France Stratégie objective le « rebond » annoncé des villes moyennes

Hugo Soutra
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France Stratégie objective le « rebond » annoncé des villes moyennes

Deux notes de l'organisme de prospective rattaché à Matignon objectivent le « retour sur le devant de la scène » des villes moyennes, longtemps reléguées  « à l’écart des principales politiques d’aménagement du territoire ». Si les dynamiques s’avèrent bien plus contrastées qu’elles ne le sont généralement résumées dans le débat public, plusieurs éléments conjoncturels laissent néanmoins envisager un rebond durable d’une majorité d’entre elles. Raison de plus pour faire de ces territoires de taille intermédiaire, assurant d’importantes fonctions de centralité, « une composante à part entière des stratégies d’aménagement du territoire » ?

Une poignée de chercheurs, élus et journalistes l’avaient pressenti. France Stratégie l’a corroboré, perçant à son tour la bulle d’un « exode urbain » massif synonyme de « revanche » des villes moyennes dans le monde d’après, tant du point de vue de l’attractivité démographique que de la géographie de l’emploi ou du marché immobilier. Dans une première note publiée le 31 janvier 2022, l’organisme rattaché à Matignon analyse l’effet « diffus et d’ampleur variée selon les territoires » de la pandémie de Covid-19, injectant un peu de nuance face à la vision parfois béate et hâtive de certaines associations d’élus, magazines grand public et réseaux d’agences immobilières, faisant état d’une renaissance soudaine et uniforme des villes moyennes, persuadées que la proximité avec la nature et la qualité de vie qu’elles offrent sur le papier inciteraient des centaines de milliers voire millions de citadins à déménager expréssément. Les deux dernières années, 2021 et 2020, ont été « source d’accélération plus que de ruptures avec les trajectoires de la décennie passée » estiment ses quatre auteurs, Coline Bouvart, Philippe Focrain, Claire Rais Assa et Cyril Gomel. Pour les prophètes de la démétropolisation, il faudra repasser, donc…

Pour commencer, France Stratégie ne fait donc pas l’erreur de regarder les villes moyennes comme une « strate homogène », au « destin commun. » Si l’œil prospectif de Matignon relève une légère augmentation des créations d’emplois (+2,3%) dans les villes moyennes entre le troisième trimestre 2019 et le troisième trimestre 2021, il distingue celles qui partageaient déjà une trajectoire positive, de celles dont le regain est bien plus récent ou d’autres connaissant une forme de déclin sur le temps-long. Nombre de villes moyennes, à fortiori celles en bonne santé avant la crise sanitaire donc, surperforment sur le front de l’emploi (Le Creusot, Montaigu, Moulins, Oyonnax, Quimper, Thonon-les-Bains) par rapport aux métropoles (+1,9%). Des villes comme Nevers ou Vierzon, qui n’avaient pas brillé par leur dynamisme ces dernières années, ont fait plus qu’inverser la tendance (+3%) alors que des bassins désindustrialisés comme Dieppe, Longwy, Montbéliard ou Saint-Dizier peinent à sortir de leur morne.

Une activité immobilière frémissante, pas révolutionnaire...

La note n’exclue pas de bouleversements territoriaux à long-terme, si le déménagement tant annoncé de citadins se concrétise un jour. Reste que la généralisation du télétravail – perceptible par la hausse de la part des salariés éligibles à ce nouveau mode d’emploi au moins deux jours par semaine - n'a pas été synonyme, pour l’heure, de révolution sur le marché de l’immobilier résidentiel – une aubaine si l'on songe à l’artificialisation des sols comme la gentrification et la ségrégation socio-spatiale que cela aurait pu entraîner. Dans le détail, 65 des 202 villes moyennes passées au peigne fin par France Stratégie ont vu leurs prix de l’immobilier augmenter plus vite que la moyenne nationale (Bayonne, Les Sables d’Olonne, Royan) – à la hausse pour l’ensemble des typologies de territoire et pas seulement ceux affublés du titre de « villes à taille humaine » sans prise en compte de la désertification commerciale ou de la place accordée à la voiture individuelle. Les tendances du marché immobilier local se sont récemment inversées pour neuf d’entre elles (Cahors, Maubeuge, Montceau-les-Mines, Sens, etc), tandis qu’Auxerre, Carcassonne ou Tulle semblent toujours éprouver quelques difficultés comparées à d’autres villes ou campagnes françaises plus attractives.

Ces éléments conjoncturels, qui soulignent les dynamiques variables des villes moyennes, donnent du grain à moudre à France Stratégie, qui rappelle au passage que le regain d’attractivité d’Annecy, Rochefort, Sète ou Valence n’a rien de soudain. Ainsi, 42% des villes moyennes étudiées connaissaient « des trajectoires plus favorables que la trajectoire nationale pendant la décennie précédant la pandémie ». Tandis que 16% étaient, pour leur part, déjà « en retrait » – à l’instar d’Aurillac, Charleville-Mézières, Epinal ou Tulle, pour ne pas les citer. Si les effets conjugués de la crise sanitaire et du soutien renouvelé des pouvoirs publics ne rebattent pas foncièrement les cartes de cette forte hétérogénéité territoriale, France Stratégie imagine un possible « rattrapage » des centres-villes par rapport à leurs périphéries, sur le modèle des métropoles. Jusqu’à présent, de Chambéry à Vannes en passant par Châteauroux ou Sedan, la croissance démographique de ces bassins de vie était en effet massivement tirée par les communes périurbaines et petits villages voisins ; 45% des villes moyennes ayant même connu, ces dix dernières années, une « croissance de la population de leur couronne, alors que leur pôle urbain connaissait une baisse » relève France Stratégie.

« Piliers durable de l’aménagement du territoire »

Comment expliquer ce retour en grâce – hétérogène, répétons-le - des villes moyennes, d’abord auprès de l’Etat qui les a choyés dès 2018 à travers les programmes Action cœur de ville et Territoires d’industrie, puis d’une partie de la population portant sur elles un regard plus positif qu'à l'accoutumée à l’orée de la crise sanitaire ? Dans une seconde note parue le même jour, France Stratégie souligne leur « rôle d’équilibre », de « pivot » dans le système territorial français. Le directeur de l’organisme, Gilles De Margerie a par ailleurs souligné, lors d’un point-presse mercredi 2 février, la « stabilité démographique » qui caractérise les villes moyennes, contrairement aux « campagnes et aux petites villes qui ont perdues, elles, de la population. »

Concentrant de nombreux équipements et services (commerces, culture, éducation, enseignement supérieur, institutions, mobilités, santé, services publics, etc) de par la centralité qu’elles occupent au sein de leurs bassins de vie respectifs, elles font plus que jamais office de « piliers durable de l’aménagement du territoire ». Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faille pas remodeler les politiques et stratégies d’aménagement du territoire pour que ce potentiel rebond des villes moyennes se fasse ressentir au-delà de leurs seuls bassins de vie...

De nombreux défis à relever

Les quatre auteurs de cette note suggèrent, en conclusion, que l’Etat « renforce l’accompagnement des villes moyennes, en tenant compte de la variété des enjeux qu’elles rencontrent », en partageant ses capacités d’analyse et en leur octroyant des moyens de prospective et d’ingénierie supplémentaire afin de « mieux comprendre les dynamiques territoriales » et « mieux maîtriser leurs destins. » Objectif de cette approche différenciée : les aider à relever les défis démographiques (vieillissement), économiques (télétravail), environnementaux (étalement urbain), sociaux (gentrification) qui les attendent. Nul doute que la mise en débat de cet enjeu stratégique de l’aménagement et de la cohésion des territoires dans cette campagne présidentielle particulièrement pauvre y contribuerait aussi…

 

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