Le gouvernement finalise les réformes de l'école et de la décentralisation qui devraient donner le premier rôle aux régions dans la formation professionnelle continue — et initiale —, et l'orientation, comme le souhaitent les conseils régionaux. Jean-Paul DENANOT, président de la région Limousin et chargé de la commission "formation professionnelle" à l'Association des régions de France (ARF), revient sur les enjeux et l'état d'avancement des discussions.

"La sécurisation juridique des partenariats avec des organismes de formation doit être inscrite dans la loi"
Le Courrier des maires : Le projet de loi de décentralisation prévoit la création de services publics régionaux de la formation professionnelle. Comment imaginez-vous ce nouveau service public?
Jean-Paul Denanot. Comme un service public qui s'adresse essentiellement aux demandeurs d'emploi, les plus éloignés de la qualification. Chaque demandeur d'emploi doit pouvoir bénéficier d'une formation correspondant à ses besoins pour sa réinsertion, assurée par une organisation publique, sans obstacle notamment financier.
Concrètement, les régions seront chargées de financer et d'organiser ce service et surtout de définir l'offre de formations qu'il proposera, en fonction des besoins exprimés par l'économie locale. Les demandeurs d'emploi seront orientés vers ce service public par les missions locales et Pôle emploi. C'est pour cela d'ailleurs que nous parlons de "service public régional de l'orientation et de la formation tout au long de la vie".
N'existe-t-il pas quelques désaccords sur l'orientation, initiale notamment ?
J.-P. D. Oui, quelques-uns. Mais, globalement, les choses avancent plutôt bien. L'idée est de disposer d’un système d'orientation tout au long de la vie auquel tous les citoyens puissent s'adresser. Cela existe déjà avec les Cités des métiers, ouvertes à tous les publics – élèves, étudiants, personnes sans emploi, salariés, etc. -, de manière anonyme et gratuite.
L'orientation va être abordée dans la loi "Peillon" sur la refondation de l’école, non pas dans la loi "Lebranchu" de décentralisation qui sera votée ensuite. La loi devrait consacrer les régions dans leur double rôle de formation et d'orientation tout au long de la vie*.
Cependant, même si les locaux des centres d'information et d'orientation (CIO) passeront sous la responsabilité des régions, les conseillers-psychologues d'orientation garderont le statut d'agents de l'Etat et continueront à exercer auprès des jeunes en formation initiale. Ceux qui le souhaiteront pourront être mis à disposition de la région pour exercer dans le cadre de l'orientation tout au long de la vie.
Les régions n'interviennent pas sur la formation initiale. Cela pourrait-il changer?
J.-P. D. C'est un deuxième point important de la loi Peillon pour l'école. Désormais, les régions devraient établir la carte des formations professionnelles, y compris initiales. C’est très nouveau.
Aujourd'hui, nous avons la responsabilité de l'apprentissage et de la formation tout au long de la vie. Mais il manquait ce troisième volet de la formation professionnelle.
Les régions sont chargées du développement économique sur leur territoire. Elles ont la connaissance des besoins du tissu économique en matière de qualifications. Nous souhaitons que la problématique de l'emploi ne soit pas déconnectée de celles de l'orientation et de la formation professionnelle dans son ensemble. Elles doivent former un bloc.
Aujourd'hui, les plans régionaux de formation prévoient l'existence d'une carte des formations initiales, mais c'est l'Etat qui a le dernier mot dans la discussion avec les régions. Avec cette réforme, les choses vont un peu s'inverser, même si, évidemment, les négociations auront toujours lieu avec l'Etat.
Si, demain, la totalité de la formation professionnelle se trouve sous la responsabilité des régions, quel sera le rôle l'Etat ?
J.-P. D. L'Etat n'est pas exonéré de la responsabilité de fixer les grandes orientations des politiques nationales. Il lui incombera toujours d'assurer la cohérence et la validité des diplômes sur l'ensemble du territoire. Cela relève du domaine régalien. Les diplômes doivent rester des diplômes d'Etat.
Fin 2012, le "plan de refondation" de l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) a reçu le soutien du gouvernement. C'était un sujet de préoccupation pour les régions. Quelle sera la place de l'AFPA dans les services publics régionaux ?
J.-P. D. Jusqu’en 2004, l’Etat ne mettait pas en concurrence l’AFPA avec d’autres organismes de formation. Mais quand le transfert de compétence a été effectif, l'Etat nous a expliqué qu'il faudrait désormais se soumettre aux règles de l'appel d'offres et mettre en concurrence l'AFPA avec des organismes de formation à but lucratif.
Cela n'a pas été simple pour nous. Nous avons résisté un moment, trois ans à peu près. Au bout du compte, la justice administrative, saisie par des organismes de formation, nous a contraints à faire machine arrière. Cela a été le cas pour moi, en région Limousin où nous avions décidé d'utiliser la forme du subventionnement avec l'AFPA.
Certaines régions, comme Poitou-Charentes, utilisent la possibilité offerte par la législation européenne de qualifier la formation professionnelle de service d'intérêt économique général (SIEG). Cela permet de ne pas soumettre ce secteur aux appels d'offres. Mais cela reste assez peu sécurisant, juridiquement. C'est pourquoi il est absolument nécessaire, dans le cadre des futurs services publics régionaux d'orientation et de formation professionnelle, de doter la France d'un cadre juridique nouveau.
En quoi soumettre la commande publique de formation à des appels d'offres pose-t-il un problème?
J.-P. D. L'obligation d'appel d'offres impose de créer des appels valables seulement un an. Les organismes qui y répondent s'organisent pour une année, sans pouvoir se projeter sur les suivantes, notamment pour modifier leur matériel et leurs formules pédagogiques. Il faut des contrats pluriannuels, de trois, quatre ou cinq ans, pour leur permettre de sécuriser leurs investissements.
Nous souhaitons que la sécurisation juridique de ces partenariats soit inscrite dans la loi. C'est ce qui se négocie actuellement avec Michel Sapin (ministre du Travail, de l'emploi et du dialogue social) et Thierry Repentin (ministre délégué, chargé de la Formation professionnelle et de l’apprentissage). Les choses vont plutôt dans le bon sens pour le moment, c'est inscrit dans la loi.
* "Afin d’en améliorer l’efficacité, le service public de l’orientation mis en place par la loi de 2009 relative à l’orientation et la formation professionnelle sera renforcé par une collaboration accrue entre l’État et les régions. Sa mission est de rendre effectif le droit de toute personne d’accéder à un service gratuit et d’améliorer la qualité d’information sur les formations, les métiers et l’insertion professionnelle, et de développer un conseil et un accompagnement personnalisé de proximité pour construire son parcours de formation et d’insertion." Extrait du dossier de presse présentant le projet de loi pour la refondation de l'école, le 23 janvier 2013.