Jacques Pélissard : « Le maire est l’avocat de l’intérêt communautaire »

Denis Solignac
Jacques Pélissard : « Le maire est l’avocat de l’intérêt communautaire »

Jacques PéŽlissard

© P. Marais

Pour le président de l’Association des maires de France (AMF) qui ouvre ce mardi le 96e congrès, Porte de Versailles, la place des communes dans l’architecture territoriale modernisée et la garantie d’une « lisibilité de l’autorité publique » défendue par les municipalités devraient être, jusqu'à jeudi, au cœur des débats.

Le Courrier des maires. Selon vous, comment le gouvernement voit-il les communes et leur rôle ?

Jacques Pélissard. Il saupoudre les compétences et a une vision réservée sur le rôle de la commune et du maire. Plusieurs faits préoccupants en ont témoigné lors de la première lecture à l’Assemblée nationale de la loi pour la modernisation de l’action publique.

Par exemple, l’insertion des communes dans les métropoles, sans information ni accord de leur part. Ou l’élection au suffrage universel de 50 % des conseillers métropolitains indépendamment des communes : un véritable un guet-apens parlementaire ! Sans aucune concertation, le gouvernement a sorti pendant le débat un amendement à l’impact juridique contestable. En effet, la loi pose un principe pour 2020, ce qui est juridiquement inopérant. Enfin, la mise en place d’une DGF territorialisée au profit des métropoles coupera le seul lien financier entre l’Etat et les communes. Or, le maire est le représentant de l’Etat. Cette décision n’est pas acceptable.

Quelle place envisagez-vous pour les communes face à la montée en puissance de l’intercommunalité ?

J. P. Il est important que, sur le territoire, il y ait des zones où l’autorité publique exerce clairement ses responsabilités. Les communes sont attachées à cette lisibilité. C’est pourquoi elles doivent conserver la clause de compétence générale.

Les rapports communes-intercommunalités n’ont jamais posé de problème, avec la variable d’ajustement que constitue la définition de l’intérêt communautaire. Or, celle-ci disparaît dans la loi de décentralisation. C’est préoccupant et ce sera coûteux sur le plan opérationnel. Cette définition est pourtant capitale pour l’intelligence collective des territoires. Le maire n’est plus l’avocat chauvin de sa commune : il est l’avocat de l’intérêt communautaire.

Vous êtes pourtant hostile au transfert du PLU à l’intercommunalité, prévu par la loi Alur…

J. P. Soyons clairs. Je suis partisan d’une approche intercommunale, d’une mutualisation maximale. C’est un amendement de l’AMF qui a permis la mutualisation dans la loi du 13 août 2014. Mais nous n’acceptons pas une démarche imposée. Le PLU est un élément du projet municipal sur lequel la population vote.

L’esprit communautaire se construit par adhésion et non par transferts automatiques”

J’ai dit à Cécile Duflot qu’un système de majorité qualifiée serait acceptable, afin d’avoir une véritable co-élaboration du PLUI. L’esprit communautaire se construit par adhésion et non par transferts automatiques.

La mise en place du Haut conseil des territoires vous satisfait-elle ?

J. P. Depuis des années, nous disons qu’il est important de disposer d’un lieu d’échange et de concertation sur les politiques publiques. La Conférence nationale des exécutifs, mise en place par François Fillon, a eu un rythme de réunions modeste et chaotique. Le Haut conseil nous satisfait. Mais pas la représentation des communes par strates démographiques, qui se traduira par des déséquilibres politiques et géographiques.

Il serait naturel que l’AMF, association pluraliste, présente sur tout le territoire et au bureau de laquelle sont représentées toutes les associations des communes, désigne les élus représentants ces dernières, comme le feront l’ARF et l’ADF.

Comment jugez-vous le report de la révision de la carte des sous-préfectures ?

J. P. Qu’il y ait un remodelage des missions des sous-préfectures, cela peut se comprendre. Idem pour leur réseau. Mais nous avons besoin de relais de l’Etat sur tel ou tel domaine. Si plusieurs sous-préfectures coexistent sur un même territoire, alors elles peuvent différer dans leurs spécialités. Le maillage peut être revu, du moins allégé en zones urbaines. Mais il faut conserver le réseau dans les départements ruraux.

L’accès au crédit du secteur public local s’est-il détendu en 2013 ?

J. P. Nous avons moins de craintes sur l’accès au crédit des collectivités. Les banques ont plus de liquidités à placer et la période de tensions est passée. La future agence de financement des collectivités, officiellement créée le 22 octobre, devrait nous garantir une plus grande fluidité dans l’accès aux marchés financiers et instaurer une concurrence avec les banques classiques, La Banque postale et la Caisse des dépôts.

L’agence de financement des collectivités se limitera à 25 % du marché, soit de deux à trois milliards d’euros. Cela montre notre volonté, avant tout, de diversifier les financements”

L’agence ne pourra financer que la moitié des besoins et se limitera à 25 % du marché, soit de deux à trois milliards d’euros, ce qui montre notre volonté, avant tout, de diversifier les financements. La notion d’émulation entre ces différents canaux est importante, avec l’hypothèse d’un effet à la baisse sur les taux. Sinon, on dépendrait trop de Bercy.

Les communes pourront-elles soutenir l’investissement local ?

J. P. Elles sont déterminées à le faire, mais ce sera difficile. D’abord du fait du cycle électoral : les équipes sortantes vont être renouvelées, des appels d’offres ne seront lancés que bien après les élections. Ensuite, à cause de la baisse des dotations : 840 millions d’euros en moins pour le bloc local en 2014, une baisse qui va peser et s’aggraver dans les années à venir. Enfin, l’effet de ciseau jouera à plein étant donné la hausse des charges : augmentation de la CNRACL, de la TVA, du point d’indice du traitement des fonctionnaires, du coût des rythmes scolaires, etc.

En conséquence, vu la très faible élasticité de la masse salariale, il n’existe que deux variables d’ajustement : les dotations aux associations, qui seront altérées, et la baisse des investissements locaux. D’autant que nous n’avons pas d’ouverture de la part du gouvernement sur notre demande d’un fonds d’investissement réservé au secteur local et que la non-revalorisation du FCTVA est un mauvais coup contre l’investissement local.

Une piste d’économie serait la réduction des normes. Où en est-on ?

J. P. Lors de la réunion entre Etat et collectivités locales le 16 juillet dernier, le gouvernement a annoncé un moratoire sur les normes au 1er septembre. Mais ce n’est pas le premier ! Il faut absolument un dispositif juridique solide pour affermir la Commission consultative d’évaluation des normes.

Le 6 octobre 2012, aux Etats généraux de la démocratie territoriale, le président de la République s’était engagé sur l’avis conforme de la CCEN. Celui-ci serait efficace. En attendant, cette inflation normative nous coûte cher. Par exemple, à l’été 2012, l’administration a fait passer un décret qui rend le désamiantage encore plus rigoureux, sans bénéfice social ou environnemental.

Dans quelle ambiance se déroulera le prochain Congrès des maires ?

J. P. C’est le dernier congrès des maires élus en 2008. Outre les habitués, viendront ceux qui ne sont jamais venus. La question de la place des communes sera posée dès la première plénière, sur le thème « 36 769 maires : chance ou faiblesse pour la République ? ». Nous y présenterons une étude sur la perception des élus et les attentes des Français par rapport aux élus et la réciproque. Quant à l’ambiance, elle sera offensive. Les maires sont très remontés.

Propos recueillis par Martine Kis et Aurélien Hélias

Municipales : l’AMF ne fait pas campagne… mais la prépare

Association pluraliste, l’AMF ne va bien sûr pas mener campagne pour tels ou tels candidats en mars 2014. Pour autant, elle devrait s’associer, comme elle le fait d’habitude, avec le ministre de l’Intérieur et le Cidem, le centre d’information civique, pour « faire une campagne afin d’inciter les citoyens à s’inscrire sur les listes électorales et à voter » les 23 et 30 mars 2014, annonce Jacques Pélissard. Une initiative qui s’annonce d’autant plus utile que la modification, complexe, du mode de scrutin pour les élus intercommunaux devrait dérouter plus d’un électeur dans les communes de plus de 1 000 habitants… alors même que certaines équipes municipales se disent perdues, s’agissant des déclarations de candidature et de la présentation des bulletins.
« Au-dessus de 1 000 habitants, la double liste sur le bulletin municipal nous inquiète. Nous avons demandé au ministère d’élaborer un bulletin type. Il faudra aussi expliquer à toutes les communes que les candidats doivent s’inscrire, qu’il n’y aura plus de candidature sans déclaration », prévient Jacques Pélissard. Un point info « Elections 2014 : les nouvelles règles » est d’ailleurs prévu le 20 novembre après-midi lors du Congrès des maires.
Autre acteur local confronté à un surplus de travail du fait de ces pré-inscriptions : « Les sous-préfectures, elles seront débordées par le nombre de déclarations », prévoit le député-maire de Lons-le-Saunier. Qui déplore à nouveau un mode de scrutin intercommunal à la fois peu lisible et peu novateur : « Nous avons essayé d’amender le texte au Parlement, de proposer une seule liste avec un fléchage des futurs conseillers communautaires, sans succès. La double liste ne répond à aucun besoin. »

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