Finances locales : l’été studieux du gouvernement

Xavier Brivet
Finances locales : l’été studieux du gouvernement

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© Elysée

La préparation du budget 2016 appliqué aux collectivités relèvera du casse-tête pour le gouvernement. Confronté à la fronde de l’AMF sur la baisse des dotations, il devra apporter des réponses concrètes aux maires, qu’il s’agisse du fonds destiné à soutenir l’investissement local et de la réforme de la DGF. Les départements attendent aussi de l’Etat qu’il règle de façon pérenne le financement des allocations individuelles de solidarité (AIS) qui plombent leurs budgets et réduisent comme peau de chagrin les moyens consacrés à la solidarité territoriale. Fin juin, à l’occasion de leur congrès national, à Rouen, les régions ne manqueront pas de rappeler au gouvernement la nécessité de les doter de nouvelles ressources afin qu’elles puissent exercer leurs compétences élargies par la réforme territoriale. Revue des principaux chantiers.

L’été sera studieux pour le gouvernement. Le volet « collectivités locales » du projet de loi de finances pour 2016, traditionnellement dévoilé devant le Comité des finances locales la veille de sa présentation en Conseil des ministres, mi-septembre, pourrait tourner au casse-tête. L’Etat doit répondre à plusieurs urgences dans un climat budgétaire très tendu avec les associations d’élus locaux.

L’Association des maires de France (AMF) a d’ores et déjà appelé, le 4 juin, à une mobilisation générale des maires et à une journée nationale d’action, en septembre, contre le programme pluriannuel de réduction des dotations de l’Etat « pour alerter et sensibiliser concrètement les autorités et la population sur les risques encourus » pour l’investissement et la gestion des services publics locaux.

 1. Compenser la baisse des dotations de l’Etat

C’est la pierre d’achoppement entre l’Etat et les élus, AMF en tête. Selon l’Association, la réduction des dotations a entraîné une baisse de l’investissement du bloc communal de 12,4% en 2014. Une contraction qui se poursuivra dans les prochaines années.

François Baroin est opposé à ce programme « qui fait porter un effort financier disproportionné et injuste aux communes et intercommunalités ». Il demande la réduction et l’étalement dans le temps du plan pluriannuel de baisse des dotations. En vain pour le moment.

Lors d’une « réunion d’urgence », le 28 mai, Le Premier ministre a notamment proposé la création d’un fonds de soutien à l’investissement d’un milliard d’euros sans préciser ses modalités de financement.

Un nouveau rendez-vous est prévu en juillet, au cours duquel l’AMF devrait réitérer ses propositions : amélioration du FCTVA, récupération des frais de gestion des impôts locaux, création d’un fonds de soutien à l’investissement et réduction du coût des normes sur les budgets locaux.

Sur ce dernier point, le gouvernement a pris des engagements fermes en affirmant que l’objectif de ramener à zéro d'ici fin 2015 le coût net annuel des normes nouvelles applicables aux collectivités locales est en passe d’être atteint.

 2. Réformer la DGF : une voie étroite

L’issue de ce chantier est capitale : principale composante des transferts financiers de l’Etat aux collectivités (36,6 milliards d’euros sur 53,5 milliards d’euros de concours financiers en 2015), la DGF constitue le « revenu minimum garanti » des collectivités (via sa part forfaitaire), conditionne les pactes financiers communes-intercommunalités, la politique d’investissement des collectivités et de leurs groupements, la lutte contre les inégalités de ressources et de moyens.

N’en déplaise au secrétaire d’Etat au Budget, Christian Eckert, soulignant régulièrement que les dotations de l’Etat ne représentent qu’un cinquième des ressources des collectivités.

La réforme devrait s’étaler dans le temps : la DGF du bloc communal (21,1 milliards d’euros en 2015) serait réformée dès le projet de loi de finances (PLF) pour 2016. La DGF des 13 régions serait intégrée au PLF 2017, pour accompagner les nouvelles compétences dont elles hériteront. La DGF des départements serait intégrée au PLF 2018.

Lors du Comité des finances locales du 5 mai, la députée (PS) du Puy-de-Dôme, Christine Pires Beaune, a présenté au nom de la Mission parlementaire relative à la réforme des concours financiers de l’Etat aux collectivités territoriales, ses pistes de réforme de la DGF du bloc communal :

  • création d’une « dotation universelle de fonctionnement » garantie pour toute les communes complétée des dotations de centralité et de solidarité ;
  • mécanisme de correction des outils de la péréquation verticale (DSU et DSR) ;
  • toilettage de certains critères de répartition.

LA DGF locale hérisse l’AMF
Une proposition a fait particulièrement grincer les dents de l’Association des maires de France (AMF) : celle de créer une « DGF locale », susceptible d’être perçue et répartie par les intercommunalités et non plus directement par les communes, compte tenu de l’achèvement de la carte intercommunale et des pactes financiers de plus en plus intégrées entre les EPCI et leurs communes membres.

Le secrétaire général de l’AMF et maire de Sceaux, Philippe Laurent, s’est élevé contre « l’asphyxie financière progressive de l’échelon communal », arguant que « la DGF est la traduction financière du partage des responsabilités et donc du lien direct entre l’Etat et les communes ».

Conséquence : l’AMF réclame, avant toute réforme de la DGF et de la péréquation, « une négociation globale préalable sur la baisse des dotations de l’Etat et l’évolution des finances locales. C’est la condition sine qua non avant d’engager toute réforme », assène-t-elle.

Les communes nouvelles, nouveau poids financier ?
Les propositions de réforme de la DGF sont actuellement expertisées par l’Etat et le CFL qui pourrait verser ses propres propositions dans un rapport final qui sera remis fin juin au gouvernement. Ce dernier rendra ses arbitrages durant l’été pour une intégration dans le projet de loi de finances pour 2016.

Une difficulté supplémentaire pourrait surgir dans la réforme de la DGF : le succès des communes nouvelles (25 créées actuellement mais 266 projets d’ici au 1er janvier 2016 recensés par l’AMF) pèsera sur la répartition de l’enveloppe de DGF compte tenu du bonus financier accordé à ces nouvelles entités qui devra être financé à enveloppe constante…

 3. Financer les allocations individuelles de solidarité (RSA, APA, PCH)

Dans un communiqué diffusé le 10 juin, les membres du bureau de l’Assemblée des départements de France (ADF) dénoncent une nouvelle fois « la croissance incontrôlée des allocations individuelles de solidarité (AIS) qui conduira à l’asphyxie mortelle des départements. D’ores et déjà, plusieurs départements ont annoncé qu’ils n’auront pas la trésorerie nécessaire pour payer la totalité des allocations pour 2016 ».

Un constat alarmiste corroboré par une étude récente de l’Observatoire national de l’action sociale (Odas) qui précise qu’en 2014, la dépense nette d’allocation du seul RSA « augmente de 720 millions d’euros pour atteindre 8,6 milliards d’euros, soit une hausse de 9,2% ».

L’ADF presse le gouvernement de trouver « des solutions structurelles » au-delà des solutions d’urgence mises en œuvre dans le cadre des accords de Matignon et de la clause de revoyure (transfert des frais de gestion de certains impôts locaux et possibilité d’augmenter les droits de mutation à titre onéreux, soit 1,5 milliard d’euros).

Selon l’Odas, ces ajustements ont permis de contenir en 2014 l’augmentation des dépenses nettes d’action sociale (4,3% soit +1,4 milliard d’euros de dépense supplémentaire par rapport à 2013), qui se sont élevées à 35 milliards d’euros l’an dernier. Mais l’Observatoire pointe aussi le risque à court terme d’une « impasse financière » pour les départements.

Pérenniser le financement du RSA, une promesse ancienne
Une réforme du financement des AIS est d’autant plus urgente que les départements conserveront au terme de la réforme territoriale l’essentiel de leur panier de compétence qu’il faudra bien financer.

Dominique Bussereau, président de l’ADF, a demandé, le 3 juin, à Marylise Lebranchu, ministre de la Décentralisation et de la fonction publique, un calendrier de travail du groupe Etat-Départements.

Il a par ailleurs sollicité une audience en urgence au président de la République et au Premier ministre. L’occasion de rappeler à Manuel Valls son engagement de lancer « la réflexion sur la pérennisation et la sécurisation du financement du RSA », formulé… lors de sa venue au Congrès de l’ADF, à Pau, en octobre 2014.

 4. Créer un nouveau panier de ressources pour les régions

Des régions plus grandes donc plus fortes économiquement, dotées d’un panier de compétences élargi dans le cadre de la réforme territoriale : la feuille de route est séduisante pour la douzaine de régions métropolitaines qui verront officiellement le jour au 1er janvier 2016.

Problème, ce niveau de collectivité a la plus faible autonomie financière. Les régions sont aujourd’hui essentiellement sous perfusion financière de l’Etat via ses dotations.

Outre une révision de leur DGF dont les critères de calcul établis en 2004 sont obsolètes, les conseils régionaux attendent de nouvelles recettes fiscales corrélées à leurs compétences élargies (développement économique, emploi, formation, recherche et innovation, transports, gestion des grandes infrastructures…) ou nouvelles (en cours de discussion dans le cadre du projet de loi Notre).

Vers le partage d’un impôt national ?
Le gouvernement et l’ARF doivent impérativement s’accorder sur le nouveau panier de ressources dévolu aux régions, et le sanctuariser dans le projet de loi de finances pour 2016.

Plusieurs pistes sont à l’étude :

  • le transfert d’une fraction plus importante du produit de la CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises) dont les régions ne touchent que 25 % (l’ARF souhaiterait 70%) ;
  • le partage d’un impôt national ;
  • le transfert du produit de certaines taxes perçues par l’Etat ;
  • la création d’une nouvelle imposition exclusivement perçue par les régions.

Le gouvernement pourrait lever le voile sur ses intentions les 25 et 26 juin, lors du Congrès de l’ARF, à Rouen, que le président Alain Rousset promet « offensif ». Le temps presse : début 2016, les nouveaux exécutifs issus des élections régionales de décembre 2015 devront voter leur budget et programmer les grands investissements de la mandature 2015-2021.

5. Réviser les valeurs locatives : expérimentation et report

La révision des valeurs locatives des locaux d’habitation est lancée depuis janvier 2015, à titre expérimental, en Charente-Maritime, dans le Nord, l’Orne, à Paris et dans le Val-de-Marne. Un chantier fiscal de très grande ampleur puisque ces données n’ont pas été actualisées depuis 1970. Or, les valeurs cadastrales sont la base du calcul des impôts ménages, les gouvernements successifs ayant renoncé à introduire la prise en compte d’une part du revenu des habitants dans le calcul de la taxe d’habitation et des taxes foncières.

L’application de la révision générale, qui pourrait démarrer en 2018, sera étalée sur plusieurs années, promet le gouvernement. Le ministre du Budget remettra au Parlement, au plus tard le 30 septembre 2015, un rapport retraçant et évaluant les conséquences de cette révision pour les contribuables, les collectivités, les EPCI et l’Etat.

Ce document devra examiner les modalités selon lesquelles la révision s’effectue à produit fiscal constant pour les collectivités locales et mesurer l’ampleur des transferts de fiscalité entre les catégories de contribuables, l’impact de la révision sur les potentiels financier et fiscal des collectivités locales, la répartition des dotations de l’Etat et les instruments de péréquation.

Eviter un « bouleversement économique trop brutal »
Le chantier est risqué : des transferts fiscaux importants s’opéreront entre les contribuables d’une même commune, compte tenu de l’application des valeurs cadastrales actualisées. Un dossier sensible dont la gestion incombera à la majorité issue des élections de 2017, au niveau national. Et aux maires, au niveau local, à la veille des élections municipales de 2020…

La mise en œuvre de la révision des valeurs locatives des locaux commerciaux, prévue initialement au 1er janvier 2016, a été reportée d’un an. Une annonce faite par le secrétaire d’Etat au Budget, Christian Eckert, évoquant le risque de trop nombreux  « transferts » au détriment des petits commerces de centre-ville, qui pourraient donner lieu à un « bouleversement économique trop brutal ».

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