bus, métro, trams : faut-il instaurer la gratuité des transports en commun?
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Quels sont les effets de la gratuité totale des transports collectifs ? La mission d’information du Sénat dédié à cette question organisait le 7 mai une table ronde sur le sujet, revenant sur les expérimentations actuellement menées en France. Quant à savoir si les automobilistes abandonnent ou non leur voiture lorsque cette mesure existe sur leur territoire, les chercheurs sont plus que jamais partagés.
Si en France, quasiment toutes les villes appliquent une politique de gratuité partielle, que cela soit par public (en faveur des jeunes, ou des personnes au chômage), par ligne (bus de nuit ou bus vers la plage) ou encore lors d’événements particuliers (à Lyon lors de la fête des lumières), la gratuité totale des transports publics demeure en revanche de l’ordre de l’expérimentation.
Une mesure non partisane et des motivations diverses
Lors de la table ronde de la mission d'information sénatoriale sur la gratuité des transports collectifs, Maxime Huré, maître de conférences en science politique à l’université de Perpignan, a en effet rappelé que la gratuité totale ne concerne que 37 réseaux en France (en comptabilisant Calais qui devrait franchir le pas dans les mois à venir). Et, dans le monde, une centaine de villes seulement appliquent cette mesure, dont une quarantaine aux Etats-Unis. « Cette mesure n’est pas partisane. Même si c’est le Parti communiste qui la porte au niveau national, on peut se rendre compte qu’au niveau local ce sont des maires de différentes couleurs politiques qui la mettent en œuvre » note le chercheur.
Celui-ci souligne aussi la diversité des motivations. Pour certains élus, c’est avant tout une mesure « sociale » qui vise à aider les personnes en difficulté à retrouver de la mobilité et par là de l’activité. Pour d’autres, c’est davantage une mesure « économique » qui a pour but de rendre le centre-ville et ses commerces plus attractifs par exemple.
Enfin, il est également possible d’y voir une mesure « écologique » qui inciterait les automobilistes à abandonner leur véhicule. Pour Maxime Huré – qui mène avec un groupe d’universitaires une recherche sur la gratuité totale à Dunkerque – « prudence et de l’humilité » sont de mise sur ce sujet : « les bilans ne peuvent souvent être compris qu’à l’échelle territoriale, au vu des enjeux locaux, et sont difficilement généralisables ».
Relations sociales apaisées et bataille de chiffres !
Pour autant, certaines constantes ont pu être repérées dans les villes qui appliquent la gratuité totale des transports collectifs (Aubagne, Châteauroux ou Dunkerque) et notamment une diminution des tensions liées au contrôle, avec globalement une baisse des incivilités !
« C’est un fait, la gratuité apaise les relations sociales, mais cette mesure a aussi des effets pervers » a néanmoins pointé Frédéric Héran, économiste urbaniste, maître de conférences à l’université de Lille. « Le maire de Dunkerque a en effet déclaré qu’il avait inventé le ‘bistrot moderne dans lequel les jeunes se réunissent !’ », relate le chercheur. Mais pour ce dernier, ces « mésusages » sont préjudiciables : « cela coûte cher à la collectivité et ce n’est pas forcément l’intention première d’un maire que de créer un bistro sur roues ? »
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Plus largement, Frédéric Héran a démonté certains arguments associés à la gratuité totale : « si vous voulez faire un geste en faveur de la mobilité de certaines populations, par exemple les personnes en recherche d’emploi, une prime mobilité serait sans doute plus efficace ; quant au report modal des automobilistes vers les transports collectifs, il est infime, de l’ordre de 1 à 2% ! En fait, ce sont surtout les piétons et les personnes roulant à vélo qui vont se reporter sur les transports collectifs lorsqu’ils deviennent gratuits. En réalité pour réduire le trafic automobile, certaines mesures de contraintes, que nous connaissons déjà, sont là encore beaucoup plus efficaces que l’incitation par la gratuité. »
Reports modaux depuis la voiture… ou depuis le vélo ?
S’appuyant sur une recherche de l’ADEME (l’Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) menée à Châteauroux en 2007, Maxime Huré évoque au contraire « une hausse d’usage du bus [ndlr : grâce à la gratuité] qui découle pour l’essentiel de reports modaux effectués principalement au détriment de la voiture et moindrement de la marche. Au total 3000 déplacements par jour en voiture se sont reportés sur le bus à Châteauroux ! » D’ailleurs, selon le chercheur, les résultats des travaux menés par son équipe à Dunkerque - et qui seront dévoilés en juillet - montrent également un report modal « significatif » des automobilistes vers le bus dans le « contexte d’une ville très motorisée ».
Une bataille de chiffres (et d’interprétation) qui complique la lecture des effets que peut avoir la gratuité des transports publics sur un territoire et qui explique peut-être aussi pourquoi, au vu du coût d’une telle mesure, peu de villes ont franchi le pas jusqu’ici.