Gérard Magnin, délégué général d'Energy Cities : "Décentraliser la production et la gestion des énergies"

Alors que s'ouvre, en France, le débat sur la "transition énergétique", l'Allemagne revoit à la hausse ses objectifs de développement des énergies renouvelables. Gérard Magnin, délégué général de l'association européenne Energy Cities, explique ce qui freine la transition énergétique française. Selon lui, la solution réside d'abord dans une décentralisation de la gestion et de la production des énergies.

 
"Faire le choix d'une décentralisation de l’énergie, c'est relier la politique énergétique à une politique industrielle qui privilégie une économie locale et de TPE"

Le Courrierdesmaires.fr : Quelles sont les obligations européennes en matière énergétique ?

Gérard Magnin. Elles s’inscrivent dans le cadre du paquet Energie-Climat (dit "les 3 x 20") adopté par l’Union européenne en 2008. Sur le plan juridique, trois directives en particulier doivent être prises en considération, sans perdre de vue qu’une directive ne fixe que des objectifs minimaux.

• La directive sur les énergies renouvelables adoptée en 2009, avec l'objectif, pour la France, d'atteindre 23 % d’énergies renouvelables dans le bilan énergétique d'ici à 2020. On est loin du but.

Celle relative à la performance énergétique des bâtiments, dont la dernière mouture remonte à mai 2010.

• La directive du 25 octobre 2012, relative à l'efficacité énergétique, qui vise réaliser l’objectif d'accroître celle-ci de 20 % d'ici à 2020, puis de préparer la suite.

La France passe pour un mauvais élève...

 — G.M. Globalement, l'attitude des Etats membres est celle des élèves qui cherchent à en faire le moins possible. C'est pour cela qu'il faut relativiser le "retard" de la France.

Cela dit, lorsque l'on passe la frontière pour se rendre en Allemagne, on change de décor! A Munich, l'immense foire-expo et ses toits à perte de vue couverts intégralement de panneaux photovoltaïques, en sont un exemple. L'Allemagne appelle sa transition le "tournant énergétique" (Energiewende). Mais, avant même ce tournant, elle a atteint ses objectifs de développement des énergies renouvelables et elle vient de se fixer des ambitions plus élevées. De son côté, la France  entame , et c’est heureux, son débat sur la transition énergétique. Il est urgent d’avoir un cap.

Comment expliquer la situation française?

— G.M. Traditionnellement, la politique énergétique française est très centralisée. Dans l'éolien et dans le photovoltaïque, les règles font que les grandes entreprises sont les seules à pouvoir investir dans de nouvelles installations. La cogénération n’est même pas évoquée.

La ligne de partage est là, entre un système centralisé, où les gros opérateurs sont en première ligne et touchent la plus-value, et un système décentralisé où ce sont davantage des particuliers, des collectivités ou des petites entreprises qui interviennent sur les économies d’énergie et la production locale. C’est alors l'économie locale qui en profite. On a besoin des deux, mais la seconde voie est encore trop anecdotique.

C'est donc aussi un choix économique ?

— G.M. Bien sûr ! Au fond, faire le choix d'une décentralisation de l’énergie, c'est relier la politique énergétique à une politique industrielle qui privilégie une économie locale et de TPE.

Dans le secteur photovoltaïque, par exemple, l'Allemagne, premier pays à mettre en place un tarif d'achat de l'énergie, a interdit ce dispositif aux grands opérateurs. Car, l'objectif était aussi de consolider des PME fortes et de taille à exporter.

En France, dans le domaine des énergies renouvelables, les PME capables d’exporter se comptent sur les doigts de la main. Ne met-on pas trop nos œufs dans le panier de nos grandes compagnies dans une transition énergétique à laquelle elles n’adhèrent pas forcément avec enthousiasme?

Est-ce l'enjeu du débat sur la transition énergétique, qui vient de s'ouvrir?

— G.M. C'est le cœur du débat. Dans quelle mesure allons-nous permettre une décentralisation de la politique énergétique ? Et serons-nous capables de concevoir cette décentralisation comme un facteur de vivification du territoire ?

Actuellement, environ 1 000 euros par habitant sont dépensés chaque année dans l'énergie, sans compter les carburants. La quasi-totalité de cet argent échappe aux territoires.

Avec les plans climat-énergie territoriaux, on mesure à nouveau la consommation énergétique d'un territoire, ses émissions en CO2, etc. Il faudrait désormais apprendre à mesurer ces éléments en euros, avec une traçabilité  où va cet argent ?  et créer les conditions pour que les territoires captent une part plus importante de la plus-value de l'énergie.

Les collectivités admettent que c'est un atout pour l'économie locale, mais certaines restent persuadées qu'une prise de responsabilité des collectivités amènerait un transfert de charges. Alors qu'au contraire dans ce domaine, il se traduit aussi par un transfert de ressources.

Et d'un point de vue purement énergétique, en quoi une décentralisation apporterait-elle des progrès?

— G.M. Si les collectivités devenaient des autorités organisatrices de l'énergie comme elles le sont pour le transport, par exemple, la production s'organiserait depuis le bas, en encourageant la production locale.

D'un point de vue énergétique, cela permettrait par exemple de développer la cogénération (ndlr : principe de production simultanée chaleur et d’électricité). Quand on produit de l’électricité, on produit en réalité deux tiers de chaleur et un tiers d'électricité. Lorsque la production est locale, la chaleur est injectable dans les réseaux de chaleur, ce qui apporte un bon rendement énergétique. Mais si elle est produite centralement, par le thermique ou le nucléaire, la chaleur s'échappe dans les rivières via les tours de refroidissement.

De fait, si l'on part des besoins locaux, on aboutit à une certaine logique. Et on va dans le sens d'une réduction de la consommation d'énergie, dont d’électricité, ce qui est l'un des enjeux principaux de la transition énergétique. Si l'on part d'en haut, de l'offre vers la clientèle, la logique est radicalement différente.

Propos recueillis par Marion Esquerré
Photo : © D. Cesbron/Energy Cities

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