François Baroin, président de l'AMF : « Les maires refusent de supporter l’impopularité fiscale à la place de l’Etat »

Aurélien Hélias
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Mazert jean-louis - 28/11/2015 14h:13

Crèches de Noel non permises dans les mairies ? Soit mais il faut aussi que les mairies n'accueillent pas les repas de fin de jeûne du ramadan, n'est ce pas ? cf Mme Hidalgo entre autres

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François Baroin, président de l'AMF : « Les maires refusent de supporter l’impopularité fiscale à la place de l’Etat »

François Baroin, président de l'AMF, maire de Troyes

© S. Gautier

Le 97e Congrès des maires clos, le nouveau président de l'AMF nous livre son programme de travail pour 2015. Dotations, seuil d'habitants pour les EPCI, réforme des rythmes scolaires, avenir de la réforme territoriale... François Baroin aborde les nombreux défis qui attendent les maires. Il évoque aussi la manière dont il compte négocier chaque dossier avec le gouvernement.

Courrierdesmaires.fr. Quelle est votre préoccupation principale à l’heure d’entamer votre premier mandat de président de l’Association des maires de France ?

François Baroin. Les moyens financiers confiés aux maires, qu’il s’agisse des nouveaux élus ou de ceux en poste depuis plus longtemps, pour réussir leur mandat : telle est la préoccupation numéro 1 de l’AMF. Le volume, l’ampleur et le calendrier de la baisse des dotations constituent une marche inatteignable. Tout cela aura des conséquences sur les services publics, la commande publique, l’investissement et l’emploi.

L’impact pourrait être de plusieurs natures :

  • une augmentation de la fiscalité locale ;
  • une hausse de l’endettement, avec le risque pour plusieurs collectivités de passer dans le rouge ;
  • moins de services publics ;
  • ou encore une baisse drastique des investissements. L' option la plus probable, car la plus facile à décider au sein de budgets dont les maires ont d’ailleurs reporté l’adoption au début 2015.

Au Congrès des maires, le Premier ministre a entrouvert la porte sur la méthode, ce qui est positif car il n’est plus acceptable, pour les élus, de découvrir à quelle sauce ils vont être mangés dans la loi de finances juste à la sortie de l’été...

Dès cette semaine, je prépare avec le bureau de l’AMF la conférence du début de l’année prochaine où le Premier ministre devra répondre à nos préconisations. Car rien n’est réglé sur le fond. Tout va commencer en janvier.

Quelle est, à ce jour, l’option que vous avez choisie pour la ville dont vous êtes maire, Troyes ?

F. B. Maire de Troyes depuis vingt ans, je n’ai pas augmenté les impôts depuis dix-sept ans. Pour la première fois, j’ai décalé l’adoption du budget  à mars. Ce qui veut dire moins de commandes publiques sur l’année, car il y aura très peu d’investissements engagés avant septembre.

A l’échelle du mandat, je proposerai une réduction de 10 % des frais de fonctionnement et la poursuite de la règle du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux. Je ne veux pas que la dette d’aujourd’hui soit l’impôt local de demain. D’où cette politique de maîtrise, qui aura toutefois inévitablement des répercussions sur l’investissement : toute nouvelle proposition d’envergure sera bloquée car je ne veux pas exposer la collectivité à des risques financiers.

L’étude AMF-Banque postale indique que l’investissement local va diminuer de 20 à 30 % sur les trois prochaines années. Moins 10 % d’investissement, c’est 0,2 point de croissance perdu ; 30% d’investissements en moins peuvent effacer notre faible croissance.

Toute nouvelle proposition d’envergure sera bloquée, car je ne veux pas exposer la collectivité dont je suis maire à des risques financiers."

Comment mènerez-vous les négociations avec l’exécutif sur ce volet financier, comme sur les autres dossiers ?

F. B. Le bien-fondé de nos réflexions nous amène à dire que nous ne lâcherons rien, au sein d’un dialogue loyal mais d’une grande fermeté. Ni les maires ni les présidents de communauté ne contestent la nécessité de diminuer les déficits publics. Mais la part des collectivités dans la dette publique n’est que de 9,5 % et on va leur demander de contribuer à hauteur de 25 % !

Le bloc communal va devoir assumer plus de 60 % de cette mise à contribution. Je défendrai avec force les communes en expliquant à l’opinion publique que, si l’Etat ne propose pas autre chose que la diminution des transferts financiers, qui ne sont pas des cadeaux, il y aura des conséquences. Il n’est pas question que les maires supportent à la place de l’Etat l’impopularité fiscale.

La part des collectivités territoriales dans la dette publique n’est que de 9,5 % et l'on va leur demander de contribuer à hauteur de 25 % !"

Quelles seront les modalités d’action de l’Association des maires de France durant votre mandat ?

F. B. Il y a déjà eu un premier type d’action : la pétition. Les maires ont plutôt l’habitude d’en recevoir. Lorsque celles-ci sont nombreuses, ils essaient de comprendre et de modifier leur projet.

Plus de 13 500 motions de soutien ont déjà été votées par les conseils municipaux ou conseils communautaires. C’est un événement considérable, autant par la démarche choisie que par l’importance du nombre de signatures et la remise au Premier ministre lui-même.

La Conférence d’urgence de janvier sera aussi importante pour l’Etat que pour les collectivités territoriales, et nous déciderons alors, au sein du bureau, des modalités d’action ultérieures, selon les résultats de nos démarches.

Regrettez-vous que le Sénat, où vous avez été élu en septembre, ait reporté la mise en place du  Haut Conseil des territoires ?

F.B. Nous demandons une méthode de travail adaptée au rôle d’agent économique et social joué par les maires, surtout dans un contexte de crise économique, pour booster l’investissement et l’emploi. Ce qui est important, c’est l’institutionnalisation du dialogue. L’appellation compte peu, pourvu que l’on permette aux collectivités de s’administrer librement et qu’on leur fasse confiance

Allez-vous travailler avec les autres associations d’élus locaux ?

F.B. Bien sûr. Je suis déjà allé à leur rencontre avant le Congrès des maires. Nous sommes tombés d’accord sur la nécessité de nous voir plus souvent, même si nous pouvons avoir une approche différenciée sur la problématique des relations Etat-collectivités locales. Je souhaite une conférence Etat-maires de France. Je prendrai donc l’initiative, comme président de l’AMF, d’une rencontre avec les autres représentants des élus locaux, afin de faire la liste de ce qui nous rassemble et d'élaborer une position collective.

Je prendrai l’initiative, comme président de l’AMF, d’une rencontre avec les autres représentants des élus locaux, afin [...] d'élaborer une position collective."

Quelles solutions concrètes proposerez-vous pour compenser la chute des dotations?

F. B. Tout dépendra de la réponse de l’Etat. Ce qui est en cause, c’est le caractère démultiplicateur et cumulé dans le temps de la baisse des dotations. Nous ne pouvons pas jouer sur les dépenses de fonctionnement, dont plus de la moitié est composée de charges de personnel. Or, une bonne partie de l’évolution de la carrière des agents est fixée par l’Etat. Les marges d’économies sont difficiles à trouver car nous n’avons aucune souplesse dans ce cadre très réglementé.

Nous reprenons à notre compte ce qu’a voté le Sénat : les charges de fonctionnement nouvelles imposées par l’Etat doivent être financées par l’Etat, raison pour laquelle les sénateurs ont minoré de 1,2 milliard d'euros la baisse des dotations, soit l’addition du coût de la réforme des rythmes scolaires et des normes nouvelles votées en 2013.

J’ai salué l’annonce du Premier ministre au Congrès sur le financement de la réforme des rythmes scolaires, qui montre qu’une évolution est possible : nous sommes passés d’un fonds sur un an, puis sur deux ans, pour obtenir finalement sa pérennisation. Il faudra maintenant être vigilant pour obtenir des garanties sur la dotation du milliard nécessaire à ce fonds. Enfin, nous n’accepterons plus de financer toutes ces normes qui ne sont que rarement nécessaires.

Les charges de fonctionnement nouvelles imposées par l’Etat doivent être financées par l’Etat [...]"

Partagez-vous la volonté du Sénat d’instaurer trois jours de carence dans les fonctions publiques pour compenser, dans le budget 2015, cette minoration de la chute des dotations ?

F. B. Ce n’est pas à l’AMF d’avoir un débat sur le statut des agents. Ce débat doit être plus large. Reste que le non-alignement sur les trois jours de carence dans le secteur privé a un impact direct et important, et qu'un alignement serait une source d’économies faciles. Il serait de bonne intelligence de revisiter cette question en concertation avec tous les acteurs

Dans quelle mesure êtes-vous opposé au seuil de 20 000 habitants ? Le pouvoir de dérogation promis par l’exécutif aux préfets et commissions intercommunales de coopération intercommunale est-il suffisant ?

F. B. La question du seuil de 20 000 habitants est cruciale. Dans mon département, typiquement « français », l’agglomération de Troyes recouvre la moitié de la population de l’Aube, dotée de 300 000 habitants. La géographie est à 80 % rurale, les communes le sont à 90 %, et seule une interco, celle de Troyes, dépasse les 20 000 habitants. Même la Lozère en a deux !

Compte tenu de la densité, il faudrait faire des intercommunalités de 60 à 70 km avec ce seuil. Ce qui nous amènerait à perdre en efficacité de proximité, ce que l’intercommunalité est justement censée proposer. Ce seuil doit être remis en cause. Laissons faire les élus ! Intéressons-nous aux bassins de vie, et non aux découpages technocratiques et financiers. C’est aux seuls élus de décider, et les collectivités comme l’Etat ne s’en porteront que mieux. L’AMF ne cèdera pas un centimètre là-dessus.

Laissons faire les élus ! Intéressons-nous aux bassins de vie et non aux découpages technocratiques et financiers."

Plus largement, quelle est votre vision de l’intercommunalité ?

F. B. Les nouveaux élus de mars sont nombreux et vont sans doute apporter leur vision, notamment sur la mutualisation entre communes et intercommunalités. Ce sera le mandat de l’accélération de la mutualisation, ce qui ne permettra peut-être pas d’économies à court terme, mais offrira une meilleure utilisation des moyens à long terme.

Cette mutualisation doit-elle encouragée par une « carotte fiscale » ?

F.B. Le problème, c’est que la carotte fiscale s’assèche ou qu'elle est grignotée rapidement, en qualité d'ancien ministre du Budget, je suis bien placé pour le savoir. Les carottes fiscales ont ceci de commun avec les denrées alimentaires : elles sont périssables... Il ne s’agit pas de construire une intercommunalité qui s’appuie uniquement sur une carotte fiscale mais de laisser les élus s’entendre entre eux pour édifier un projet intercommunal. Les maires ont bien compris tout l’intérêt à avoir une nouvelle mise en commun de leurs moyens.

Partagez-vous certains des reproches faits à l’intercommunalité par la Cour des comptes, notamment sur l’augmentation des effectifs  ?

F. B. Certains points du rapport de la Cour sont dignes d’intérêt. Il est possible qu’il y ait eu dans certains cas des formes d’addition, de doublonnage des effectifs avec les communes. D’où la nécessité d’accélérer la mutualisation.

D’autres points sont plus contestables, notamment les jugements d’opportunité de la Cour que je dénonce, notamment sur la possibilité d’augmenter les impôts locaux. Ce n’est pas là sa mission.

Ces jugements participent au climat de défiance autour des collectivités, des discours faciles qui voudraient que les élus soient responsables de gabegies, qu’il faudrait imposer un tour de vis pour en finir avec des hôtels de région ou de département dispendieux.

Cela ne correspond en rien à la situation réelle : à partir du moment où les collectivités ne peuvent pas emprunter pour leur fonctionnement, un cadre strict est déjà là. Si elles basculent dans le rouge, elles se retrouvent même dans le giron de l’Etat. Chaque maire est responsable de ses administrés. L'élu local est la figure politique la plus respectée. Je combattrai avec force, celle de mes vingt ans d’expérience en tant que maire ancien ministre du Budget, toute caricature, avec la volonté de protéger ces élus indispensables à la vitalité du pacte républicain.

Le département est souvent un partenaire financier et d’ingénierie privilégié des communes. Comment jugez-vous le débat sur sa mise en retrait du jeu local ?

F. B. Déjà, il y a une évolution par rapport au moment où le gouvernement souhaitait le supprimer. Quand on interroge quelqu’un sur son lieu de vie, il cite spontanément sa commune et son département. Le couple commune-département est naturel, évident. Disons que l’Etat a peu à peu pris conscience de cette réalité. Il devra en tenir compte dans sa réforme territoriale, qu’il faudra aménager, surtout en milieu rural, pour assurer l’avenir du département. D’autant que les 16 milliards d’euros d’économies annoncés pour justifier cette réforme sont un mirage : 80 % du budget d’un département sont composés de compétences imposées par l’Etat : routes, allocations de solidarité, collèges, etc. De 1 à 1,2 milliard d’économies sont, au mieux, envisageables. Et elles ne sont pas certaines, car il faudra gérer l’éloignement.

Vous doutez également des économies liées au passage de 22 à 13 régions métropolitaines ?

F. B. Toute réforme coûte cher dans un premier temps, surtout si l’on éloigne le lieu de décision du bassin de vie. Nous ne sommes pas un Etat fédéral : la République est décentralisée, mais l’Etat est unifié. Avoir de grandes régions implique de conserver des pôles de proximité infrarégionaux. L’objectif est moins celui d’économies que d’augmenter, par ces fusions, le PIB régional avec un effet de levier. A charge ensuite à ces régions d’effectuer une juste redistribution de cette manne dans les territoires.

L’objectif est moins celui d’économies que d’augmenter, par ces fusions, le PIB régional avec un effet de levier.

 

Le temps des maires bâtisseurs semble révolu. Quelle est votre vision du maire d’aujourd’hui ?

F. B. Il est celui qui incarne sa commune, qui en défend les intérêts. Il est donc un rassembleur, un médiateur et un défenseur de sa collectivité. Il est celui qui anime une équipe, la mobilise et arbitre : il est un décideur. Il propose des choix et déclenche la commande publique : il est un agent économique. Il est l’acteur le plus important de la préservation du pacte républicain. Son rôle doit être protégé, coûte que coûte.

En 2017 s’appliquera la loi sur le non-cumul des mandats. Entre sénateur et maire, quel mandat choisirez-vous de conserver ?

F.B. Je n’ai pas voté la loi sur le non-cumul, estimant qu’il y a sur ce sujet trop de schizophrénie. Si vous demandez aux Français par sondage ce qu’ils pensent du cumul, ils n’y sont pas favorables. Mais ils veulent aussi que leur territoire soit représenté le mieux possible à Paris, en ayant sur place des relais.

La Ve République doit sa longévité exceptionnelle au fait que le président de la République, qui a beaucoup de pouvoir, a également ses contre-pouvoirs. Au Parlement, cet équilibre vient du fait que de nombreux élus locaux y siègent avec toute leur légitimité locale.

Le cumul sera-t-il un débat à rouvrir ? C'est possible, car, à droite comme à gauche, les positions sur le sujet ne sont pas si tranchées. Mais je n’ai pas pour habitude de trancher sur de telles décisions avant qu’elles ne s’imposent. Aujourd’hui, je m’engage à 100 % sur ces responsabilités cumulées de sénateur et maire, que j’assume pleinement, au service des territoires.

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