Budgets locaux
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Réforme des concours financiers de l'Etat, révision des valeurs locatives des locaux d’habitation, nouveau panier de ressources des régions lié à l’élargissement de leurs compétences, financement des dépenses sociales des conseils départementaux… plusieurs chantiers importants sont ouverts et vont impacter les finances locales dès 2016. Ces évolutions s’inscrivent dans un contexte tendu entre l’Etat et les collectivités suite à la baisse sensible des dotations entre 2015 et 2017.
La réunion prévue le 10 février entre les associations d’élus locaux et le gouvernement permettra de mettre en place une instance de « dialogue nationale des territoires », demandée par les premiers. Nul doute que les sujets financiers figureront en priorité à l’ordre du jour des discussions dans les prochains mois. Plusieurs chantiers importants sont en cours.
Réforme des concours financiers de l’Etat
Le 16 janvier, Christine Pires Beaune, député (PS) du Puy-de-Dôme) et Jean Germain, sénateur (PS) d’Indre-et-Loire), ont été missionnés par décret du Premier ministre pour « déterminer les principes et les modalités suivant lesquels la réforme des concours de l’Etat aux collectivités territoriales pourrait atteindre les objectifs de justice et de transparence poursuivis par le gouvernement ». Au préalable, les groupes UMP et UDI au Sénat avaient refusé de s’associer à cette mission prétextant que le contexte de baisse des dotations et de réforme territoriale ne permettrait pas un travail serein et constructif.
Dans la lettre de mission qu’il leur a adressée, le Premier ministre fixe quatre objectifs aux parlementaires : faire un « état des lieux des modes de financement des collectivités locales », proposer « des pistes d’amélioration et de simplification de l’architecture des concours financiers, notamment de la DGF », réévaluer les dispositifs de péréquation en proposant « le cas échéant » de nouveaux « critères d’éligibilité et de répartition, de ressources et de charges », et « assurer la cohérence » avec la réforme territoriale actuellement en cours de discussion.
Les parlementaires rendront un pré-rapport d’ici à la fin février, le rapport définitif étant attendu mi-juin. Ce pré-rapport devrait alimenter les travaux du Comité des finances locales (CFL) dont Christine Pires Beaune est membre.
Le gouvernement proposera une réforme dans le projet de loi de finances pour 2016. Cette réforme devrait faire l’objet d’une concertation avec le CFL et les associations d’élus locaux. Elle sera complexe car le gouvernement doit à la fois simplifier l’architecture de la DGF ; réviser les critères de calcul des enveloppes et calibrer leur montant au regard des nouveaux champs de compétences dévolu aux collectivités et aux EPCI dans le cadre de la réforme territoriale (les régions et les EPCI y seront particulièrement attentifs) ; préserver le financement de la péréquation verticale (DSU, DSR, DNP…) tout en révisant les critères d’éligibilité et de répartition actuellement assis sur le potentiel financier et fiscal des territoires ; rééquilibrer ses concours financiers au profit des communes rurales selon des priorités qu’il précisera, le 13 février, lors d'un comité interministériel à l'égalité des territoires.
Tout ceci, dans le contexte très contrait de la réduction de ses concours aux collectivités (11 milliards d’euros) sur la période 2015-2017.
L’issue de ce chantier est capitale : principale composante des transferts financiers de l’Etat aux collectivités (36,6 milliards d’euros sur 53,5 milliards d’euros de concours financiers en 2015), la DGF constitue le « revenu minimum garanti » des collectivités (via sa part forfaitaire), conditionne les pactes financiers communes-intercommunalités, la politique d’investissement des collectivités et de leurs groupements, la lutte contre les inégalités de ressources et de moyens. N’en déplaise au secrétaire d’Etat au Budget, Christian Eckert, soulignant régulièrement que les dotations de l’Etat ne représentent qu’un cinquième des ressources des collectivités.
Révision des valeurs locatives
L’expérimentation de la révision des valeurs locatives des locaux d’habitation et des locaux servant à l’exercice d’une activité salariée à domicile est lancée : la Charente-Maritime, le Nord, l’Orne, Paris et le Val-de-Marne. Elle s’appuie sur les valeurs locatives déterminées à la date du 1er janvier 2015. Un chantier fiscal de très grande ampleur dont la généralisation s’étalera sur plusieurs années puisque ces données n’ont pas été actualisées en profondeur depuis 1970. Or, les valeurs cadastrales sont la base du calcul des impôts ménages, les gouvernements successifs ayant renoncé à introduire la prise en compte d’une part du revenu des habitants dans le calcul de la taxe d’habitation et des taxes foncières.
Cette réforme vise à remédier « aux injustices entre collectivités et entre contribuables » liées à l’obsolescence des bases, rappelle le secrétaire d’Etat au Budget. Pour atténuer le rééquilibrage entre les gagnants et les perdants de l’actualisation, l’application de la révision générale, qui pourrait démarrer en 2018, sera étalée sur plusieurs années, promet le gouvernement.
Il remettra au Parlement, au plus tard le 30 septembre 2015, un rapport retraçant et évaluant les conséquences de cette révision pour les contribuables, les collectivités, les EPCI et l’Etat. Ce document devra également examiner les modalités selon lesquelles la révision s’effectue à produit fiscal constant pour les collectivités locales et mesurer l’ampleur des transferts de fiscalité entre les catégories de contribuables, l’impact de la révision sur les potentiels financier et fiscal des collectivités locales, la répartition des dotations de l’Etat et les instruments de péréquation.
Nouveau panier de ressources des régions
Des régions plus grandes donc plus fortes économiquement, dotées d’un panier de compétences élargi dans le cadre de la réforme territoriale : la feuille de route est séduisante pour la douzaine de régions métropolitaines qui verront officiellement le jour au 1er janvier 2016. Problème, ce niveau de collectivité a la plus faible autonomie financière. Les régions sont aujourd’hui essentiellement sous perfusion financière de l’Etat via ses dotations.
Le chef de l’Etat en personne l’avait promis en juin 2014 dans une tribune publiée dans la presse locale : « pour remplir leur rôle, les régions disposeront de moyens financiers propres et dynamiques ». Lesquels ? Outre une révision de leur DGF dont les critères de calcul établis en 2004 sont obsolètes, les conseils régionaux attendent de nouvelles recettes fiscales corrélées à leurs compétences élargies (développement économique, emploi, formation, recherche et innovation, transports, gestion des grandes infrastructures…) ou nouvelles (en cours de discussion au Parlement).
Dans son rapport sur les finances locales (octobre 2014), la Cour des comptes souhaitait aussi que "la réforme de l'organisation territoriale" soit "l'occasion de rééquilibrer la structure de financement des régions, en faveur d'une part plus importante de fiscalité", sans toutefois augmenter les prélèvements obligatoires. A la grande satisfaction de l’Association des régions de France (ARF).
Le temps presse : début 2016, les nouveaux exécutifs issus des élections régionales de décembre 2015 devront voter leur budget et programmer les grands investissements de la mandature 2015-2021. Ils devront aussi budgéter l’élargissement de leurs compétences en application de la loi relative à la nouvelle organisation territoriale de la République (Notre), même si certain s’accompagneront d’un transfert de ressources (Etat, départements). Et digérer concomitamment les recompositions liées à la nouvelle carte régionale qui provoqueront des surcoûts selon les présidents de régions.
Le gouvernement et l’ARF doivent impérativement s’accorder sur le nouveau panier de ressources dévolu aux régions, et le sanctuariser dans le projet de loi de finances pour 2016. Plusieurs pistes sont à l’étude : le transfert d’une fraction plus importante du produit de la CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises) dont les régions ne touchent que 25 % (l’ARF souhaiterait 70%), le partage d’un impôt national, le transfert du produit de certaines taxes perçues par l’Etat, la création d’une nouvelle imposition exclusivement perçue par les régions.
Les dépenses sociales des conseils départementaux
C’est entendu, les départements ne disparaitront pas. Certes, ils perdent la clause de compétence générale, dans le cadre du projet de loi Notre, en cours de discussion. Mais le Sénat, fin janvier, en première lecture, a maintenu dans leur orbite la construction et l'entretien des collèges, des routes départementales, ainsi que les transports scolaires et la gestion des ports départementaux. Le gouvernement voulait transférer toutes ces compétences aux régions, pour ne laisser aux départements que "la solidarité sociale et territoriale", c'est-à-dire les aides sociales (RSA, etc.), l’ingénierie territoriale auprès des communes, le développement des services publics.
Quelle que soit l’issue de la discussion parlementaire sur le panier de compétences des conseils départementaux, le principal problème financier des départements concerne le financement des allocations de solidarité nationale dont le coût n’a cessé de croître depuis qu’ils en assurent la gestion (2002) sans qu’ils puissent le maîtriser. Et principalement celui du revenu de solidarité active -RSA (8,7 milliards d’euros en 2013, soit +7% / 2012)- que l’Assemblée des départements de France (ADF) a proposé à l’Etat de « recentraliser ».
Dans un communiqué diffusé le 2 février, l’ADF tire une nouvelle fois la sonnette d’alarme. « Cette hausse, conjuguée à la très faible progression des recettes de fonctionnement (1,2 %), entraîne un effet ciseaux que les départements ont de plus en plus de difficultés à maîtriser. Dans cette période de crise économique et sociale, les prévisions montrent que le RSA augmentera sans doute de plus de 10 % cette année, atteignant ainsi près de 9,5 milliards d’euros en 2014 et 10,5 milliards d’euros en 2015 », estime l’ADF.
Les élus départementaux demandent le lancement de « la réflexion sur la pérennisation et la sécurisation du financement du RSA, promise par le Premier ministre lors de sa venue au Congrès de Pau », à l’occasion de la mise en place de la nouvelle instance de « dialogue nationale des territoires » entre l’Etat et les associations d’élus locaux, le 10 février.