Arnaud Gossement
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« Non conforme » sur le plan juridique et «affligeant » pour ce qui est du fond : l’avocat, spécialiste en droit de l’environnement, Arnaud Gossement n’est pas tendre avec la manière dont la transition écologique est traitée dans le « grand débat national », lancé mi-janvier par le gouvernement. Il y voit une « régression terrible du discours politique » sur l’écologie. Et redoute une consultation « sans lendemain ».
Vous mettez en cause la forme même du grand débat national (GDN) initié par le gouvernement...
Arnaud Gossement : La France s’est dotée de règles sur la manière de débattre de sujets environnementaux et de décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement, ce que le GDN fait en partie. Bien conscient de la nécessité de s’y soumettre, le gouvernement a demandé à la Commission nationale du débat public (CNDP), autorité administrative indépendante, d’en préparer l’organisation. Vous connaissez la suite : constatant que le respect des principes fondamentaux du débat public n’était pas garanti, la CNDP s’est retirée. Dans le rapport qu’elle a ensuite rédigé, elle critique, notamment, le recours à des questionnaires, en regrettant que le débat soit encadré, et non ouvert ((« Nous avons émis des réserves sur le recours à un ou des questionnaires comme clé d’entrée dans le débat. Cet outil est systématiquement critiqué. Il l’est d’autant plus dans le cadre de ce débat », Mission d’accompagnement et de conseil pour le Grand débat national, rapport CNDP du 11 janvier 2019)). La manière dont le public y débat d’environnement n’étant pas conforme au droit, un risque juridique pèsera sur d’éventuelles décisions prises à son terme.
Avec quelles conséquences ?
D’un point de vue strictement juridique, le risque est que telle ou telle décision soit, en cas de recours, déclarée illégale, car ce grand débat n’est pas une concertation, au sens où le droit l’entend. Si l’on se place maintenant d’un point de vue politique, il n’est pas satisfaisant d’observer que l’Etat ne respecte, délibérément, pas des règles qui s’imposent à lui.
Vous critiquez aussi la manière dont la transition écologique, un des quatre thèmes évoqués par Emmanuel Macron dans sa lettre aux Français, est abordée…
Je trouve, en effet, le fond affligeant. Depuis le Grenelle de l’Environnement de 2007, il est reconnu qu’il ne faut pas opposer les enjeux environnementaux, que tout est lié. L’écosystème est unique et les réponses à sa dégradation doivent se compléter. Or, le questionnaire consacré à la transition écologique les hiérarchise. Par ailleurs, les questions sont posées en termes de coûts, sur le mode : êtes-vous prêt à payer plus pour protéger la planète ? C’est une régression terrible du discours politique que de mettre en avant le coût de l’action, alors que celui de l’inaction est nettement supérieur. Il ne faut bien sûr pas éluder le financement de la transition écologique. Mais il faut aussi souligner les économies qu’elle permet de réaliser. On oppose, une fois encore, écologie et économie…
Cela dit, le sujet prioritaire des participants aux réunions du grand débat, c’est le pouvoir d’achat, pas la transition écologique...
Que des gens au pouvoir d’achat réduit, qui ont du mal à assurer leurs fins de mois, soient avant tout préoccupés de payer moins d’impôts et moins de taxes, c’est compréhensible. On pourrait cependant instiller dans les échanges des aspects liés à l’écologie. Par exemple, l’alimentation est un sujet qui marche dans ce type de débat public. Tout comme l’agriculture, la santé, la pollution de l’air. L’absence de confiance dans le fait que l’argent prélevé au nom de la transition écologique lui sera effectivement affecté est une autre difficulté. De plus, l’Etat ne cherche pas à contrer l’argument selon lequel écologie serait synonyme de plus de taxes. A cet égard, il doit s’organiser différemment.
C’est-à-dire ?
Le système actuel est ultra-vertical, avec une administration fonctionnant uniquement en silos et, à l’intérieur même du ministère de l’Ecologie, des administrations ne travaillant pas les unes avec les autres. Mettre de la transversalité serait intéressant. Créer un vice-premier ministre chargé du développement durable permettrait d’introduire l’environnement dans l’ensemble des politiques publiques. C’était la première des propositions du pacte écologique de Nicolas Hulot, en 2006. Je n’ai pas compris pourquoi, ministre, il ne l’a pas portée dans les discussions sur la réforme constitutionnelle.
Le Premier ministre, Edouard Philippe, s’inquiète de l’absence des 16-30 ans dans ce débat, déplorant "un angle mort" du grand débat...((« J’ai l’impression que la jeunesse est un angle mort du grand débat national. Or, ce serait une folie qu’elle n’y participe pas », a déploré Edouard Philippe sur les ondes de France Inter le 30 janvier))
Non seulement c’est un angle mort, mais un angle mort incompréhensible. Car l’Etat sait que, pour toucher les jeunes, il faut passer par les réseaux électroniques. Aujourd’hui, le militantisme dans les ONG se déroule plus sous cette forme que dans des assemblées générales. Le gouvernement a, pourtant, privilégié un modèle traditionnel, où l’accent est mis sur la possibilité d’organiser des débats locaux, auxquels les jeunes ne vont pas…
Cette consultation risque-t-elle d'être « sans lendemain » comme vous l'avez écrit ?
Oui, en tout cas, sur les questions liées à l’écologie. Peut-on d’ailleurs employer le terme de « consultation » ? Lorsque la CNDP est en charge d’un débat, que ce soit à propos d’un incinérateur, d’un site d’enfouissement de déchets, etc., le maître d’ouvrage présente son projet lors de séances d’information. On fait venir des experts ; opposants et partisans défendent leurs arguments. Des ateliers sont organisés. Dans le grand débat national, chaque thème est présenté par une fiche de synthèse de seulement quelques paragraphes, lesquels sont tellement vides de sens qu’on ne peut pas appeler ça une information. Or, demander à des gens de débattre d’un sujet sans une information préalable, ça n’a pas de sens.
Le but de ce grand débat n’était sans doute pas de mener un débat dans les règles de l’art, mais d’aller très vite. Tout a été fait dans la précipitation, n’a pas été pensé, réfléchi.