes, pour se réunir, ont besoin d’un point d’ancrage dans le sol : un arbre, un banc, une œuvre d’art, des marches, une rambarde, un abri… En les plaçant judicieusement, ils permettent une vie sociale normale, sans appropriation d’un espace inadapté.

Un espace où il n’est pas possible de s’arrêter, lisse et sans intérêt n’attirera personne. Or, l’absence de contrôle social est source d’insécurité.

Etude de sécurité

Selon Renaud Prouveur, PDG d’Althing, les études de sûreté et de sécurité publique (ESSP) doivent toujours respecter le geste architectural. « Si un objet important, une œuvre d’art, un élément architectural peut être détourné, on le laisse tout de même. Il ne faut pas faire de l’habitat une prison. Si un conflit d’usage apporte une plus-value au cadre de vie, il faut laisser la victoire au cadre de vie, même au prix d’un peu d’insécurité.»

Pour parvenir à ce type de décision, il est utile que la collectivité hiérarchise les niveaux de risques en fonction de leur degré d’acceptabilité.

Les études aux préconisations purement défensives, répondant à une logique policière, sont à refuser. « Il faut savoir résister!», assure Renaud Prouveur. Il se souvient de policiers réclamant des vitres blindées résistant à des tirs d’armes militaires lourdes pour une église ! Il en va de même lorsque la vidéo est réclamée autour d’un centre commercial : il ne revient pas à la collectivité de la financer. Une certaine forme de chantage peut même s’exercer, la commission prétendant que si telle préconisation n’est pas mise en œuvre et qu’un problème se pose, la collectivité devra assumer. Il faut cependant se rappeler que la collectivité ne peut pas tout et que la lutte contre la délinquance est encore une prérogative de l’Etat.

Souvent, le maire n’est pas au courant de l’étude de sécurité. Or, il serait bon que la municipalité y réfléchisse au préalable, qu’elle ait une doctrine dans ce domaine. Elle pourrait ainsi disposer d’un cahier de prescriptions.

Le maire peut demander l’intégration de la réflexion sur la sûreté dès l’appel d’offres. Renaud Prouveur y voit plusieurs avantages : le prix final sera plus proche de la réalité, la définition de la stratégie en amont permettra de gagner du temps et le maire aura la certitude que l’entreprise s’approprie la question de la sécurité.

Lyon, cité en exemple par Gersende Franc, responsable du point d'appui , s’est doté d’un espace de débat entre concepteurs, qui ont souvent peur du tout sécuritaire, et acteurs de la sécurité. Autre exemple : le Grand Nancy dispose d’un contrat de sécurité d’agglomération, décliné en contrats locaux, dont l’une des thématiques est l’espace public. Cela permet à la collectivité de clarifier sa doctrine très en amont.

Travailler le plus tôt possible avec le référent sécurité, représentant du ministère de l’Intérieur, permet de déminer bien des sujets.

« Les représentants du ministère de l’Intérieur sont confronté à la réduction de leurs effectifs et au problème de leur intégrité physique, explique Gersende Franc. Ce qui explique une certaine crispation, des prises de position doctrinale. Mais si le référent arrive au bon moment dans le projet, en parle en amont avec le concepteur, il peut partager son expérience. Les policiers ont l’expérience de certaines situations. Ainsi, ils peuvent prévenir des problèmes de voisinages, de tapage nocturne, en préconisant d’éloigner certaines activités. Des espaces voulus ouverts en permanence doivent finalement être fermés alors que le référent aurait pu anticiper le problème.»

Dans une bonne étude de sécurité, l’urbanisme n’est qu’un élément de la réponse. En fonction des éléments révélés par le diagnostic, elle doit aussi porter sur les aspects sociaux, éducatifs. Elle doit être capable de donner des conseils sur la prévention de la toxicomanie, sur le soutien à la parentalité, préconiser, s’il le faut, une maison de la justice et du droit. Elle indique un niveau de performance à atteindre et elle doit pouvoir évoluer en fonction de l’évolution de la délinquance. Son appropriation par le CLSPD est une garantie de sa pérennité et de son évolution. Ce ne sera plus seulement un « document coup de tampon», selon l’expression de Renaud Prouveur.

Formation des agents

Un grand nombre de personnes interviennent sur les espaces publics : agents de propreté, gardes de l’environnement, médiateurs de jour, de nuit, jardiniers, cantonniers, policiers municipaux et nationaux…
«Chacun intervient pour sa mission propre sans formation sur le sens de son travail par rapport au bien commun qu’est l’espace public, remarque le juriste Denis Moreau. Si les agents comprenaient que le but de leur travail est que les lieux appartiennent à tous, cela le requalifierait et changerait le sens de leurs gestes.»

Gestion

La gestion des espaces publics est cruciale pour en préserver la sécurité. C’est pourquoi les solutions lourdes qui imposent entretien et maintenance sont déconseillées.

Lille, avant de se lancer dans le projet de rénovation urbaine du quartier de la Concorde , a décidé d’inverser l’approche habituelle et de travailler sur la gestion, avant d’aborder l’aménagement. L’occasion pour les responsables du projet d’aménagement de rencontrer les membres du conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD). Il n’en avait jamais eu l’occasion ! «Pourtant, les gens de la sécurité ont une connaissance fine des habitants et des problèmes du quartier», souligne Bertrand Vallet.

Le parc de La Villette, qui ne ferme jamais et est dépourvu de vidéosurveillance, est l’objet d’une gestion attentive, partagée par de nombreux intervenants, en liaison permanente. Sans exclure la police, qui intervient en cas de comportement délinquant. Tous les deux mois se réunit une commission stratégique de sûreté, avec tous les acteurs, de la police aux éducateurs.

S’y ajoute l’action de l’Association de prévention du site de la Villette (APSV), dont Christian Brulé est le président. Le but de l’APSV est d’éviter l’exclusion sociale et de favoriser l’insertion des jeunes défavorisés. L’association intervient selon «un principe de subsidiarité». Elle « ne fait pas ce que font les autres structures, elle intervient dans les interstices», explique Christian Brulé dans « Les villes face à l’insécurité » .

L’ethnologue Sophie Tiévant, dans une étude sur le parc de La Villette, conclut: «La qualité d’espace public urbain du parc de La Villette et le faible taux d’incivilités qu’on peut y observer sont induits, certes, par les caractéristiques du lieu mais, de façon beaucoup plus déterminante, par la politique de gestion du site».

Il en sera de même dans le futur forum des Halles, à Paris. Déjà, durant la phase du chantier, une réunion de coordination de la sécurité a lieu toutes les six semaines. Elle réunit le promoteur Unibail, le secrétariat général de la mairie de Paris, son service urbanisme, la Justice, la police, la RATP, les associations… tous les sujets sur la sécurité et le sentiment d’insécurité y sont abordés et trouvent des réponses, formelles ou informelles.

«La gestion de l’espace public devrait être pensée comme celle d’un grand équipement, un stade par exemple, de façon unifiée», souligneJean-Pierre Caroff, vice-président délégué à l’urbanisme de Brest Métropole Océane. Selon lui, un responsable unifiant les diverses interventions améliorerait la situation sur un site tel que l’emblématique place de la Liberté, au centre de Brest.

L’aménagement même doit intégrer les questions de gestion. Gersende Franc, responsable du point d’appui national sûreté et sécurité urbaine, souligne que parfois les espaces publics sont prévus trop grands pour les capacités d’entretien de la collectivité. Soit ils sont alors mal maintenus, soit ils se transforment en nappe de béton uniforme. Dans les deux cas, ils sont mal appropriés, avec des conséquences pour la sécurité.

Inconfort

Lorsque l’on interroge les habitants ils se plaignent avant tout de la saleté, des graffitis, de la voirie en mauvais état, les espaces verts mal entretenus, les ascenseurs en panne, du bruit, des odeurs… La véritable délinquance, les trafics sont rarement cités en premier. « Derrière la question de la sécurité, on trouve celle de la qualité de vie », souligne Bertrand Vallet.

Les élus doivent donc lutter en premier lieu contre cet d’inconfort qui se traduit pas un sentiment d’abandon et d’insécurité. «Le laisser-aller dans l’espace public se traduit par du vandalisme et des incivilités. Les gens ne se sentent plus citoyens de leur ville», explique Anne Faure.

De même, au chapitre du confort figure celui des déplacements piétons. Trop de trottoirs se transforment en parcours de slaloms entre les différentes variétés de mobiliers urbains implantés sans véritable réflexion, les arbres et jardinières, les terrasses de café et étals de commerçants, la signalétique, les potelets et barrières anti-stationnement. Autant d’obstacles qui gâchent le plaisir de la déambulation et suscitent irritation et énervement.

Lumière

Suréclairer n’améliore pas la sécurité : les malfrats aussi ont besoin de lumière pour voir leurs victimes et commettre leurs méfaits. Sauf lors de certaines transactions pour lesquelles ils grillent l’éclairage public. Il convient alors de prévoir un réseau sécurisé du mieux possible.

Les lumières trop vives, venant d’en haut, projettent de grandes ombres au sol et créent, par contraste, des recoins inquiétants. Il suffit de penser aux lumières des anciens films noirs… Il vaut donc mieux disposer des sources de lumière pas trop fortes et basses, réparties régulièrement, mais non cassables. Bien penser le niveau de lumière et l’implantation du luminaire permet de mieux concilier l’inconciliable : par exemple, des riverains qui ne veulent pas trop de lumière et des piétons qui demandent un passage bien éclairé.

Faut-il éclairer les espaces verts, surtout s’ils restent ouverts la nuit ? Ceci revient cher et n’est pas très développement durable. Sans installer un éclairage, il est possible de prévoir des fourreaux si jamais il s’avère qu’un détournement d’usage impose d’éclairer un site.

Partager l’espace

Pour être sûr, l’espace public doit être occupé. D’où la nécessité de le rendre accueillant pour tous et de diversifier les activités au fil de la journée à l’échelle de la rue et du quartier.

Le partage de l’espace se heurte à une tendance lourde aujourd’hui : privilégier les flux et leur rationalisation en organisant leur séparation. Piéton, vélo, bus, voiture… chacun dans son couloir et peu désireux de le partager. Pour être sûr que les piétons ne se précipiteront pas sous les voitures et que celles-ci n’entameront pas les trottoirs, les barrières, plots et potelets fleurissent et canalisent encore plus les mouvements. Quitte à obliger les piétons à de grands détours à certains carrefours. Ces dispositifs envahissants sont le résultat d’une incivilité mal réprimée : celle des automobilistes qui ne respectent pas le stationnement interdit et la priorité des piétons… Les zones 30 et zones de partage, en calmant la circulation, proposent une réponse efficace qui facilite la cohabitation.

La ségrégation se retrouve également dans les parcs, avec les espaces pour les différents âges des enfants et des adolescents, les activités sportives, les personnes âgées etc. Le parc de La Villette a résolument tourné le dos à cette approche en refusant les espaces spécialisés. Les conflits trouvent une solution négociée. Ainsi, les joueurs de foots gênaient les familles qui voulaient profiter de la grande pelouse. Les animateurs négociateurs obtiennent qu’ils ne jouent qu’à certaines heures. « Il faut des lieux facilement modulables, pas trop fermés ni affectés, préconise Christian Brulé. Les modes changent. Par exemple, les parcs à rollers ne sont plus demandés ». Selon lui, si un lieu est dédié à l’activité de certains jeunes, il faudra une association pour le gérer et d’autres jeunes, exclus de ces activités, risque de le « casser ».

Petits espaces

Les grands projets d’aménagement bénéficient d’un luxe d’études, y compris de sécurité, ce qui en garantit, en principe, la qualité. Il n’en va pas de même de la multitude de petits espaces aménagés au fil du temps : un carrefour, une traversée piétonne, une sortie d’école, une portion de rue, un square… Il est rare que les collectivités se dotent d’une doctrine claire les concernant. Pourtant, ce sont eux qui font la ville, plus que les ZAC. Et c’est ainsi que l’on se retrouve avec des barrières canalisant les piétons, au lieu de travailler sur les déplacements motorisés, des plots, des disparitions de bancs, des obstacles et des grilles, des espaces difficiles à entretenir qui provoquent un sentiment d’abandon.

Rassurer

«L’espace public rassure quand il est ouvert et compréhensible», résume Anne Faure, urbaniste.
«Il faut des échappées visuelles, complète Christian Brulé, psychiatre, responsable de la sécurité du parc de La Villette et du futur forum des Halles. Il suffit de projet de regard vers un arbre, une tour, une pièce d’eau. La vue ne doit surtout pas se heurter à des murs».

A cela s’ajoute la beauté, la présence du végétal, la diversité des fonctions. Les problèmes posés par la circulation sont souvent sous-estimés et classés dans la catégorie sécurité routière. Ils participent pourtant largement du sentiment d’insécurité général, aux abords des écoles par exemple.

L’espace public ne doit cependant pas être totalement lisse, sans surprise. «Les qualités qui font l’attrait de la vie urbaine semblent difficilement séparables d’une certaine dose d’insécurité», rappelle Paul Landauer dans son ouvrage «L’Architecture, la ville et la sécurité ».

Résidentialisation

La résidentialisation commence à susciter un certain scepticisme chez les élus, selon Bertrand Vallet, responsable du programme Qualité et sûreté des espaces urbains du Plan urbanisme construction architecture (PUCA), alors que démolitions et résidentialisation riment souvent dans les projets de rénovation urbaine.

Lorsqu’elle est mal conçue, la résidentialisation enferme les habitants sans créer d’espace de qualité qu’il soit public ou privé. Elle revient aussi à souvent à réduire l’espace public et donc à limiter sa fréquentation. Une désertification qui n’est pas bonne pour le sentiment de sécurité. Et le comble est que, souvent, la police n’en veut pas car elle permet de se cacher !

Sorties des collèges et des écoles

Selon Michel Marcus, président du Forum français pour la sécurité urbaine, les belle lignes droites à la sortie des établissements scolaires sont certes séduisantes architecturalement. Mais elles sont contre-productives du point de vue de la sécurité. Les jeunes, qui aiment se retrouver à la fin des cours, n’y restent pas et se donnent plutôt rendez-vous dans les porches des immeubles ou des lieux plus hospitaliers un peu plus loin, gênants ainsi les riverains. Quant aux automobilistes, souvent parents d’élèves, ils ont tendance à conduire trop vite, créant de l’insécurité routière. «Il vaut mieux faire des courbes, prévoir des niches pour se retrouver», préconise Michel Marcus.

Temps des aménagements

Les comportements et les problèmes ne sont pas immuables. Les aménagements pensés en fonction de la sécurité doivent donc pouvoir évoluer, être souples. Réagir avec un investissement lourd pour faire disparaître une bande est contreproductif  le temps de la réalisation la bande a disparu d’elle-même, explique Christian Brûlé, psychiatre, responsable de la sécurité du parc de La Villette, à Paris.

Ville évènementielle

«Organiser des événements dans l’espace public est une façon d’organiser sa sécurité et d’éloigner les usages déviants sans en avoir l’air », estime l’architecte Paul Landauer. Ces événements, loin de mettre en cause l’organisation de la ville, sont en effet très encadrés et surveillés.

L’affectation de la voirie à un événement particulier pour une durée précise permet à chaque groupe de s’affirmer successivement. Mais cela souligne aussi que ces groupes ne coexistent pas en temps normal : l’ouverture aux piétons des voies sur berges le dimanche après-midi et durant Paris Plage est l’inverse de leur exclusion totale durant l’année. Les randos rollers, les défilés de minorités ethniques, sociales ou sexuelles rappellent leur absence de visibilité le reste du temps. De plus, souligne Paul Landauer, dans son ouvrage «L’architecture, la ville et la sécurité», seuls les groupes organisés et reconnus obtiennent cette possibilité.

A Brest, la place de la Liberté est un vaste espace symbolique mais peu convivial, que des bandes s’approprient le soir. Pour en changer l’image, la ville prévoit d’y organiser régulièrement des événements - expositions, manifestations sportives- d’y installer des chaises longues, des tables d’échec… de façon à faire venir et revenir la population et d'éviter que certains ne s’approprient l’espace.

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