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Pour François-Michel Lambert, député des Bouches-du-Rhône, l’économie circulaire permet de sortir du modèle linéaire “extraire-produire-consommer-jeter”, qui prévaut depuis la révolution industrielle et mène dans une impasse.
Courrierdesmaires.fr. Vous êtes le président de l’Institut de l’économie circulaire, une association nationale multi-acteurs lancée en février 2013. Qu’est-ce exactement que l’économie circulaire ?
François-Michel Lambert. « C’est la convergence de réflexions engagées depuis maintenant plus de 40 ans sur la raréfaction des ressources. L’économie circulaire est un autre modèle économique qui vise à optimiser les flux, d’énergie, de matières, en s’appuyant sur 7 axes : dans l’ordre, l’écoconception, l’écologie industrielle, l’économie de la fonctionnalité, le réemploi, la réparation, la réutilisation et le recyclage.
[caption id="attachment_26655" align="alignleft" width="340"] François-Michel Lambert, député des Bouches-du-Rhône, vice-président de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, préside l’Institut de l’économie circulaire.[/caption]
Il s’agit par exemple de rallonger la durée de vie des produits, en bannissant les toxiques et l’obsolescence programmée. Le modèle prône aussi une révolution des modes de commercialisation et de consommation : l’usage plutôt que la possession du bien, etc. L’objectif est de parvenir à découpler la croissance économique de l'épuisement des ressources naturelles par la création de produits, services, modèles d’affaire et politiques publiques innovants. La vocation de l’Institut de l’économie circulaire est d’aider à identifier les freins et à mettre en place les leviers nécessaires à la généralisation de ce modèle.
Est-ce une vision réaliste de l’avenir ?
F.-M. L. Tout à fait. Aux Pays-Bas, les positions prises par le gouvernement ont favorisé des initiatives extraordinaires et permis à ce pays de prendre une avance certaine. La manière dont ils sont parvenus à mettre en pratique circuits de proximité, collaborations entre les acteurs, développement à partir de leurs propres ressources, est remarquable.
En matière d’écoconception appliquée à la construction de bâtiments par exemple, tout est pensé en fonction de l’évolution future des constructions, jusqu’à leur déconstruction afin de récupérer les matériaux en fin de vie. En matière d’économie de la fonctionnalité, des entreprises développent l’usage de moquettes, de chaises, de lumière et non plus la vente de ces produits.
Soutien aux politiques de partage, de transmission, d’allongement de la durée de vie de produits , de valorisation matière de déchets… Les maires font déjà de l’économie circulaire sans le savoir”
Le port de Rotterdam, premier port européen, a inscrit dans son plan stratégique l’économie circulaire et plus particulièrement le développement d’activités économiques sur le concept d’écologie industrielle. La totalité des flux générés par le port et les entreprises intégrées au port sont des sources de production de matière générant de nouvelles activités, en boucles industrielles, pourvoyeuses d’emplois locaux et non délocalisables.
Les Pays-Bas nous démontrent que l’utopie est réalité. Nous pouvons développer une économie fondée sur la circularité de la matière, créatrice d’emplois, améliorant l’environnement. A nous de définir le modèle adapté à la très grande diversité de nos territoires.
Comment envisagez-vous le rôle des maires dans le déploiement d’un tel modèle ?
F.-M. L. L’échelon communal est fondamental, du fait de sa capacité à agir sur ses propres services internes, sur les services rendus aux habitants, mais aussi de sa parfaite connaissance des acteurs de terrain, de leurs besoins, de sa faculté de mise en contact et d’entraînement.
En fait, les maires font déjà de l’économie circulaire sans le savoir : soutien aux politiques de partage (covoiturage, Vélib’), de transmission (ressourceries), d’allongement de la durée de vie de produits (réparation de vélo), de valorisation matière de déchets (compost)… Ils peuvent systématiser ces démarches dans une vision d’économie industrielle et d’échange de flux.
Le concept de l’économie circulaire se décline aussi en matière de foncier”
Je peux citer une multitude d’exemples d’articulations à mettre en œuvre. Ainsi, à Aubagne, à quelques kilomètres de distance, une entreprise achetait des palettes et une autre en jetait : les mettre en contact a évité des transports et soulagé la collectivité. On peut imaginer la même chose sur la valorisation de la chaleur, que certains produisent en excès (artisans, restaurants, etc.) alors qu’au même endroit d’autres en manquent.
L’économie circulaire peut-elle aussi s’appliquer dans des domaines traditionnels ?
F.-M. L. Oui. Au lieu de construire des bâtiments uniformisés, on peut encourager des démarches s’appuyant sur les matériaux locaux et exploitant les ressources du territoire. Le concept de l’économie circulaire se décline aussi en matière de foncier, car il devient lui aussi une ressource rare et devant être économisée.
Là encore, on peut imaginer de nombreuses approches innovantes, en réfléchissant à une intensification de l’utilisation de l’espace. On peut envisager des adaptations toutes simples : remplacer le gazon naturel du stade de foot par un gazon synthétique autorise d’autres activités, multiplie par dix le temps d’utilisation de ce lieu et évite de construire un stade de rugby ou une salle de handball qui consommeront de l’espace. Plus original, on peut chercher à trouver d’autres usages aux grands parkings vides la moitié du temps. Il suffit de débrider sa pensée et on ouvre le champ d’un cercle vertueux local.
La table ronde sur l’économie circulaire lors de la Conférence environnementale de septembre 2013 a regroupé trois ministres et un aréopage de personnalités et d’experts, mais il n’y a pas eu le signal fort que vous attendiez…
F.-M. L. La Conférence environnementale est tombée dans une chausse-trappe trop fréquente : elle s’est limitée à aborder le sujet par les déchets. En ne s’intéressant qu’à l’ultime bout du cycle, on passe à côté des enjeux prioritaires (écoconception, économie industrielle, économie de la fonctionnalité) et cela ne nous permettra pas de sortir de l’ornière dans laquelle nous nous enlisons.
Sur le coup, le constat de cette occasion manquée a généré une grande déception. On n’a pas encore, au sommet de l’Etat, commencé à penser “ressources” au lieu de “déchets”. En revanche, la très grande majorité des participants à la Conférence s’inscrivaient dans une approche très constructive. J’espère que la conférence de mise en œuvre, qui devrait être un moment plus apaisé, changera la donne. Il est indispensable que l’Etat donne un cap et envoie des signaux aux acteurs. Comme les Pays-Bas, mais aussi l’Allemagne, le Japon et même la Chine, l’ont déjà fait.