Habitat précaire : reconnaître l’état de fait

Martine Kis
Habitat précaire : reconnaître l’état de fait

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© Incertaines demeures

Tentes, cabanes, caravanes, mobile homes… : autant d’habitats que leurs occupants investissent comme de véritables logements. La reconnaissance de cet habitat leur est cependant refusé, ce qui les plonge dans une précarité permanente. Alors que la crise du logement est interminable et que la pauvreté augmente, ne faudrait-il pas aller vers une certaine reconnaissance de cet état de fait ?, demande Gaspard Lion, auteur d’« Incertaines demeures. Enquête sur l’habitat précaire ».

Les habitats précaires se multiplient dans les bois, dans les recoins délaissés des villes et dans leurs abords, le long des cours d’eau, des voies rapides… mais aussi dans les campings, sur des terrains privés ou publics. Certains sont visibles, d’autres se font le plus discret possible.

Combien de personnes vivent-elles ainsi dans des habitats qu’elles revendiquent souvent comme tels, quoi que cette qualité leur soit niée par la collectivité. Combien sont-ils, ces « habitants » qui ne se voient pas comme des SDF ?

Difficile de décompter ce qui est illégal. Ils seraient 85 000 dans des habitats de fortune, 100 000 dans des campings, selon les données de la Fondation Abbé Pierre, reprises par Gaspard Lion dans son ouvrage « Incertaines demeures. Enquête sur l’habitat précaire ».

Irréductible individualité

Ce sociologue a entrepris de recueillir l’histoire de ces habitants en vivant avec eux, dans le bois de Boulogne, dans la rue, dans un camping. Témoin empathique, mais neutre, qui nous fait pénétrer sans jugement à l’intérieur de ce monde, en insistant sur la particularité et l’irréductible individualité des parcours de chaque personne rencontrée et écoutée. Malgré tout, leurs expériences les rapprochent.

Nous sommes ainsi menés à la rencontre de Fred, « en sécurité dans son habitat », une cabane du bois de Vincennes, après avoir perdu son emploi et une période d’errance dans la rue.

Dans sa cabane, aménagée et décorée, il peut s’isoler, recevoir, cuisiner, écouter la radio, faire même le ménage. Une société des bois se constitue ainsi, faite comme partout de solidarité et de rivalités.

Noah, lui, s’est installé dans une tente au cœur de Paris, dans un renfoncement d’une rue peu fréquentée. Il s’efforce de maintenir de bonnes relations de voisinage, maintient propreté et calme autour de sa tente.

Quant aux expériences de vie dans un camping, elles vont du choix présenté comme assumé d’accéder à une forme de propriété à bon marché jusqu’à la douleur d’une succession de pertes.

Maintien dans la précarité

Tous cherchent à valoriser leur mode de vie qui les distingue des SDF, en soulignant par exemple la proximité de la nature, la liberté, le faible coût… Mais l’expérience commune la plus frappante est la dichotomie entre la recherche de sécurité et même d’une certaine respectabilité et la précarité dans laquelle le monde environnant les maintient.

Les associations considèrent en effet que ces personnes, qui se voient et se veulent acteurs de leur destin, ne sont que des victimes, des exclus, à réinsérer dans la société. Des institutions qui tantôt tolèrent, tantôt rejettent ces habitats, ce qui aboutit à leur démolition régulière, sans aucune proposition de relogement derrière.

Conséquence : après avoir tout perdu, les mêmes se réinstallent un peu plus loin et tentent de reconstituer leur espace, leur chez-soi. Ce sont aussi les voisins, qui peuvent porter plainte, harceler au point d’obliger au départ.

« Et pourtant, ils habitent », souligne Gaspard Lion. C’est en effet le constat commun de toutes ces expériences. Ces personnes ne sont pas des sans-abri, des SDF. Elles ont toutes créé un logement, l’ont investi, personnalisé, se sont approprié leur quartier et leur environnement, ont développé des savoir-faire de bricolage, de débrouillardise, d’autoconstruction. Un certain nombre d’entre elles passent d’ailleurs régulièrement de situations « normales » à la précarité.

Refus des droits

C’est précisément cette « précarité » qui est le problème, souligne Gaspard Lion. N’étant pas considérés comme de l’habitat, ces refuges ne donnent accès à aucune reconnaissance, aucun droit. Ainsi, les habitants des caravanes, qui pourtant paient souvent un loyer, n’ont pas droit aux APL.

Les évacuations, brutales, sont présentées comme faites « dans l’intérêt même des habitants, trop “installés” dans la précarité ». Alors que ce sont ces évacuations qui aggravent leur précarité.

L’indignité du logement est invoquée, mais les habitants ne peuvent légalement l’invoquer pour réclamer des droits, puisque c’est précisément cette indignité qui justifie l’expulsion, sans aucune obligation législative de proposer un relogement. Ce qui pourtant avait été le cas lors de la résorption des bidonvilles d’après-guerre.

Enfin, on dénie à ces habitants le droit de savoir quel logement leur conviendrait, en les insérant dans le circuit de l’hébergement d’urgence qui, outre de leur faire perdre leur libre-arbitre, ne débouche généralement sur aucune solution.

Reconnaissance de l’habitat alternatif

Sans « faire l’apologie de telles situations », précise Gaspard Lion, ne faudrait-il pas, demande-t-il « reconnaître des formes alternatives d’habitation », ainsi que le demandent des associations qui rappellent qu’il s’agit de la mise en œuvre d’un droit au logement par ceux qui « sont souvent plus “parlés” qu’écoutés ».

En attendant la mise en œuvre d’une « approche globale, adossant politiques du logement et lutte contre la pauvreté et les inégalités socio-économiques », ces habitats devraient être reconnus comme des « états de fait », afin que les personnes qui y vivent bénéficient de protection contre les « abus de pouvoir » des municipalités, des propriétaires de terrain, et qu’ils ouvrent à des droits comme les APL. En somme, avoir un droit à l’habitat choisi, non dissociable du droit au logement.

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