Gerard Larcher, président du Sénat, dans son bureau au Palais du Luxembourg
© Valério Vincenzo
Participant de « l'appel de Marseille » fin septembre, qui a marqué la fronde des trois grandes associations d'élus locaux contre l'Etat, le président (LR) du Sénat appelle l'exécutif à reprendre le dialogue sous une nouvelle forme à la veille du Congrès des maires. Gérard Larcher fixe ses lignes rouges sur plusieurs dossiers : réforme de la fiscalité locale, redécoupage des circonscriptions électorales, limitation du cumul dans le temps. Et se projette sur les élections municipales 2020 pour lesquelles une possible crise de vocations doit inciter l'exécutif à améliorer selon lui le statut de l'élu. Entretien.
Courrier des maires : Le format de la Conférence nationale des territoires a-t-il vécu ?
Gérard Larcher : La Conférence nationale des territoires telle que mise en œuvre pendant un an a été un échec : elle devait permettre de réinstaurer un dialogue confiant entre l’Etat et les collectivités, elle a conduit l’Association des maires de France (AMF), l’Assemblée des départements de France (ADF) et Régions de France à quitter la table. Tel qu’il a été pratiqué, le « dialogue » promis s’est transformé en « leçon gouvernementale ». Si le gouvernement veut faire revivre la CNT, elle doit fonctionner autrement et devenir une vraie instance de négociation, co-construite avec les associations d’élus.
Lire par ailleurs : Quel visage demain pour la Conférence nationale des territoires ?
Y a-t-il un risque de scission entre les associations d’élus de l’Appel de Marseille et celles préférant un partenariat avec l’exécutif ?
Le gouvernement doit impérativement revoir sa méthode et ne pas jouer les collectivités les unes contre les autres. Diviser ne conduirait pas à régner mais à s’enfermer. Il doit travailler en toute cohérence et clarté avec les trois niveaux de collectivité : communes/EPCI, départements et régions. Négliger l’AMF serait une erreur alors que l’exécutif affiche le souhait de renouer le dialogue.
Entre le projet de différenciation territoriale et la future Agence de cohésion des territoires, peut-on parler de recentralisation ?
Loin des beaux des discours, ce qui m’intéresse, ce sont les actes. Or ceux-ci n’ont pas été dans le sens d’une décentralisation réaffirmée. La contractualisation financière Etat-collectivités s’est faite verticalement et sous contrainte. Les communes rurales n’ont pas été entendues sur le dossier des compétences eau et assainissement. L’attention portée aux métropoles ne doit pas masquer l’enjeu essentiel : l’équilibre des territoires. Le Sénat est favorable à la « différenciation territoriale », que nous prônions pour les Outremer, dès lors qu’il s’agit, dans le respect de l’unité de la République, de mieux prendre en compte les réalités locales, les aspirations des élus, les innovations sur le terrain portées par les élus locaux. Mais la différenciation territoriale ne vaut que dans le cadre d’une République décentralisée moderne, dans laquelle la libre administration et l’autonomie financière des collectivités sont réaffirmées et pleinement intégrés par l’Etat. Le Sénat les réaffirmera !
La réforme de la fiscalité locale peut-elle concilier justice fiscale et préservation du lien entre territoire et contribuable ?
Les effets de la suppression de la taxe d’habitation n’avaient pas été correctement évalués par le gouvernement. Cela l’a conduit sur une voie incertaine, qui fragilise le lien entre collectivités et citoyen-contribuable, alors même qu’elles leur fournissent des services essentiels. Les scénarios gouvernementaux fragilisent les départements qui pourraient se voir retirer le foncier bâti. Dans notre système politique qui n’est pas celui d’un État fédéral, il ne peut y avoir de pouvoir politique autonome sans une part de pouvoir fiscal. Le pouvoir politique ne s’exerce pas dans la simple gestion de moyens financiers accordés ou concédés par d’autres ! J’ai donc demandé au président de la République qu’on écrive ensemble le scénario final, associations d’élus, Parlement et gouvernement. C’était l’approche du président lors du congrès des maires 2017 ; j’attends désormais les actes.
Craignez-vous le redécoupage électoral que suggère la baisse du nombre de parlementaires prévue par la révision constitutionnelle ?
J’y serai évidement attentif et il me revient de nommer une personnalité pour siéger au sein de la commission indépendante qui, en application de l’article 25 de la Constitution, est chargée de se prononcer par un avis public sur les projets de texte et propositions de loi délimitant les circonscriptions pour l’élection des députés ou modifiant la répartition des sièges de députés ou de sénateurs.
Un député et un sénateur minimum par département ; est-ce votre ligne rouge pour aller plus loin dans l’examen de cette réforme des institutions ?
Nous avons posé trois conditions concernant la révision constitutionnelle : aucune atteinte aux droits du Parlement et au bicamérisme, ce qui n’est pas refuser de moderniser son fonctionnement ; une juste représentation de tous les territoires tout en conduisant une réduction raisonnée du nombre de parlementaires ; et un examen en bloc des textes : constitutionnel, organique et ordinaire qui forment un triptyque. Nous ne sommes donc pas opposés à la réduction du nombre de parlementaires, même si elle n’est pas en tant que telle la condition préalable d’un meilleur fonctionnement démocratique. En revanche, il est essentiel de conserver l’ancrage territorial des députés et des sénateurs et d’assurer une juste représentation des territoires.
Chaque département, collectivité territoriale à statut particulier ou collectivité d’outre-mer doit pouvoir être représentée au Parlement par au moins un député et un sénateur, la démographie ne devant pas être un critère absolu. Affirmer cela, ce n’est pas défendre une vision du passé, c’est au contraire défendre une vision d’avenir de la République que nous avons en partage. Sans quoi certains de nos compatriotes qui se sentent aujourd’hui laissés pour compte se détourneront de la République ! Attention au fétichisme des chiffres. Regardons les effets concrets de la réduction du nombre de parlementaires sur la place qu’auront demain les territoires dans notre édifice institutionnel. C’est cette vigilance que fait valoir le Sénat.
Vous opposez-vous toujours à la limitation du cumul dans le temps à trois mandats ?
Je fais confiance au discernement des électeurs. Pour le groupe de travail transpolitique du Sénat, la liberté de choix des électeurs et d’accès aux mandats électoraux sont des droits civiques essentiels, sans compter les difficultés pratiques que soulevait l’extension de la limitation du cumul dans le temps aux mandats locaux, notamment dans les plus petites collectivités. Le texte du gouvernement a pris en compte ces remarques : la limitation ne concernerait que des mandats identiques, complets et successifs et ne s’appliquerait pas aux maires de communes de moins de 9 000 habitants.
Comment analyser la hausse du nombre de démissions des élus municipaux ?
L’annonce cet été d’une accélération du nombre de démissions de maires, mais aussi de nombreux conseillers municipaux, interpelle tous ceux attachés à l’expression locale de la vie républicaine. On ne peut traiter cette situation avec condescendance ou légèreté : c’est un enjeu pour la vitalité de notre démocratie locale, et la cohésion républicaine. Je ressens ce malaise des élus locaux lors de mes déplacements sur le terrain. Le sentiment de dépossession de certains élus est fort, surtout lorsque leurs actions très concrètes se trouvent entravées. Nous avons un besoin de proximité, de subsidiarité au service de nos concitoyens.
Réviser à la hausse les indemnités des maires des plus petites communes est-ce prioritaire dans la réforme du statut de l’élu local ?
C’est l’une des 43 mesures proposées par le Sénat pour améliorer les conditions d’exercice des mandats, et ce serait une forme de reconnaissance justifiée à l’égard de ce qu’est devenue la fonction de maire. Mais il y a bien d’autres propositions, sur le régime social, la formation et la reconversion, la déontologie et la responsabilité pénale, sujet qui préoccupe de nombreux élus.
Partagez-vous l’inquiétude d’une possible crise des vocations à l'occasion des élections municipales de 2020 ?
Nous y sommes attentifs et pensons que la meilleure manière d’affronter ce défi, c’est de redonner des perspectives et du sens à l’engagement local. C’est ce à quoi nous nous employons au Sénat, car la commune est la cellule de base de notre démocratie locale ! Regardez ces derniers jours dans l’Aude : quand tout devient dramatique, c’est vers le maire et les élus municipaux que les citoyens se tournent.