Carte d’électeur, vote
© Flickr-CC-Y.Xiao
La crise des gilets jaunes est une crise environnementale, sociale mais aussi politique. Alors que le gouvernement prépare depuis déjà plusieurs mois une révision constitutionnelle portant réforme des institutions, la révolte contre la taxe carbone et en faveur du pouvoir d'achat font réfléchir Emmanuel Macron à mieux prendre en compte le vote blanc à l'occasion d'un potentiel référendum. Interview de Jérémie Moualek, chercheur en sociologie politique à l’Université Paris Saclay et spécialiste du vote blanc.
Le 10 décembre dernier, lors de son allocution télévisée, le Président de la République évoquait la nécessité de « mieux prendre en compte le vote blanc ». Une manière de répondre aux « Gilets jaunes » et à leur soif de peser dans la vie démocratique de notre pays.
Le mercredi 2 janvier, une indiscrétion du député LREM de la Vienne, particulièrement investi sur la révision constitutionnelle, Sacha Houlié, laissait penser que la question était bien dans les tuyaux de l’exécutif avec un possible référendum sur cet enjeu.
[caption id="attachment_79301" align="alignnone" width="300"] Chercheur en sociologie politique (Université Paris Saclay), Jérémie Moualek est spécialiste des ressorts du "vote blanc."[/caption]
Attention, les met toutefois en garde Jérémie Moualek, chercheur en sociologie politique à l’Université Paris Saclay et spécialiste du vote blanc. La question est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît et nécessite un vrai débat de fond, notamment sur les modalités d’application du vote blanc.
Courrier des Maires : Qu’est-ce qui différencie, aujourd'hui, le "vote blanc" du "vote nul" ?
Jérémie Moualek : Depuis la loi du 21 février 2014, le vote blanc est distingué du vote nul dans le décompte des résultats. Mais il n’a pas plus de valeur que le vote nul puisqu’il n’est toujours pas pris en compte dans le décompte des suffrages exprimés.
Par ailleurs, dans les faits, il est très difficile de distinguer le vote blanc du vote nul car il n’y pas de matérialité donnée au vote blanc. En France, il n’y a en effet pas de bulletin « blanc » officiel, et même si on a fait en sorte que l’enveloppe vide soit comptée comme un vote blanc, je me suis aperçu au cours de mes travaux de recherches que les électeurs utilisaient peu l’enveloppe vide. Ces derniers préfèrent donc rayer les bulletins ou écrire quelque chose, leur bulletin devenant alors un bulletin nul. En réalité, 90% des votes nuls sont des votes blancs dans l’esprit.
Donc en résumé, on a bien une distinction légale entre le bulletin blanc et le bulletin nul. Pour autant, elle ne fonctionne pas jusqu’au bout puisque il n’y a pas d’effectivité matérielle du bulletin blanc et que ce dernier n’est pas comptabilisé dans les suffrages exprimés.
Comment a évolué le vote blanc/nul ces dernières années ? Qui sont les électeurs qui y ont recours ?
Statistiquement, c’est un phénomène qui croît depuis le début des années 90 sur tous les types de scrutins confondus… L’apogée du phénomène étant le second tour de la dernière élection présidentielle, en 2017. On peut distinguer trois profils d’électeurs qui votent blanc/ou nul :
- Ceux qui, au regard de l’offre politique, refusent de choisir mais refusent également de renoncer à voter. Ils refusent par exemple de choisir par fidélité à un candidat éliminé au premier tour, c’est le cas typique des soutiens de Jean-Luc Mélenchon au second tour de la présidentielle ;
- Il y a également les électeurs qui vont prendre la parole au travers de leur bulletin de vote, en écrivant des pamphlets ou des revendications qu’ils adressent au maire, aux conseillers régionaux, au futur Président. Ici, le message prime sur le suffrage ;
- Enfin, il y a les électeurs qui sont proches sociologiquement de l’abstention et qui viennent tout de même voter à cause d’une certaine pression sociale.
Plus largement, ce phénomène de vote blanc/nul révèle une crise de l’offre politique, une crise de notre démocratie représentative, et enfin une exclusion sociale croissante avec des personnes qui finissent par ignorer un jeu politique qui les ignore, car le vote blanc/nul précède souvent une abstention, il est souvent le dernier passage à l’une avant l’abstention.
L’exécutif réfléchirait à un référendum portant sur la prise en compte du vote blanc dans nos élections. Qu’en pensez-vous ?
Dit comme cela, sans plus de détails, c’est totalement absurde ! Le vote blanc est un sujet faussement simple et il ne doit pas être utilisé de manière démagogique. Il existe des degrés d’intégration du vote blanc qui ne signifient pas du tout la même chose.
Au premier niveau, vous pouvez « prendre en compte » le vote blanc en lui donnant la même valeur qu’un vote pour un candidat et ainsi l’inclure dans les suffrages exprimés.
Deuxième niveau, vous pouvez le « prendre en compte », en lui octroyant une « matérialité » et en mettant à disposition des bulletins blancs officiels ou des bulletins avec la mention « Aucun des candidats » ou « Contre tous les candidats », comme cela se fait dans certains pays. La matérialité est importante, et il faudrait un vrai débat pour définir ces points.
Enfin, dernier niveau, vous pouvez « prendre en compte » le vote blanc en lui octroyant un pouvoir de sanction. On peut ainsi imaginer qu’à partir d’un certain seuil de votes blancs, il faille refaire l’élection. Quel seuil ? Combien de fois refait-on l’élection ? Au bout de combien de temps ? Avec quels candidats : les mêmes ou des nouveaux ?
Certains craignent que si le vote blanc est pris en compte dans les suffrages exprimés, il devienne plus difficile de dégager une majorité absolue…
En réalité, je ne vois pas où le problème dans le fait d’être élu avec une majorité relative puisqu’au final vous êtes élu car vous avez le plus de voix… Evidemment, si on octroie au vote blanc un pouvoir de sanction, c’est différent et cela peut permettre d’envoyer des messages aux élus.
Plus largement, d’un point de vue symbolique, l’élection d’Emmanuel Macron en 2017 implique une sorte de consensus au regard de son score au second tour de la présidentielle. Mais si on avait pris en compte les blancs et les nuls, cette légitimité aurait été plus relative et cela l’aurait peut-être pousser à nouer des alliances, à faire des compromis sur certains points ou en tout cas à envisager autrement son statut. La prise en compte des bulletins blancs/ nuls peut apporter cela.
Qu’en est-il des élections avec une dose de proportionnelle, puisque l’exécutif y réfléchit également ? Le vote blanc et la proportionnelle sont-ils compatibles ?
Oui c’est compatible mais il faut avoir conscience que prendre en compte les bulletins blancs et nuls en cas d’élection proportionnelle va favoriser les plus grosses formations politiques, car vous augmentez le « seuil » des bulletins exprimés permettant de ventiler des sièges. Ou alors, il faut admettre que certains « sièges » resteront vides… Mais là encore, cela favorisera les plus grosses formations politiques. Il faut donc que les partis politiques qui réclament cette prise en compte des votes blancs/ nuls aient conscience également des effets pervers d’une telle réforme, si elle devait s’appliquer à tous les scrutins.
Toutes ces questions méritent un débat de fond qui est absolument nécessaire car nous sommes aujourd’hui dans un système électoral utilitariste qui permet d’élire des représentants et qui ne prend plus en compte la diversité des opinions. Les élus ont toujours eu peur que la prise en compte du vote blanc et son effectivité matérielle produise un effet d’entraînement, mais ceci n’est qu’une croyance, car dans les pays qui comptabilisent ces bulletins, il n’y a pas eu de hausse soudaine du vote blanc.
jaka - 22/02/2019 12h:11
pourquoi ne pas comptabiliser alors vote NUL et vote BLANC,on gagnera du temps ... JAKA
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