Hausse des dépenses de personnel : le bloc local particulièrement visé par la Cour des comptes

Aurélien Hélias
Hausse des dépenses de personnel : le bloc local particulièrement visé par la Cour des comptes

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© Cour des comptes / Emile Lombard

Dans son rapport sur les finances publiques locales présenté le 14 octobre par son premier président, Didier Migaud (photo), la Rue Cambon regrette l’augmentation des dépenses de fonctionnement des collectivités, et particulièrement celles de personnels dont communes et intercommunalités sont les plus friandes. La Cour appelle à l’effectivité des transferts de services quand les compétences sont attribuées aux intercos, des mutualisations plus poussées et une gestion plus fine des carrières et des temps de travail.

Dans un rapport très attendu mais qui finalement n’a pas ressemblé au jeu de massacre annoncé sur la gestion financière des collectivités, la Cour des comptes semble toutefois prioriser ses charges sur un chapitre particulier de la dépense locale, le coût des personnels, et un acteur « leader » de cette dépense publique locale, le couple communes-intercommunalités.

[caption id="attachment_25095" align="alignleft" width="380"] Les quatre magistrats détaillant le contenu du rapport, hier, rue Cambon. De gauche à droite : Claude Lion, Jean-Philippe Vachia, Didier Migaud et Frédéric Advielle.[/caption]

Alors que le rapport de la Cour consacre une large part aux dépenses de fonctionnement des collectivités, « qui se sont davantage accrues que les recettes » et ont progressé de 3,1 % en plus de l’inflation chaque année en moyenne depuis 1983, Didier Migaud dénonce une hausse qui n’est « pas soutenable, car ni les recettes, ni l’endettement ne peuvent continuellement s’ajuster à des dépenses croissantes ». Or la Rue Cambon « a spécifiquement étudié la question des dépenses de personnel, qui représentent le tiers des dépenses, la moitié même pour les communes, dont certaines composantes, notamment les avancements et la gestion du temps de travail, pourraient être mieux maîtrisées ».

Prévenant les critiques des associations d’élus, la Cour a pourtant pris soin de « distinguer les effets mécaniques » résultant de décisions de l’Etat, comme la hausse du salaire minimum, et « les paramètres sur lesquels les gestionnaires locaux peuvent agir pour maîtriser et limiter cette dépense ». Et la Cour, s’appuyant sur les données de la Commission consultative d’évaluation des normes (CCEN), juge qu’environ 40 % de la hausse de 2012 résulte de mesures législatives et réglementaires prises au plan national. « Cela signifie aussi que plus de la moitié de l’accroissement de la masse salariale relève de décisions locales : embauches, avancements, attributions de primes », assène Didier Migaud.

L’augmentation de la masse salariale du bloc local, « tendance de long terme »
La Cour condamne ainsi le caractère « dynamique » d’une masse salariale des collectivités qui s’est accrue de 3,3 % en 2012 en valeur. Et d’ajouter qu’ « il s’agit d’une tendance de long terme : les communes, qui n’ont pas connu de transferts liés à la décentralisation, ont augmenté leur masse salariale en moyenne de 3,2 % chaque année depuis 12 ans », souligne le premier président de la Cour. Cette dernière cite ainsi de nombreuses irrégularités dans la gestion des emplois publics locaux, à l’origine du gonflement de l’enveloppe des dépenses de personnels :

  • des avancements des agents « à l’ancienneté minimale de façon systématique et sans prendre en compte la valeur professionnelle des agents, comme l’esprit de la loi le prévoit » ;
  • une gestion approximative, voire généreuse, du temps de travail des fonctionnaires territoriaux ;
  • une faible maîtrise de l’augmentation des coûteuses heures supplémentaires ;
  • l’existence de régimes indemnitaires onéreux ou irréguliers dans plusieurs collectivités ;
  • une insuffisante prévention des absences pour raison de santé, atteignant dans certaines collectivités un « niveau élevé par rapport aux autres administrations publiques, sans être totalement expliquées par le profil des agents, c'est-à-dire leur âge, la nature des emplois exercés, etc. ».

« Un train de vie » non maîtrisé
A nouveau, la Cour regrette que le développement de l’interco n’ait pas donné lieu à une maîtrise des effectifs et participé de la nécessaire « maîtrise du train de vie » du secteur public local. Et Didier Migaud de souligner l’exemple de Carcassonne, où la mise en place d’une communauté d’agglomération en 2002 « a été suivie par une multiplication par trois de ses effectifs depuis cette date, alors qu’au même moment, ceux de la commune de Carcassonne s’accroissaient de 11 % »...

La Cour déplore particulièrement la pratique très limitée des expériences de mutualisation, la constitution de services communs relevant plus de l’exception que de la règle. « Des instruments permettent la mutualisation, mais relèvent essentiellement du volontariat, regrette Jean-Philippe Vachia, président de la formation interjuridictions. Et quand intervient un transfert de compétences, le service correspondant doit l’accompagner, ce qui n’est pas toujours le cas. »

Les compétences transférées aux EPCI… au contraire des services
Le magistrat, qui, nommé à la tête de la 4e chambre de la Cour, quittera bientôt ses fonctions, appelle donc à aller « plus loin dans le transfert effectif des services quand les compétences sont transférées » et à regrouper des services fonctionnels au niveau des intercos, « quitte à ce qu’il y ait de la mise à disposition descendante ».

Jean-Philippe Vachia juge également favorablement la disposition prévue par la réforme de décentralisation d’un coefficient de mutualisation pour inciter, récompenser les intercommunalités qui mutualisent le plus à travers la majoration de la DGF « et souhaiterait », à partir de 2015, un indice sur la dépense de personnel consolidée, « une disposition prévue mais pas encore mise en œuvre », rappelle-t-il.

Au-delà des de ces fermes recommandations, le message de la Cour se veut également optimiste, rappelant que certaines collectivités « sont parvenues à stabiliser voire réduire leurs effectifs » comme Bourges ou Béthune, quand d’autres réussissaient à renforcer « les exigences de ses procédures de recrutement », à l’image du Mans.

Et si cela peut rassurer les élus qui verraient d’un mauvais œil que les collectivités soient trop souvent au cœur des appels de toutes part à diminuer la dépense publique, Didier Migaud n’a pas omis de glisser que « l’Etat devrait accompagner cet effort par la limitation des mesures ayant un impact sur la masse salariale du secteur local ».

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