Les taux d'intérêt des produits financiers structurés ont explosé du fait de la conjoncture financière et de la nature spéculative de ce type de produits. Des milliers de collectivités territoriales doivent d'urgence trouver la parade. Ecartant la piste d'une structure de défaisance, la commission d'enquête de l'Assemblée nationale propose une action de négociation mutualisée avec les banques et un partage des conséquences financières avec les collectivités.
"Bombe à retardement", "drogue douce"... A l'heure de présenter, le 15 décembre 2011, le rapport de la commission d'enquête sur les emprunts toxiques souscrits par quelque 4.000 collectivités, le député Claude Bartolone n'avait pas de mots assez durs pour qualifier la dangerosité de ces produits à court comme à moyen terme.
Le premier mérite de la commission d'enquête a été d'objectiver le débat avec des chiffres précis, ce que n'avaient réussi ni le gouvernement, ni la Cour des comptes.
Les députés ont dénombré 8.970 emprunts structurés souscrits par les exécutifs locaux, soit presque 23,3 milliards d'euros, dont 58,5% jugés à risque.
Sans compter que seuls "50% des emprunts toxiques sont sortis de leur période bonifiée: la difficulté est devant nous", prévient le président du conseil général de Seine-Saint-Denis.
Des collectivités "naïves"
Ce dernier met en cause l'attitude des banques, notamment Dexia, engagée "dans une démarche commerciale industrielle, y compris auprès des collectivités de moins de 10.000 habitants".
Plus nuancé, le rapporteur Jean-Pierre Gorges fait le constat d'une responsabilité partagée: "Des collectivités naïves, des banques dans une démarche agressive, un Etat un peu trop passif."
Une formule qui a le mérite de la concision pour mieux parer au plus urgent: comment régler le "stock" des emprunts toxiques en cours ?
Toujours réclamée par quelques élus, l'idée d'une structure de défaisance est écartée par les députés comme par la Cour des comptes, car "le coût de la capitalisation d'une structure de gestion de passifs serait prohibitif"et risquerait de "déresponsabiliser les emprunteurs", justifie Jean-Pierre Gorges, soucieux "d'éviter toute incitation à prendre des risques".
Une liste noire des produits toxiques
En revanche, la commission propose "la création d'un groupement pour négocier avec les banques, non collectivité par collectivité mais par produits", et répartir entre les deux acteurs le surcoût occasionné par la partie toxique des intérêts.
Chaque collectivité concernée pourrait rejoindre cette structure sur la base du volontariat pour bénéficier ainsi d'une action professionnalisée autour de spécialistes de la gestion de dette. Cela permettrait notamment de limiter la multiplication des actions en justice contre les banques dont les conclusions comme la durée restent incertaines.
Une solution ambitieuse dont la réussite dépendra de l'appui du gouvernement et d'un fastidieux travail de recensement des produits toxiques, "une sorte de liste noire à classer par hiérarchie", décrypte Jean-Pierre Gorges, pour identifier les situations les plus urgentes. Le tout, sans oublier d'instaurer, pour l'avenir, un cadre législatif encadrant les modalités d'emprunt des acteurs locaux.
ENTRETIEN
Charles-Eric Lemaignen,
président de la communauté d'agglomération Orléans Val-de-Loire et de la commission finances et fiscalité de l'Assemblée des communautés de France (AdCF) : "L'Etat n'a pas pour rôle d'assumer les erreurs des collectivités locales"
Le Courrierdesmaires.fr : Comment certaines collectivités ont-elles pu souscrire autant d'emprunts structurés à risques?
Dès les années 1990, les produits financiers proposés aux collectivités par les banques se sont diversifiés, en se rapprochant des emprunts proposés aux entreprises privées. La concurrence devenant alors très forte avec de nouveaux acteurs sur le marché, les établissements bancaires ont avancé des produits structurés individualisés pour faire progresser leurs encours et éviter le départ de leurs collectivités clientes vers la concurrence. Les banques se sont alors rendu compte qu'elles pouvaient réaliser des marges beaucoup plus importantes et ont incité leurs clients à structurer leurs encours
D'où cette multiplication des emprunts toxiques ?
Mais les prêts structurés ne sont pas toujours des emprunts toxiques ! Lorsque j'entends qu'il faut que l'Etat assume le scandale des banques, de qui se moque-t-on ? Quand on propose à un ménage un prêt à deux ou trois points en dessous du taux du marché tout en lui disant que la formule est ensuite indexée, je doute que cela ne l'alarme pas un minimum, comme pour les maires! Même s'il y a eu des pressions, les présidents des grandes collectivités touchées sont des irresponsables.
Quant aux petites collectivités, un autre phénomène est en cause: celui des banquiers qui connaissaient certes bien leurs produits mais très mal leurs clients. Les banques ont une part de responsabilité, mais partagée.
La charte Gissler est-elle un outil suffisant pour ne pas renouveler les mêmes erreurs ?
Elle est un outil essentiel car la loi ne peut pas tout régler. Je ne suis pas très favorable à l'interdiction pure et simple de ces produits, d'autant que l'ingénierie financière peut faire des progrès. Les chambres régionales des comptes ont aussi un rôle à jouer: si l'élu doit rester libre dans son action, il doit accepter d'être contrôlé a posteriori, et de manière plus fréquente qu'aujourd'hui. A l'inverse, je ne crois pas que les services de l'Etat soient à même de vérifier les montages financiers car ils n'en ont plus les moyens et il ne sert à rien de doublonner la fonction de contrôle.
Comment éviter que les élus ne souscrivent à nouveau des produits dangereux ?
Avant tout, il faut définir un projet de territoire, les priorités stratégiques dans les politiques sectorielles et les réaliser avec des moyens professionnels, en étant plus efficace dans la gestion des services. Puis développer le contrôle interne dans les collectivités avec notamment du contrôle de gestion.
La future banque publique et l'agence de financement des collectivités permettront-elles de sécuriser le marché ?
Autant la création d'une banque publique permettra de réguler le marché et de le moraliser, autant la création d'une agence pose quelques questions: les prêts sur le marché se font à remboursement in fine, à dix ans maximum et sont versés en une seule fois, alors que les collectivités ont besoin d'emprunts versés juste à temps, sur des durées plus longues, de 15 à 20 ans, et avec des remboursements par annuité. L'agence devra par ailleurs s'adosser à une structure publique ou à des professionnels, car gérer une banque, c'est un métier!
PROJECTEUR
Maurice Vincent, sénateur-maire PS de Saint-Etienne (42) : "Un jugement de bon augure pour Saint-Etienne"
Saint-Etienne a remporté une bataille. Encore empêtrée dans une dette constituée à 34% (120 millions d'euros) d'emprunts toxiques, la ville vient d'être confortée par le tribunal de grande instance de Paris dans sa décision de ne pas rembourser deux swaps que lui avaient vendus la Royal Bank of Scotland entre 2006 et 2007. La banque avait assigné la cité stéphanoise en demandant que le contentieux n'interrompe pas le versement des intérêts annuels, "y compris pendant la durée du jugement".
"Ce référé, ils l'ont perdu et le juge leur a donné tort", se réjouit le maire, Maurice Vincent. Le TGI a considéré les swaps comme "des produits spéculatifs à haut risque dont la légalité est aujourd'hui sérieusement contestée".
Ce jugement, s'il n'a rien de définitif, "reste de bon augure pour la suite", souligne l'élu. L'occasion pour le sénateur de déplorer à nouveau "l'absence surprenante des autorités de régulation, comme la commission bancaire, qui a laissé distribuer ces produits, et l'attitude condamnable des banques".
Favorable à une réglementation allant "plus loin que la charte Gissler pour interdire ces produits"et à "une autorité de contrôle prudentiel renforcée qui alerterait les préfets", Maurice Vincent réclame toujours la création d'une structure de défaisance où l'Etat et les banques incriminées, "à travers une taxation spécifique", assumeraient les pertes liées au surcoût des emprunts structurés.
Les collectivités territoriales, acteurs publics les plus touchés
Avec près de 14,5% de leur endettement composé d'emprunts structurés, les collectivités ont souscrit dans leur ensemble davantage de prêts de ce type que la moyenne des acteurs publics locaux (11,6%).
Ce sont toutefois les organismes de logement social qui détiennent la plus forte proportion d'encours les plus à risques (66,2% de leur dette structurée), contre 58,5% pour les collectivités et 55,3% pour les hôpitaux et établissements de santé.
Au sein des collectivités, les petites communes de moins de 10 000 habitants détiendraient à elles seules 3,05 milliards d'euros d'encours structurés sur les 23,3 milliards de l'ensemble des collectivités, confirmant ainsi qu'elles ont fait l'objet d'un démarchage intensif, ce qu'a toujours nié Dexia.
Aurélien Hélias, "Le Courrier des maires et des élus locaux", n° 0253, 5 janvier 2012