Critiquées pour avoir vendu des emprunts toxiques aux collectivités territoriales, les voilà qui leur "coupent les vivres"... Les banques privées resteront toutefois l'un des trois grands "financeurs" des collectivités. Ce qui va changer, en revanche, c'est la nature de leurs liens financiers. Inévitablement et nécessairement.
Déjà atteintes par la polémique sur les emprunts toxiques, les banques privées diminuent leurs prêts aux collectivités territoriales dans un contexte économique où elles en ont plus que jamais besoin. Pourtant, la qualité de signature de ces dernières reste bonne. Mais la conjoncture joue contre les collectivités, du fait d'un "climat de défiance vis-à-vis du secteur public depuis la crise de l'euro et des dettes souveraines.
Les collectivités appliquent déjà la règle d'or, mais elles ne peuvent pas être dissociées de l'Etat, dont elles dépendent à 50% pour leurs ressources via les dotations", analyse Jean-Sylvain Ruggiu, directeur secteur public à la Caisse d'épargne (BPCE).
L'autre origine de cette crise de liquidités est structurelle et date de la crise des subprimes de 2008, à partir de laquelle beaucoup de réglementations ont été changées.
"La dernière en date, celle de Bâle 3, porte sur les risques de liquidités des banques, et donc leur capacité à se financer. Or, ces ratios très techniques ne reconnaissent aucune spécificité au secteur public. Comme une banque est jugée solide en fonction des dépôts de ses clients et que le secteur public a besoin de crédits importants mais sans rien mettre en face, cela rend l'exercice du financement du secteur complexe à réaliser", poursuit le banquier.
Besoin du secteur privé
Dans ce contexte et avec l'apparition sur le marché de deux nouveaux acteurs de financements publics (banque et agence), le rôle des banques privées auprès des collectivités est-il appelé à se réduire?
"Non, elles gardent toute leur place, estime Michel Bouvard, président de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts. D'abord, parce qu'elles ont toujours octroyé plus de prêts en France qu'elles ne levaient de dépôts sur ce même territoire. Ensuite, parce qu'il y a une certaine logique à ce que le système financier privé continue à accompagner des collectivités actrices du développement économique."
En fait, c'est la nature des liens financiers qui est appelée à évoluer.
- D'un côté, des banques "déjà plus sélectives dans leur politique de prêts en fonction du degré de risque, sont attentives à ne pas gaspiller des fonds propres, quitte à resserrer le nombre de collectivités auxquelles elles prêtent", constate l'adjoint aux finances de Biarritz, Guy Lafite.
- De l'autre, des collectivités "dont le fonctionnement en trésorerie zéro touche à sa fin. Il n'y a plus de crédit revolving et les banques ne font plus de lignes de trésorerie importantes. Il va falloir s'assurer d'un fonds de roulement important, de prêts à long terme pour prévenir le risque de liquidité", prévient l'élu.
Autre élément à prendre en compte :
la faible probabilité de nouveaux acteurs bancaires privés, car "tous ont les mêmes contraintes. On imagine donc mal un nouvel entrant sur le marché", conclut-il.
Casser les habitudes
Les exécutifs locaux devraient aussi se montrer plus prudents. "Je souhaite que la création d'une agence de financement entraîne plus d'analyse critique, une attitude de doute positif envers les banques", enjoint le maire de Saint-Etienne, Maurice Vincent.
La disparition programmée de l'acteur dominant, Dexia, devrait aussi favoriser "des relations sur lesquelles la tradition et les habitudes anciennes vont moins peser", pronostique le président de la CRC de Basse-Normandie, Frédéric Advielle.
Une relation financière se fait souvent à travers les personnes, et on a confiance ou non dans son conseiller. Sinon, il faut aller voir ailleurs..."
Mais subsistera toujours, en partie, le mode de fonctionnement des élus avec leur banquier, souligné par le maire de Chalon-sur-Saône, Bruno Bourg-Broc : "Une relation financière se fait souvent à travers les personnes, et on a confiance ou non dans son conseiller. Sinon, il faut aller voir ailleurs..."
2011 : l'investissement local a repris
C'est la bonne "surprise" révélée par une note de conjoncture de Dexia: en 2011, l'investissement local a atteint 51,9 milliards d'euros, soit une progression de 2,9 % alors que 2010 avait marqué une chute de 4,9%. C'est au bloc communal que le secteur local doit l'essentiel de cette bonne performance (+4,1% pour les communes, + 7,7 % pour les EPCI) alors que la reprise des régions reste modérée (+1,3%) et que les conseils généraux continuent à revoir leur investissement à la baisse (- 2,7%).
Malgré un contexte budgétaire et fiscal très tendu, les collectivités ont fait le choix d'investir, voire y ont été obligées par la réglementation (Grenelle, accessibilité, nouvelles normes, etc.). Autant d'éléments qui devraient peser sur la politique d'investissement 2012, tout comme l'évolution des conditions d'accès au crédit.
Financement du secteur local : 3 acteurs majeurs
1. L'agence de financement
Portée par les communautés urbaines (Acuf), l'agence de financement des collectivités est désormais défendue par nombre d'associations de collectivités, Association des maires de France, Associations des régions de France et Assemblée des départements de France comprises.
L'idée est simple: diversifier les sources de financement en offrant aux collectivités la possibilité de s'associer entre elles pour aller chercher des fonds directement sur les marchés obligataires, en créant au passage une "saine émulation" vis-à-vis du secteur bancaire.
Soutenue par la Cour des comptes, qui souligne néanmoins la complexité du projet, la création d'une telle agence, annoncée aux mieux pour la fin de 2012, soulève cependant plusieurs questions à la hauteur des objectifs affichés: soit 20% à 25% des parts de marché.
Sans une garantie de l'Etat, qui la lui refuse, quelle sera sa force de frappe sur un marché déjà "sous-liquide"?
Comment absorbera-t-elle des frais de structure importants inhérents à toute création d'établissement bancaire?
"La création d'une banque reste complexe, coûteuse et longue, d'autant qu'elle devra se soumettre aux mêmes contraintes que les autres. Et combien de collectivités cotiseront face à un coût d'entrée élevé ?" ajoute, incrédule, Jean-Luc Guitard, de Dexia.
2. La Caisse des dépôts et la Banque postale
Après avoir été à la manœuvre fin 2011 en débloquant une enveloppe de trois milliards, rapidement portée à cinq milliards, pour répondre aux besoins de financement non satisfait des collectivités, la Caisse des dépôts (CDC) travaille à la mise en place d'une nouvelle banque publique qu'elle détiendra à 35 %, contre 65 % pour la Banque postale.
"Il s'agit d'un outil nouveau destiné à assurer le relais de l'action historiquement assumée par Dexia. Pour autant, il ne s'agit pas d'une mutation de Dexia, mais bien d'un nouvel établissement de prêts qui proposera des emprunts traditionnels, taux fixe et "vanille" (sans risque, ndlr)", annonce Michel Bouvard, président de la commission de surveillance de la CDC. Objectif annoncé : "25% de parts de marché, soit un niveau inférieur aux 40% détenus par Dexia avant la crise, mais de loin supérieur à la production de Dexia depuis deux ans."
Les collectivités devraient pouvoir compter sur cette nouvelle banque publique "dans le courant du deuxième trimestre".
3. Les banques privées
Tous les acteurs du secteur local s'accordent à dire que les banques privées doivent garder une place importante. Et ce même si les collectivités deviennent des clients moins intéressants avec les nouvelles règles financières de Bâle3, puisqu'elles empruntent sans apporter d'actifs.
"Dans ce contexte, les Caisses d'épargne ont une politique de présence auprès des collectivités, leur permettant de préserver des encours stables à hauteur de 56 milliards d'euros sur les 150 milliards de dette des collectivités. Nous souhaitons maintenir notre part actuelle, en restant prêt à nous adapter à des changements éventuels de situation", témoigne Jean-Sylvain Ruggiu (BPCE).
Reste que certaines banques privées ayant récemment investi ce marché s'en retirent en grande partie et qu'il est peu probable dans la conjoncture actuelle de voir apparaître de nouveaux acteurs.
Entretien avec
Jean-Luc GUITARD, directeur France de Dexia Crédit local
"L'emprunteur public doit être clair sur ses besoins"
Quelles leçons tirez-vous de la vente des produits à risques?
— Les relations collectivités-banques devraient relever du Code des marchés publics pour réserver à l'emprunteur public le soin de définir ses besoins, comme il le fait pour acheter tous les autres biens et services. Les collectivités indiqueraient clairement ce qu'elles veulent de la banque dans un cahier des charges, avec des limites posées dans la gestion de la dette communale, et les banques seraient obligées de répondre à leur demande.
Les banques sont-elles mises en cause comme conseil financier?
— Le rôle de conseil financier n'a jamais existé, car nous n'avions tout simplement pas le droit de le jouer. Le Code des marchés publics le dit : vous ne pouvez pas être conseil et vendre en même temps les produits que vous conseillez. Il s'agit d'un autre métier, rémunéré pour cela. Nous nous contentons de donner des informations à nos clients sur la situation financière et des éléments de compréhension des crédits pour qu'ils puissent se décider.
La qualité de signature des collectivités est-elle compromise?
— Leur qualité de signature ne s'est pas amoindrie, mais certains éléments pèsent sur leur profil d'emprunteur.
D'abord, un levier fiscal moins important depuis la réforme, ce qui diminue leur capacité à générer elles-mêmes des recettes. Et le contrecoup de la crise joue : augmentation des dépenses sociales, recettes très volatiles, augmentation de la part des dotations de l'Etat dans les ressources, gel de ces dotations... Les collectivités risquent de se porter moins bien dans un environnement qui se dégrade.
Les banques étrangères ont disparu du marché des prêts aux collectivités en 2011
Royal Bank of Scotland, Barclays, Deutsche Bank, JP Morgan, Crédit Suisse… L’actualité de ces banques renvoie non seulement aux emprunts toxiques vendus aux collectivités territoriales, mais surtout à leur retrait massif de ce marché. Une retraite durable face aux règles de Bâle 3 qui incitent chaque établissement bancaire à se concentrer sur ses activités historiques ? "Quelques banques étrangères ayant des ressources pourraient continuer à trouver intéressant le profil sécurisant des collectivités", estime le député Michel Bouvard.
Le Courrier des maires et des élus locaux, n° 0253, 5 janvier 2012