Jean-Louis Bianco
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La laïcité s'impose dans tous les domaines de la gestion quotidienne des collectivités territoriales. Contrairement à ce que laisse penser le prisme déformant de certains médias, c'est un principe général qui n'est pas menacé, affirme Jean-Louis Bianco, président de l’Observatoire de la laïcité.
Le président de la République a installé l'Observatoire de la laïcité en avril 2013, six ans après sa création par décret, sous la présidence de Jacques Chirac. Un an et demi après sa nomination à la présidence de cette instance, Jean-Louis Bianco constate que l'application de la laïcité ne crée pas tant de polémiques qu'il y paraît. Quelques sujets reviennent plus que d'autres dans la gestion quotidienne des collectivités mais il estime qu'en s'appuyant sur la loi et sur le dialogue, les conflits ouverts sont souvent évités.
Courrierdesmaires.fr. Avez-vous le sentiment que la religion occupe plus de place dans la gestion quotidienne des collectivités locales ?
Jean-Louis Bianco. On assiste à une remontée du fait religieux en général – même si aucun élément chiffré n'existe pour l'instant – et, dans certains cas, de comportements que l'on peut qualifier de communautaristes. Mais il faut rappeler que la laïcité est une liberté. Dans la mesure où l'on ne gêne pas les autres, où l'on ne fait pas de la provocation, on a le droit de porter des signes religieux dans l'espace public, dans la rue.
En outre, si je me fie à ce que les associations d'élus locaux et le ministère de l'Intérieur font remonter auprès de l'Observatoire, je n'ai pas le sentiment d'une recrudescence de problèmes graves. Certains sont nouveaux, certains sont parfois même posés de manière agressive, mais ils restent limités.
Les difficultés sont plus souvent d’ordre technique : la gestion du patrimoine cultuel((Les communes doivent assurer les dépenses nécessaires à l'entretien et la conservation des édifices cultuels – dans les faits des églises catholiques – qui sont passés sous leur responsabilité avec la loi de 1905 de séparation de l'Eglise et de l'Etat.)), le financement de projets en rapport avec les cultes, la mise à disposition de locaux communaux, la gestion des cimetières ou les manifestations religieuses sur la voie publique par exemple((Pour aider les collectivités dans leurs décisions, l'Observatoire de la laïcité a publié un guide intitulé « Laïcité et collectivités locales ».)).
Quels sont les problèmes qui se posent aux collectivités en tant qu'employeuses ?
J.-L. B. Un problème qui serait visible depuis quelques années mais rare, c'est celui d'employés municipaux qui refuseraient, pour des raisons prétendument religieuses, de serrer la main d'une élue. Dans ces cas, la réponse légitime est la procédure disciplinaire, même si je n'ai pas eu connaissance de tels cas.
Le principe directeur, c'est la continuité du service public”
Une question qui revient plus souvent, c'est celle des demandes de congés pour motif de fête religieuse. Là encore, sans doute ces demandes s'expriment-elles davantage. Mais l'expérience que nous avons, c'est qu'elles se règlent dans la quasi-totalité des cas par l'explication et le dialogue.
Le principe directeur, c'est la continuité du service public. Si celle-ci n'est pas mise en péril, il n'y a pas de contre-indication à accepter ce type de demandes. Cela dit, nous recommandons de les traiter comme les autres demandes exceptionnelles d'adaptation des horaires.
Et en tant que service public ?
J.-L. B. Les questions ne sont pas nouvelles. Il y a celle de la nourriture – viande halal et casher – dans les cantines. D'un point de vue juridique, la loi dit qu'une commune n'est pas tenue, au nom de la liberté et de l'autonomie communale, de répondre favorablement à une telle demande.
D'un point de vue pratique, nous leur recommandons de servir des repas diversifiés, ce qui ne signifie surtout pas des menus halal et/ou casher, mais plutôt un menu avec ou sans viande, ce qui répond à la fois aux végétariens ou végétaliens, à ceux qui adoptent un certain régime alimentaire, ou tout simplement à ceux qui n’ont pas envie de viande ce jour-là.
Concernant la revendication d'horaires séparés pour accéder aux équipements sportifs, nous ne constatons pas de hausse et encore une fois, elle ne nous paraît pas aussi considérable qu'on pourrait le croire. Concrètement, une collectivité n'est pas tenue d'accepter une telle demande. D'ailleurs, nous le déconseillons. Mais s'il doit y avoir adaptation d'horaires, ça ne doit pas être pour des motifs religieux. La piscine comme les gymnases doivent rester des lieux mixtes.
Qu'en est-il du port du voile qui fait souvent polémique ?
J.-L. B. Les règles sont claires : les agents publics, et seulement eux, sont tenus à la neutralité religieuse, mais aussi politique. Ils ne doivent donc donner aucun signe qui permettrait de penser qu'ils auraient un parti pris.
Lors d'une élection municipale, on nous a demandé si la présence d'une femme voilée sur les listes était contraire à la laïcité. La réponse est non. De même qu'une fois élue, elle aurait pu venir au conseil municipal avec un foulard.
Quant aux usagers, ils ont parfaitement le droit de porter des signes religieux dans la mesure où, encore une fois, ça ne crée pas un trouble à l'ordre public. La seule exception sont les élèves des établissements de l'Education nationale qui, eux, sont astreints à ne porter aucun signe religieux ostensible.
Le Conseil d'Etat a rappelé que les parents accompagnateurs n'étaient pas des collaborateurs du service public, ils ne sont donc pas astreints aux mêmes obligations que les agents publics”
La question est souvent posée pour les mères lors des activités scolaires…
J.-L. B. Une maman peut venir à un conseil de parents d'élèves avec un foulard ou bien accompagner une classe et participer à des activités, à condition qu'elle soit identifiable et qu'elle n'ait pas un comportement agressif ou prosélyte.
Le Conseil d'Etat a rappelé que les parents accompagnateurs n'étaient pas des collaborateurs du service public, ils ne sont donc pas astreints aux mêmes obligations que les agents publics. Cependant, il a admis l'existence d'une appréciation au cas par cas, estimant que selon le contexte, le port du voile pouvait poser un problème d'ordre public, de contestation, de conflit.
Les élus subissent-ils plus qu’auparavant des pressions de la part de certaines communautés religieuses militantes ?
J.-L. B. Un peu plus, sans aucun doute et cela vient de tous les milieux, notamment de certains milieux chrétiens. Le dossier législatif du « mariage pour tous » y a contribué. Mais cela reste l'exception.
La grande difficulté, c'est la propension de nombreux médias à s'intéresser uniquement à ce qui crée du conflit et des tensions, à surmédiatiser ces problèmes par rapport à la réalité du terrain.
De manière générale, comment se déroule le dialogue entre les représentants des communautés religieuses et les collectivités ? Y-a-t-il des instances dédiées ?
J.-L. B. Il existe des instances de concertation préfectorale mais les collectivités territoriales elles-mêmes n'ont aucune obligation. Cependant, certaines communes et un département, à ma connaissance, se sont dotés d'instances de dialogue, tandis que l'on trouve à différentes échelles, notamment dans les régions, des observatoires locaux de la laïcité.
C'est une bonne initiative. Car dire que la seule chose qui peut régler les conflits, c'est le rappel à la loi et le dialogue, est spécialement vrai dans le domaine de la laïcité.